Le lac avait été l'endroit où vous vous retrouviez le plus facilement. Loin des autres. Loin de tous. Loin des regards. Calme et relaxant. Et pourtant, il pouvait vous arriver de devenir des enfants, vous chamailler dans l'herbe, il t'avait même déjà refait boire la tasse une ou deux fois. Tu l'avais laissé gagner, évidemment. Et Sawa, tu te laissais aller. Tu te laissais aller à ses étreintes, te laissais aller à son calme, te laissais aller à cette tendresse, à cette douceur, à cet amour naissant, qui venait réchauffer ton cœur, faire apparaître quelques papillons dans ton estomac.

Tu les chassais dès que tu t'en apercevais.

Des fois, vous n'étiez que là, à partager un moment de silence, l'un comme l'autre à faire autre chose. Comme en ce moment. Mais tes pensées étaient pleines de lui. Lui. Lui. Et tu te sens idiote, un peu faible, et tu apprends à aimer ça. Tendrement. Doucement. Comme cet amour naissant. Et tu inspires, expires, et tes yeux remontent, quittent ton livre pour trouver son profil. Et tu restes là, de longues minutes, juste à l'observer, à ne dire aucun mot. L'observer simplement.

Tu apprenais à aimer.
Tu apprenais à l'aimer.

Tu n'es pas idiote, Sawa, tu sais que tu n'es pas le remède à tous ses maux, tu sais que tu n'es pas celle qui arrivera à le faire sortir complètement de l'eau, mais de temps en temps, tu arrives à lui apporter de l'oxygène, juste assez pour qu'il respire, juste assez pour qu'il tienne, juste assez pour qu'il comprenne.

Ton regard dérive sur son visage, glisse de ses yeux à sa mâchoire, s'arrête sur ses lèvres et tu abandonnes ton livre, te dirigeant vers lui. Il a la tête dans les nuages. Chaque jour un peu plus. Et tu ne sais pas si c'est un bon ou un mauvais signe. Tu ne sais pas si tu dois en parler à quelqu'un ou non. Tu ne sais pas, Sawa, comment agir. L'aides-tu assez ? Ne devrais-tu pas parler à un adulte ? Ne devrais-tu pas lui parler à lui ?

Tes doigts glissent sur ses épaules, tes bras glissent sur son torse et tu viens l'enlacer par derrière, ton menton venant se caler contre une de ses épaules. Tu veux chasser ses pensées noires. Et plus les jours passent, plus tu aimerais pouvoir le faire, en être capable. Et tu aimerais lui demander à quoi tu penses, mais tu sais, Sawa, et tu refuses de l'entendre.

Un baiser sur sa nuque.
Tu resserres l'étreinte.

Taquine, tu viens enfouir ton visage contre sa nuque, souffler dessus pour le faire frissonner. Les températures sont fraîches depuis quelques temps maintenant. A quoi tu penses ? Mais tu ne veux pas savoir, Sawa. Pas vraiment. Tu penses à ma merveilleuse personne pour être autant dans les nuages ? Voix taquine et tu te penches un peu plus sur lui, le forçant à se baisser. Et un rire t'échappe alors que tu l'écrases, le faisant glisser avec toi dans l'herbe.

Et tu aimerais que ton rire ne sonne pas si creux.
Et tu aimerais que le sien ne s'essouffle pas.

Il ne rit pas, sourit à peine, ne te regarde pas. Il se contente de glisser ton front contre ton épaule Et tu fermes un instant les yeux, Sawa, sans savoir quoi faire. Du moins, oui, tu sais quoi faire, tu sais ce qu'il faut que tu fasses, et tu sais le faire, tu en es capable. Mais plus les jours passent, et plus tu te dis que tu n'es pas l'actrice qu'il faut pour ce rôle. Il a besoin de quelqu'un. Mais clairement pas de toi.

La question fait ouvrir ta bouche sous la surprise. Bouche que tu refermes, ouvres de nouveau, fermes encore avant de réfléchir à ce que tu pourrais lui répondre. Tu n'as pas l'impression de perdre ton temps, non. Et tu n'as pas l'impression qu'il est ennuyeux non plus. Il ne t'ennuie pas. Tu ne serais pas là, si c'était le cas. Tes doigts partent à la conquête de ses mèches de cheveux, et alors tu lâches : Et toi, t'as l'impression de perdre ton temps avec moi ? Je n'ai jamais été amusante ou divertissante. Ce n'est pas très fair-play, mais tu t'en fiches un peu, pour dire vrai. Tu ne fais qu'énoncer une vérité. Peut-être qu'il se sent mal, oui, et peut-être qu'il est plus silencieux que d'habitude, moins joueur, et alors ?

Tu peux vivre avec ça.
Tu peux, Sawa.

Non. Tu as ta réponse, alors. Puis ce qui suit te coupe un peu dans ton élan, arrête tes doigts dans sa chevelure et tu baisses le regard vers lui, alors qu'il vient plonger ses yeux dans les tiens. Quelques instants à peine, et le voilà déjà qu'il quitte l'étreinte, qu'il s'allonge dans l'herbe et tu l'y suis sans même y songer. Sur le flanc, coude replié et joue calée dans la creux de la paume, tu l'observes. Tu détailles son visage creusé, fatigué, ses cernes et son regard vague. Tu n'aimes pas ça. Et tu veux le secouer dans tous les sens, lui dire de se reprendre... mais tes mots sortiraient suppliants, et tu n'es pas sûre qu'il souhaite les entendre.

Ta main libre se pose sur son torse, à côté de son cœur que tu peux sentir battre. Au fond de toi, ça te rassure. Et ça te fatigue aussi, Sawa. Parce que tu n'es pas comme ça, parce que tu ne l'as jamais été, et tu aimerais pouvoir tourner les talons, partir, ne pas faire demi-tour, mais c'est lui, alors, tu ne peux pas. Tu n'en es pas capable. Tu n'as jamais été capable de tourner les talons face à lui.

Tes doigts remontent doucement, caressent sa joue jusqu'à ce que son regard retrouve le sien et, le visage trop sérieux, tu lâches alors, peut-être un peu trop autoritaire : Dors, Takashi. Puis un sourire, doux. Je reste éveillée. Un peu comme pour lui dire, dors, je te protègerai.

Un remerciement que tu chasses en haussant les épaules. Qu'importe ses remerciements. Tu les acceptes, mais tu ne penses pas qu'ils aient leur place en ce moment.

Le silence reprend ses droits. Doux silence que tu as toujours adoré. Il s'insinue partout et tu l'as toujours accepté avec soulagement. Plus maintenant. Pas en sa présence. Takashi n'est pas silencieux, il ne l'a jamais été. Pas avec toi du moins. Et quand tu penses qu'il s'est endormi, ou du moins qu'il va pour le faire, ses lèvres se mouvent, sa voix atteint tes oreilles, et tu continues tes caresses à la naissance de ses cheveux, là, juste au-dessus de son front. Mh. Voyager pour les villes, ou voyager pour les paysages ? Puis, joueuse, tu rajoutes : Ou voyager pour les filles ? Et tu aimerais juste pouvoir poser un baiser sur ses lèvres, les étirer d'un sourire tendre ou amusé.

Un sourire, un vrai.
Avant de pouvoir l'embrasser.

Son rire, enfin. Tu ne sais pas s'il est vrai ou s'il est faux, mais tu es égoïste, Sawa, alors tu n'en as que faire. Son rire résonne dans tes oreilles, et tu es heureuse, le temps d'un instant. Tu es même fière, surtout. Tu l'as fait rire. Enfin. Tu te contentes de hausser un sourcil à sa question, lui laissant le doute de ta réponse. Il continue, t'explique, te donne un bout de son rêve et tu l'écoutes avec attention.

Paysages. Beautés.
Monde magnifique.

Et tu aurais presque envie de rire jaune, Sawa. Tu fuis son regard quelques temps, le laisse dériver sur son torse qui monte et qui descend. La vie t'a toujours été facile, tu es née désirée, pas forcément aimée, mais désirée, et tu n'as jamais manqué de rien, tu as toujours eu tout ce que tu souhaitais, et tu t'imagines avec une grande carrière devant toi, future Ministre de la Magie, ou directrice de Mahoutokoro. Tu as toujours eu une vie facile, Sawa, mais tu ne trouves pas le monde beau, tu ne trouves pas le monde magnifique. Il est cruel, les gens qui y vivent sont pires encore. Et tu le sais, parce que tu fais partie d'eux.

Les cruels et les égoïstes.
Les inexorables et les égocentriques.

Tu retrouves son regard au bout de quelques instants, et tu cherches dans ses yeux le doute, la peur, tous les sentiments qu'il te cache, qu'il cache à tout le monde. Je ne le trouve pas si beau, réponds-tu alors. Mais j'aimerais changer ça. Un jour, peut-être. Changer la beauté du monde alors que tu es tout aussi cruelle que ceux qui le gouvernent ?

Voyons Sawa.
Soyons réalistes.
Tu n'y parviendras pas.

Il le sait. Evidemment qu'il le sait. Et tu sais, qu'il le sait. Et tu comprends aussi son besoin de le voir beau, son besoin d'essayer de voir le bon côté du monde. Et tu aimerais lui dire il faut que tu te fasses aider, mais tu en es incapable.

Ses paroles restent ancrées en toi, et tu restes silencieuse. Les minutes s'écoulent, longues et longuement. Tu ne sais quoi lui répondre. Tu as des commentaires sarcastiques à lui faire, tu en as à la pelle, même, mais tu sais que ce n'est pas de ça dont il a besoin, et tu ne veux ni le vexer, et encore moins le blesser. Quelle belle paire vous faites, à déblatérer sur le monde, sans même prendre conscience de toute sa beauté et sa grandeur.

Tu te redresses alors, voulant chasser les idées noires comme une mouche qui viendrait tourner autour de toi. Le visage au-dessus du tien, tes cheveux glissants de part et d'autre de ton visage, frôlant presque celui de Takashi, tu souris, charmeuse, joueuse. Il est plus beau maintenant ? Là où ses yeux ne peuvent voir que ton visage, enfermés par la barrière que tes mèches noires créent. Tu ne veux pas des compliments, Sawa, tu n'en as pas besoin.

Tu veux lui changer les idées.
Tu veux chasser ses idées noires.
Réchauffer ses nuits blanches.

Un rire, un vrai. Un qui serre ton estomac et étire tes lèvres. Il se redresse et tu te recules assez pour lui laisser la place qu'il désire. Tu es soudain bien passive avec lui, Sawa, mais rien de bien méchant. Tu le laissais mener la danse, toi qui étais habituée à le faire, c'était un exploit.

Puis le compliment. Et même si tu l'attendais, car tu connaissais déjà sa réponse, il te surprend, faire rougir légèrement tes joues et tu vas pour lui répondre, lui répondre que évidemment, c'est moi, mais tu n'en as pas le temps, il ne t'en laisse pas le temps. Un baiser sur tes lèvres, et tes paupières se ferment, ta respiration se coupe. Et quand il recule, tu chasses ses lèvres, pour lui voler un autre baiser, un peu plus appuyé, un peu plus quémandeur.

Puis des excuses que tu chasses d'un geste de la main. Tu ris légèrement en lui répondant : Va va. Je serai là. Et tu lui souris, le forces à s'abaisser pour déposer un baiser sur sa joue avant de le chasser réellement d'un geste de la main.

Oui Sawa, tu seras là demain.
Et les autres jours aussi.