L'HORIZON D'UN NOUVEAU FUTUR

Pour la première fois, je n’avais pas attendu avec impatience la rentrée scolaire.
Pour la première fois, j’ai pensé "déjà ?" lorsque j’ai réalisé que je devais retourner à l’école.
La maison de mes parents m’a été moins désagréable qu’habituellement là, où, à l’inverse, Mahoutokoro m’est devenu pénible ; les plaçant finalement sur un pied d’égalité sur l’échelle de ce qui m’est supportable. Comme quoi, tout peut arriver – ça ne devrait même plus me surprendre ; ces dernières années, le destin s’est acharné à me prouver qu’il pouvait faire voler en éclat chacune de mes certitudes.

J’ai beau considérer que je l’emmerde, je ne peux décemment pas combattre une chose aussi incognoscible que la vie elle-même.

Plutôt que de me morfondre des aléas de mon quotidien, je préfèrerai user de ma haine comme arme envers ceux qui rendent notre monde un peu plus pourri chaque jour.
Notre terre se porterait bien mieux sans l’espèce humaine ; à ce stade, ce n’est même plus une hypothèse.
Mais me laisser aveugler par la colère n’a jamais rien arrangé non plus – la preuve : la cohabitation avec mes parents ne s’est jamais aussi bien passé que lorsque je ne leur ai pas craché mon sel à la figure pendant des jours.  

Aujourd’hui, je me suis rendu à l’un des seuls endroits susceptibles de m’apaiser sur cette île.
J’ai retiré mes chaussures et, de mes pieds nus, ai foulé le sable tiède, jusqu’à sentir les vagues du Pacifique lécher mes chevilles.

En regardant l’horizon, je me souviens de l’océan qui nous submergeait encore, il y a quelques mois, lorsque j’étais venu observer une des extrémités du dôme avec Jian. De l’insouciance dont je faisais volontaire preuve, en préférant me préoccuper de mon couple, plutôt que des dangers.
Je me sentais plus libre à ce moment, que maintenant, alors que plus aucune surface ne me maintient sous les flots.

Je me souviens aussi de Nanami, en larmes sur cette même plage, il y a un an de cela. De notre étreinte, lorsque j’ai voulu la réconforter et de mon impression d’agir, pour la première fois, tel que je le devrai avec elle.

Je me trouve bien sentimental désormais et je me sens toujours idiot quand je repense avoir renié toute forme d’amour, pendant des années, par peur d’être délaissé par ceux auquel j’aurais le malheur de m’attacher.
Et c’est maintenant que je risque réellement de tous les perdre, que j’accepte mes émotions.
L’ironie me donnerait presque envie d’en rire.

Bonsoir ! ♪ Je me retourne, sorti de mes pensées – dans lesquels je devais être profondément perdu, pour ne pas l’avoir entendu arriver.
Ah, Hanaoka. Son sourire se veut contagieux, mais je reste impassible, tandis qu’aucune réponse ne traverse mes lèvres – j’incline la tête, pour ne pas paraître malpoli. Lui semble décidé à engager la conversation, puisqu’il continue : Qu’est-ce que tu fais tout seul ici ? Tu viens observer la mer ou envie de faire trempette ?
Je laisse mes lèvres frémir d’un léger sourire, cette fois.

« On a essayé de me noyer deux fois et l’île entière s’est retrouvée submergée pendant des semaines, mais je ne me lasse pas encore d’admirer le paysage. »

Le pire étant que je ne me sens même pas amer face à l’évocation de ces souvenirs – contrairement à d’autres, qui me sont plus… insupportables.

Tu es bien courageux avec les récents évènements ! Tu ne m’en veux pas si je reste un peu avec toi pour ta sécurité, mh ? Je me tourne plus franchement vers lui, cette fois, pouvant d’ailleurs constater qu’il s’est rapproché, jusqu’à se trouver à mes côtés.
…plutôt petit, notre cuisinier. Je comprends qu’il puisse passer inaperçu dans une foule d’élève.

« Davantage résigné que courageux, je dirai. On ne peut plus faire preuve de courage, quand on ne s’inquiète plus de notre propre sécurité. »

Fut une époque où j’avais peur de mourir. De l’avenir. De vieillir.
Toutes ces choses me paraissent puériles, maintenant.

Ce n’est pas la peur qui me protègera de la mort. Et je ne compte pas me terrer, dans le seul but d’être en sécurité – y’a-t-il seulement un endroit où nous le sommes ? Les événements ont pris bien trop d’ampleur pour que fuir ou même se cacher soit d’une quelconque utilité.

« Et à nous deux, nous ne ferons pas grande différence, s’il devait nous arriver quelque chose, mais… restez. Si vous le souhaitez. »

Avenant, sans vraiment l’être – un comportement que j’ai appris à utiliser assez tôt et qui m’a toujours été particulièrement utile.
Je ne prends pas grand plaisir à la compagnie d’inconnu, depuis quelques mois, mais pas au point d’envoyer paître un membre du personnel. Et Hanaoka, outre son sang-pur et sa bonne humeur trop expansive, ne semble pas des plus désagréables.

« Je serai curieux de savoir si vous, vous avez peur. »

L'HORIZON D'UN NOUVEAU FUTUR

Les derniers rayons de soleil estival teintent l’eau d’une pluie d’étoile. La surface brille, n’éblouissant que mon esprit de sa beauté.
J’aime la mer. Et j’admire chaque paysage me laissant oublier que j’ai passé une enfance enfermée entre les murs froids de ma demeure familiale. J’aime le soleil. Et je ne me lasse pas de la chaleur qui lèche ma peau trop blanche, ne me préoccupant pas assez des coups qu’il pourrait lui laisser.

Ni la noyade, ni la brûlure étendue sur mon épaule ne sauraient me les faire haïr.

Même si elle peut annoncer notre fin à tout moment, elle a comme quelque chose de reposant, tu ne trouves pas que c’est un peu contradictoire, mais aussi ironique ? Il y a tant d’exactitude dans ces mots que je n’aurai su mieux l’exprimer.

« La nature est ainsi. Indépendante, fluctuante, imprévisible. Elle regorge de milles dangers, mais elle reste indéfiniment belle et majestueuse. »

De nombreuses choses m’effraient, comme tout un chacun et si je ne me laisse pas submerger par ces peurs, je ne peux néanmoins affirmer être serein. Ces mois – ces années – me laissent sur mes gardes, sans répit ; j’ai rongé mes nerfs par bien des occasions.
Seimei. Les Yokai. Et les pertes que j’ai déjà essuyées. Suffisamment de source de désespoir pour nourrir une horde de Détraqueurs affamés.

Tu n’as pas peur que quelque chose t’arrive ? Non. Je ne suis pas de ceux qui stressent avant même de se retrouver en difficulté – j’avise lorsque le danger est prouvé.
Ou même rendre des gens autour de toi triste de ta disparition ?

…
Je ne réfléchis jamais à ce détail-ci.
J’oublie parfois que des personnes peuvent se préoccuper de moi.
Et j’avais la prétention, auparavant, de me croire hors de danger.

« La peur ne changera rien. Je ne donnerais pas cette satisfaction à nos bourreaux. »

C’est ce qu’ils veulent : asseoir leur autorité par la crainte.  

Enfin, je ne vais pas te mentir, la sécurité de cette école est complètement pourrie. Un léger rire franchi la barrière de mes lèvres ; je ne pensais pas l’entendre de la bouche d’un membre du personnel. Je ne peux le contredire, néanmoins – un directeur qui veut la mort des élèves de sa propre école ; on a vu mieux, en termes de sécurité. Gonosuke n’a pas l’air de s’en préoccuper davantage, d’ailleurs.

« Je pense que les membres du personnel ont fait ce qu’ils pouvaient. En revanche, pour avoir voulu s’impliquer dans le fonctionnement de l’école, je trouve que le Ministère fourni bien peu d’effort pour la protéger. »

A commencer par désigner un directeur compétent – et pas seulement en qualité d’administration, ni pour ses facultés à rester invisible.
A croire qu’ils ne savent jamais se préoccuper de ce qui importe le plus – seuls leurs intérêts passent en premier, n’est-ce pas ?

Ne pas avoir peur. Vivre au jour le jour, sans faire preuve d’imprudence, pour autant. Une philosophie de vie sur laquelle nous semblons nous accorder, avec Hanaoka.

« Je pense que c’est une bonne façon de penser. »

Pas seulement parce que je la partage, mais parce qu’elle est rationnelle.

Je serais curieux de savoir ce que tu penses de la situation actuelle ? Dans le silence, je me tourne vers lui. Pas par surprise – cette conversation a débuté avec naturel, aborder les sujets sensibles semblent suivre son cours – plutôt par réflexion. Qu’il précise que rien ne sortira d’ici me rappelle les enseignants, lorsqu’ils pensent que nous avons des secrets que nous n’osons leur confier.
Je souris, avec ironie.

« Voulez-vous vraiment aborder les sujets qui fâchent ? »

J’éprouve une certaine satisfaction à tenir une conversation aussi sérieuse avec un adulte – tous ne prêteraient pas autant d’attention à l’opinion d’un élève, même si celui-ci s’avère majeur. Si l’ensemble du personnel est bienveillant, ils n’en maintiennent pas moins une séparation, quand il s’agit d’aborder les sujets sensibles.
Les entendre en parler franchement vaudrait mieux que de les voir chuchoter entre eux, comme s’il s’agissait d’un tabou.

« J’aurais de nombreuses choses à dire, mais rien de très positif, je le crains. Il n’y en a pas un pour rattraper les autres ; probablement parce qu’ils sont tous liés au même organisme, désormais. Notre société actuelle m’inquiète bien plus que le reste, mais je doute que le ministère soit irrépréhensible de sa déchéance. »

Si le Ministère se tenait à leurs résolutions, peut-être pourrions-nous espérer voir le monde évoluer.

L'HORIZON D'UN NOUVEAU FUTUR

[i]Si tu devais être un animal, que voudrais-tu être ?[i] Surpris, mon regard se lève sur lui, avec incompréhension.

Pourquoi cette question ?
Je perds plus de temps à lui chercher une signification qu’à trouver une réponse.
Quel animal voudrai-je être ? Je n’en ai pas la moindre idée. Jamais je n’ai songé devenir un animagus. Pas parce que je ne m’en crois pas capable, mais bien parce que je ne me suis jamais intéressé à l’idée – oh, certes, la transformation animale aurait ses avantages, mais dans quel but ?

M’impatientant de trouver une réponse dont la justification tiendrait la route – je me frustre sur une demande qui n’a pas même de sens, probablement lancé avec désinvolture – je me lance finalement, avec hésitation.

« Un chat, peut-être. Ils sont indépendants et ne se prêtent à la vie sociale que lorsqu’ils le désirent. »

Ce n’est surement pas très original – les animaux de compagnie sont les premiers auxquels nous pensons, c’est une évidence – cependant, cette conclusion me ressemble.
J’aimerais que ma vie soit si simple ; que je n’ai rien de plus à me préoccuper que dormir, sortir et m’assurer que ma nourriture me soit apportée.

Je doute, pendant un instant, de la direction que prend cette conversation ; encore perturbé par cette interrogation, sortie de nulle part. Le sujet revient néanmoins sur le ministère, ainsi que le directeur, me faisant retrouver le sérieux que j’avais supposé.

« A part nous coller un directeur plus irresponsable que l’ancien – ce qui n’est pas peu dire – ils n’ont rien fait. Si sa seule préoccupation est de punir de simples batailles de nourriture d’une nuit dans les cachots, il n’y a effectivement aucune chance que les choses ne s’arrangent. »

Il y avait tellement pire à punir – j’avais moi-même déjà fait tellement pire, bon sang. Surtout, c’était de protection dont nous avions besoin, maintenant. Tout avait beau prévoir de nouvelles attaques – il y en aurait encore, j’en suis convaincu – personne ne semblait s’activer pour renforcer nos protections. Personne, si ce n’est le personnel de l’école, se sentant (eux, au moins) concernés par notre sécurité.

Un éclat de rire le prend, me faisant me tourner, encore consterné par sa réaction – mais moins que la première fois, y retrouvant ma propre tendance à m’esclaffer des aberrations de la société. Il le confirme de lui-même et j’y trouve la satisfaction d’être compris, en plus d’être entendu.

« Je pense qu’ils essaient d’aveugler le peuple. Il est plus simple de rassurer, autant que de contrôler une société qui n’a pas conscience des dangers. Ils s’évitent l’émeute que pourrait entraîner la peur. Seulement… il ne font qu’accentuer la crainte de ceux qui perçoivent le risque, mais qui ne savent pas d’où il provient, en plus de les faire se sentir ignorés. »

Animé par la passion qui découle du sujet, je ne peux retenir la franchise de mes opinions. D’autant plus assuré que nous partageons des avis communs.

S’éloigner de son origine. Le terme m’intrigue, faisant écho à mes propres pensées. Alors, soudain, je demande :

« Pensez-vous, vous aussi, que Shuusei devrait revenir à l’origine de ses idées ? Ah– Nous parlions du ministère, alors… Mais j’ignore quelle affiliation vous supportez. »

Je n’avais fait de choix, moi-même, que parce qu’il me semblait improbable que je ne prenne pas position. Aucune affiliation ne saurait réellement ravir mes idéaux – si ce n’était ce que l’alliance laissait entrevoir sur papier, avant de finir par révéler ses défauts.

« Je suis du même avis. J’en viendrais presque à souhaiter que quelque chose de radical vienne pousser les murs bâtis, jusqu’à reconstruire des bases solides, si je ne craignais pas qu’elle aille davantage dans le mauvais sens que dans celui souhaité… »

Là était le risque des méthodes les plus abruptes. Elles pouvaient tirer autant de bien que de mal et cela, sans qu’on ne puisse le prévoir.

L'HORIZON D'UN NOUVEAU FUTUR

Le sujet ne s’attarde pas davantage sur l’animal que je voudrais être et j’en conclus que sa question n’avait probablement que ce but : cerner davantage ma personnalité. Si je devais lui associer, lui, une créature, j’imaginerais un oiseau. Un rossignol ; assez petit pour se donner l’air discret, mais suffisamment bruyant pour se faire remarquer de tous. Libre de virevoltait, mais dégageant, pourtant, l’aura d’un être qui se sent menacé ; à la fois proche et inaccessible.
Sur ce point, nous nous rapprochions. A l’aise en apparence, mais prêt à sortir les griffes si nous en ressentons la nécessité.

Un séjour aux cachots n’est pas seulement une punition, c’est de la torture, prononçais-je en venant au sujet du nouveau directeur. Il n’y a pas lieu d’enfermer quelqu’un pour si peu, mais les adultes sont ainsi ; bloqués à leur époque et sur leurs idées les plus dépassées. Les sang-purs, en particulier, je dois dire. J’ai beau partager leur sang, je ne me retrouve pas dans ces clans incapables de voir plus loin que leurs ambitions personnelles et leurs idéaux méritant d’être dépoussiérés. Il serait préférable qu’ils ravalent toute leur fierté. Tanegashima est un homme politique, pas un directeur. Là-dessus, Kurosawa était bien plus crédible dans son rôle. Lui ne pense qu’à sa position et à son image publique. Le bien être des élèves l’importe peu. Avec Gonosuke comme directeur, ce n’était pas juste un mouvement de recul, mais un retour au Moyen-Age.

Je n’avais de honte à le dire. Encore moins à le penser. S’il me fallait passer une année entière à dormir dans les cachots, pour l’avoir critiqué, j’accepterai la punition avec vanité – d’ailleurs, ils seraient toujours préférables à la chambre que je partageais.

Nos avis semblaient s’accorder. Les décisions du ministère, comme continuité logique de la discussion, nous en faisions les mêmes critiques. Bien sûr. Ignorer la menace n’a jamais été une solution. Pas plus que tenir de potentielles victimes dans l’ignorance. La suite, quand à elle, m’attira un éclat d’un rire ironique. Nous sommes donc sur le même bateau. Ou plutôt, sur le même radeau, à tenter de fuir celui qui menace de couler ! Ce serait bien mérité, je dois dire, au vu des erreurs du ministère ; Shuusei se portait mieux, à l’époque où il n’était pas associé à leur politique. C’est une vérité déplaisante, probablement – pour les responsables, tout du moins ; le ministère n’acceptera que difficilement l’image qu’il se donne pourtant au public. Bientôt, nombreux seront ceux dont la confiance aura faibli et tout autant seront ceux qui s’en détourneront.

Je ne me retrouve que dans mes propres idéaux. Si je m’écoutais, je créerais ma propre affiliation, mais l’avis d’une personne seule n’aura jamais de poids, parmi notre société. Pour cette raison, à vrai dire, je me considère davantage comme solitaire. Mais là aussi, je ne pouvais me satisfaire de n’avoir aucune influence sur ce monde que j’aimerais voir changer.

Avec calme, je me tournais vers Akira, un sourire amusé sur les lèvres. C’est vrai, je prends des risques à t’avouer mon avis. Je n’ai pas peur de les assumer, ni d’en payer le prix ; ne sommes-nous pas libres de notre opinion ? Je pense que tu en tiens la preuve de ce que tu considères comme du courage et qui devrait être une normalité ; s’il me faut donner le fond de ma pensée à notre ministre, je le ferai sans hésiter. Qu’importe son rôle, je ne ferai pas preuve d’hypocrisie. Ni devant elle, ni devant qui que ce soit. Je suis persuadé que d’autres en meurt, et pas seulement d’envie, pour avoir notre façon de penser, mais je suis prêt à en prendre le risque. Vivre dans cette société ne vaut pas mieux que de mourir pour la changer. Si je peux leur causer du tort, je n’en serai que plus satisfait.