MENS PAS
05.03.97

Les vacances ne sont plus ce qu’elles étaient. C’est une constatation à laquelle Nael tentait (vainement) de se résigner. Les paisibles retours en France lui paraissaient bien loin, désormais. L’année précédente, il avait passé son mois de février séquestré – il ne changerait pas d’avis sur ce terme – à Mahoutokoro, sans la moindre possibilité de se rebeller. En août, il avait passé d’horribles semaines à pleurer la perte de l’être aimé. Et, pour cette année, sa mère ne lui avait réservé qu’un monotone quotidien au cours duquel il n’avait subi que des reproches – ce à quoi il n’était absolument pas habitué.

L’adolescent avait eu beau crier, bouder, pleurer (des larmes de crocodile), rien n’y avait fait. Maman Hayashi avait été intraitable : la famille se refusait à soutenir Seimei et Nael n’aurait pas dû se mettre ainsi en danger – et s’il avait fini renvoyé ou emprisonné ?
Plus que la culpabilité, le Kitsune se sentait frustré d’avoir vu sa mère lui tenir tête, pour la première fois de sa vie.

La rentrée l’avait rendu plus maussade encore ; pourtant, pour une fois, il se satisfait presque de quitter sa maison – avec toute la maturité dont il était capable, il avait échappé aux griffes de génitrice sans le moindre mot, ne lui adressant qu’un regard boudeur dans lequel transparaissait tout son orgueil bafoué. Il attendrait son origami d’excuse avec une indifférence feinte, mais plein d’impatience.

Il ne savait pas à quoi s’attendre, de la part des Kitsune qu’il côtoyait. La réaction de Masashige ne s’était pas fait attendre – ils n’avaient, de toute façon, jamais vraiment réussi à s’entendre. Ange, lui, devait être trop occupé avec son petit ami pour, ne serait-ce que, s’intéresser à lui. Restait Kayo, qui ne l’avait pas abordé, jusqu’à ce que le hasard fasse bien (mal) les choses.

« Hey. »

Regard blasé, Nael ne peut retenir un léger froncement de sourcil – il oscille entre l’envie de voir enfin quelqu’un et l’appréhension de ses réactions.

T'oserais pas me mentir, si ? Il cherche la raison de ce qui ressemble à une accusation. La réponse qu’il devrait donner est évidemment que oui, il oserait – surement l’a-t-il déjà fait (oh, s’il devait se souvenir de tout ses mensonges). Mais à quoi servent les mensonges si on les avoue ?

« Pourquoi tu me demandes ça ? »

A défaut, il préfère jouer la prudence.

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05.03.97

La colère. Si Nael se chamaillait souvent avec Kayo, rares étaient les fois où ils se disputaient réellement. Il prenait toujours au sérieux les moments où il choisissait, très (im)maturément, de faire la tête à son amie – pour une raison ou pour une autre, que lui seul comprenait, généralement. Mais il les oubliait tout aussi rapidement. Il ne considérait pas l’altercation de fin d’année comme une dispute, l’apparentant davantage à un différent qui aurait pu se régler d’un simple changement d’opinion – le sien, évidement. Ce qui allait suivre, en revanche, semblait bien parti pour en être une ; plutôt pour que ce soit Kayo qui le dispute.

T’es sérieux là ? Oui. Non. Il lui semblait toujours être sérieux, mais beaucoup affirmaient que non. Cette fois, pourtant, il ne comprenait pas l’accusation – il venait seulement d’entrer dans la salle commune, eh.

Parce que je te promets, si tu mens, tu vas passer un sale quart d’heure. Voilà, la menace tombe. Ah, mais encore faut-il qu’elle s’en aperçoive, de son mensonge – duquel parle-t-on, déjà ?
Tu voudrais bien me montrer ta baguette, s’il te plait ? Ah ?

« Bah quoi ? C’est ma baguette. »

Ah.
Ah.
La baguette. Exact.

« Mmh, ok, j’ai menti. »

Il haussa les épaules, comme s’il s’agissait de l’acte le plus naturel du monde, avant de sortir la baguette de sa poche pour l’exposer devant ses yeux.

« Contente ? »

Nael comprend, partiellement, que Kayo puisse être vexée de découvrir qu’il avait caché la possession de sa baguette, sans la moindre honte. Il n’en tirait aucun scrupule, dans la mesure où, dans cette situation – comme beaucoup d’autres, à ses yeux – la fin justifiait les moyens. Il était, en revanche, bien incapable de saisir la probable sensation de trahison liée à l’idée qu’il aurait pu s’en servir contre elle – pour la simple raison que cette idée ne lui effleurait justement pas l’esprit. Peut-être en serait-il arrivé là, si la situation l’avait voulu, mais l’adolescent ne se projetait jamais aussi loin dans les suppositions.

« Et quoi ? Vous seriez jamais descendu, sinon. »

C'est lui qui devrait être vexé qu'elles n'aient même pas eu confiance, d'abord.

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05.03.97

Donc même pas tu vas t’excu- La phrase s’interrompt, laissant le garnement échapper aux reproches amplement mérités – laissant, aussi, Kayo échapper à la cruelle négation qui aurait suivi. Outre sa fierté et l’absence totale de remord quant à son mensonge, l’adolescent n’a que trop bien retenu le principe Hayashiesque requérant de ne jamais s’excuser – quelque soit le tort. Heureusement, donc, sa remarque suffit à occuper l’attention de son amie, reprenant alors la dispute d’il y a un mois, qui avait été elle aussi interrompue, par la fin des combats.

Nael ne pouvait dire ce qui l’avait le plus agacé, quand Kayo avait refusé de descendre de cet arbre. Était-ce que la frustration de la voir s’insoumettre à son ordre, la peine de la savoir capable de douter de son amitié ou la colère liée à l’ensemble de la situation – l’adolescent se préoccupe davantage d’obtenir ce qu’il souhaite que des valeurs amicales ; pourtant, qu’elle puisse le croire capable de lui faire gratuitement du mal le vexait.

« Tu me fais même pas confiance. »

Clame le Kitsune avec rancœur, sans saisir qu’aucune confiance n’a lieu d’être lorsqu’une des parties ment à l’autre avec tant de facilité.

Et puis, t’avais qu’à être moins couard et venir nous chercher. Pas ma faute si t’es trop faible pour grimper dans un arbre. Oh, comme c’est bas ! Nael se sent déjà bouillir devant une provocation aussi évidente – et surtout, humiliante. Couard, lui ? C’était entièrement vrai (dans l’absolu), mais le vertige n’a jamais fait partie de ses peurs et grimper aux arbres est un sport auquel il s’essaie aisément.

Elle tend la perche, autant à un moyen de prouver son courage (ou sa stupidité) qu’accéder à un semblant de pardon et l’enfant la saisi, sans la moindre hésitation.

« Peur ? C’est toi qui auras le vertige, rien qu’à me voir tout en haut. Tu seras même pas cap de me suivre ! »

Déjà, il sent ses muscles s’impatienter sous la sécrétion d’adrénaline, à l’idée de relever le défi.

« Ok, samedi, après le repas de midi. »

Et comme pour sceller cette promesse, l’adolescent tendit la main, invitant son amie à la serrer. Mine de rien, leur relation avait repris son habituelle ambiance, oscillant entre complicité et taquineries.

Nael fini par se détourner suffisamment pour venir s’assoir sur un fauteuil à disposition dans la salle commune, croisant les jambes avec un soupir ennuyé.

« De toute façon, si je grimpais vous chercher, Mio m’aurait fait la misère. Je suis pas suicidaire. »

Pas à ce point, en tout cas.

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05.03.97

Le remplace l’expression aux accents de colère, rendant à Kayo les traits enfantins auxquels son visage était habitué. Nael ne se vexe pas, pour une fois, d’être ainsi moqué, s’estimant plutôt heureux de voir les provocations remplacer les reproches. Avec elle, chaque défi prend les allures d’un jeu dont il ne parvenait à se lassait. Ce dernier l’impatientait déjà d’être le week-end, afin de prouver sa supériorité en escalade, persuadé qu’un peu d’action pouvait lui faire avoir le dernier mot.

Parce que seimei nous aurait pas fait la misère quand tu nous aurais emmenées jusqu’à lui peut-être ? Ça, sans aller jusqu’à dire qu’il s’agissait d’un détail qui ne le concernait pas – ce qui ne l’empêchait pas de le penser – il n’y avait pas vraiment réfléchi. En toute logique, il supposait que Seimei leur aurait déjà fait bien moins la misère en les voyant revenir auprès de lui que s’il avait dû les chercher, lui-même, jusqu’au cerisier où elles étaient perchées. Nael aurait plaidé en leur faveur, s’il l’avait fallu.

« Il aurait été plus conciliant que si vous aviez continué à vous échapper. »

Quoi qu’il en soit, la question ne s’était plus posée, une fois l’île remontée à la surface. Néanmoins, l’adolescent continuait à se demander ce qui valait le mieux : s’attirer des ennuis avec le ministère ou faire partie des noms que le suprématiste pouvait retenir comme futures victimes. Nael aimait autant garder une position neutre en attendant de voir l’évolution de la situation.

Heureusement, ses pensées ne l’accaparent pas au point d’ignorer le mouvement de Kayo, levant instinctivement un bras pour se protéger de l’objet venant le percuter, avant de s’écraser au sol – il n’avait pas eu le réflexe de l’attraper. Un livre, franchement ? Bah, cette utilisation était toujours plus intéressante que d’en feuilleter les pages.

Alors, Kayo admet finalement ne pas le considérer comme un danger – la conclusion étant, cependant, plus insultante que réellement positive. Trouillard, qu’elle lance, tandis que son camarade lui tire la langue, comme meilleure répartie.

« On verra qui aura la trouille, une fois arrivé en haut de l’arbre. Si, toutefois, tu arrives jusqu’en haut… »

Et, avec l’indifférence feinte, appuyant l’arrogance de sa réflexion, l’enfant-roi ramassa le livre précédemment percuté pour le faire retourner à son envoyeur.

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05.03.97

Kayo a beau dire, c’est elle qui a été le plus proche d’être assommée. Après lui avoir lancé, elle-même le livre, Nael osait espérer qu’elle était un minimum attentive à ce qu’il faisait ; visiblement : non. Les Kistune sont-ils tous dépourvus d’une attention correcte envers ce qui les entoure ? A priori, oui. En tout cas, la plupart des Kitsune dont il était proche semblait avoir ce trouble plutôt handicapant qui les dissipait facilement – peut-être parce qu’ils étaient tout, plus ou moins, hyperactif.
Il ne serait pas le premier à lui jeter la pierre – plutôt un livre, en l’occurrence – pour la simple raison qu’il avait déjà oublié l’existence de ce dernier, à l’instant où son amie le déposa près d’elle – loin des yeux, loin du cœur, dit-on ; bien que l’expression ne soit pas exactement appropriée.

« Tu te ferai mal toute seule. »

Encore un débat idiot et problématique qui débutait. Mais déjà, Kayo remet le sujet de l’arbre – pas celui auxquels ils comptaient grimper le samedi, même si ça le concernait un peu aussi, mais celui dans lequel elle et Hoshi s’étaient réfugié un mois plus tôt. Et encore une fois, elle touchait (frappait) sa fierté de plein fouet.

« Tss. C’est toi qui vas te dégonfler, quand t’arriveras haut dans l’arbre. D’ailleurs, si t’as peur de descendre, tu te débrouilles. »

Ils pourraient tout deux revoir la notion d’amitié, mais leurs querelles avaient dépassé ce stade depuis bien longtemps, sans qu’aucun ne s’en offusque durablement – Nael n’avait, de toute façon, jamais été le meilleur des amis.

« Ok. Ange ? »

C’est instinctivement que le prénom lui vient, quand il s’agit de désigner un juge impartial. Pas tant pour l’impartialité même de l’individu que parce qu’il s’agit d’un ami commun des deux et, surtout, un des seuls véritables amis sur lesquels Nael compte.

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05.03.97

Gringalet. L’insulte tombe et, à ces mots, Nael ne peut s’empêcher de laisser traîner son regard sur Kayo – dans le but, purement objectif, de jauger sa stature ; s’il avait la moindre arrière-pensée, il en serait surement le premier surpris. Elle est fine, pas particulièrement grande, encore moins musclée. Alors, certes, lui-même correspond tout autant à cette description, donc s’il considère qu’elle devrait se sentir tout autant visée par son insulte ; l’inverse est tout aussi valable.
Une brochette de gringalet insupportable.

Cela dit, le garçon compte sur sa vivacité et son agilité. Là-dessus, ils se ressemblaient tout autant – à ce stade, Kayo devait l’imiter, pour sûr ! – mais il restait persuadé d’avoir l’avantage.
Il le prouverait, dès ce week-end.

« J’aimerais voir ça. »

Le pire, c’est qu’il aimerait réellement. L’adage dit qu’on ne frappe pas les filles, mais quand elles sont aussi revêches, l’adolescent est persuadé qu’une exception peut être pardonnée – en plus, la brune participait si souvent aux quatre cents coups des redfox que c’est un peu comme si elle était un garçon, elle aussi.

« Moi aussi j’aime grimper ; j’ai même pas le vertige. »

Et c’est important de le préciser car, sur les nombreuses peurs pouvant le hanter, celle-ci n’en avait jamais fait partie. Les seules choses susceptibles de l’effrayer, dans les arbres, sont les insectes qu’il pourrait y trouver – un sacré handicap, quand on y pense ; seulement, là ce trouve l’important : Nael n’y pense pas.
En règle générale, Nael ne pense que rarement.

D’un regard mi-vexé, mi-hautain devant cette victoire que son amie – ennemie, rivale ; un peu toutes ces choses à la fois – s’approprie déjà, il se redressa finalement du fauteuil dans lequel il s’était installé. Toute cette histoire finissait par lui creuser l’appétit – en plus de le frustrer ; le Kitsune voudrait lui mettre la pâtée là, maintenant, ainsi le problème serait réglé. Et il avait désormais un origami à envoyer.

« T’as pas intérêt à te défiler, sinon je viendrai te chercher moi-même. Je suis sûr que je peux te porter jusqu’à la forêt. »

Il n’en sait rien, en réalité, si ce n’est que Kayo a tout l’air d’un poids plume. Seulement, il ne pouvait partir sans une dernière provocation.

« A samedi. »