— MAHOUTOKORO
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ne croyez surtout pas que je hurle. solo
Ange Ueda
ne croyez surtout pas que je hurle. solo 5d2070a4fa38dd86cc7dd7d7eea5c1f5
Citation : risus abundat in ore stultorum -- à la bouche du sot, le rire abonde
Age : 17 (29/02)
Rang : 60/100 dsl
Amaterasu
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Ange Ueda
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Ange Ueda
ne croyez surtout pas que je hurle Hier j’ai eu envie de crier à la lune que j’étais pas un bâtard. Elle me regardait comme une mère, et j’ai voulu trouver la mienne—mais comment j’aurais fait ?

J’envie les gens heureux.
J’aimerais me réveiller et aimer ce que je sens, ce que je suis ; j’aimerais sortir de mon lit un sourire aux lèvres (un vrai, pas ceux que je leur offre) et ne pas avoir à craquer une boulette sur ma dent pour ressentir quelque chose. J’envie les gens heureux pour ce qu’ils sont, ce qu’ils sentent—ce qui m’est défendu.

Mais ce matin quand mon pied a touché le sol, je l’ai senti. Je l’ai entendu venir avant même qu’il n’y pense et j’ai glissé sous ma langue une de ses maudites pilules, comme si ça pouvait apaiser sa colère. J’ai fermé les yeux un instant, regardé Mamoru un autre—et je suis parti.
Personne ne m’a dit au revoir, je crois ; je voudrais compter les domestiques mais leurs noms m’échappent et vous savez, quand on dit bon séjour M. Ueda, c’est toujours ironique. Lily, je me souviens de Lily—elle a passé une main fatiguée dans mes cheveux, et j’ai compté les rides de ses yeux.

Et quand je sors, il est déjà là, adossé à sa voiture. On ne se ressemble pas, mon père et moi—je me suis toujours appliqué à m’éloigner le plus de lui, et le moins des autres. Aujourd’hui c’est brun que je me dévoile, le crâne bandé et une tache rougeâtre sur un coin de mon front. Bonjour, Papa, je dis gaiement ; si j’ai peur, il n’a pas besoin de le savoir.
Mais sans doute en est-il déjà conscient.

Monte, il dit simplement, et je m’estime chanceux : pas de cachet avant l’arrivée. Akira, si infortuné soit-il, n’aura jamais la poche vide ; avant d’être un cracmol, il est le fils de Masamune Ueda, et nul fils de Masamune Ueda ne manque de quoi que ce soit. Je soupire, presque discret, et grimpe sur le siège arrière. Son chauffeur ne me salue pas, mais nos yeux se croisent—il a peur pour moi, je suppose. Un relent d’humanité sous le couvert du professionnalisme, belle ironie. Quelques billets suffisent généralement pour acheter son silence.

Et quel silence ! Pareil à celui qui nous submerge, si lourd que j’en oublie de regarder par la fenêtre ; dans l’ambiance qui me tourmente je griffe l’intérieur de mon poignet et je parle, idiot. Koharu Nishimura, ça te parle ?
La voiture tangue—ou peut-être que c’est moi qui chancelle sous la gifle de mon père, je l’ignore. J’ai un petit rire, et lui les sourcils froncés—moment bien choisi, puisqu’on arrive sur ses terres maudites.

Chaque fois que je foule ce sol, un morceau de moi se casse. J’y vois les heures passées à vouloir partir, le retour à sa réalité quand ils ont voulu me guérir ; j’y vois ce soir où j’ai dégobillé dans les bosquets, l’estomac retourné par tous les dragées qu’il m’a fait avaler. Mais j’y vois aussi Saburoo, quand il m’a sorti de cet enfer—aujourd’hui c’est de plein gré que je m’y engouffre, parce que j’ai des questions,
et lui des réponses.

Ne prononce plus jamais ce nom, il persifle. Moi je ris et je me sens puissant, je le dépasse et je file dans la maison, je cours jusqu’au salon. Tu préfères que je l’appelle Maman ? Dis-moi Papa qu’est-ce que tu vois quand tu me regardes ? Un inconnu, sans doute ; je n’ai plus rien qui puisse te la rappeler. J’ai deux ou trois pas de danse et autant de grammes dans les veines—capable d’avaler le monde, il faut qu’il crie mon nom pour que je m’assagisse un instant.

Ses mains autour de ma gorge ne me font pas peur. Ses ongles qui s’y plantent me laissent de marbre et je me dis : quel enfer j’ai traversé, pour crever sous les doigts d’un cracmol ? Alors forcément c’est un sourire qui danse sur mes lèvres et mes propres serres qui cerclent son poignet. Dis-moi ce que tu sais, dis-le à mon cadavre si ça te chante, mais dis-le. Je ne me suis jamais senti si fort, l’arrière-goût de Clochette sur le bout de ma langue—c’est le même pouvoir qui m’a fait lever ma baguette vers mon directeur, le même qui m’a fait exploser le mur de l’infirmerie.
Le même qui me pousse tous les jours à rouvrir la plaie de mon front.

D’accord. Tu veux pas parler ? Moi, je vais parler. Tu n’as jamais aimé que toi, et je suis pas sûr qu’elle ait accepté ; j’veux dire, quand tu parlais d’une pute française c’était crédible, ça impliquait de l’arg—il frappe et la douleur ricoche dans mon crâne, trouve sa source à ma tempe et se propage jusque dans le bout de mes orteils. Mais une sang-pur, une Nishimura ? Ha ! Qu’est-ce que tu lui as fait, pour qu’elle t’écoute ? Tu l’as droguée comme tu me drogues moi ? Ma lèvre s’ouvre lorsqu’il me gifle, la bague à son majeur en fendille la chair et c’est encore du sang qui dégouline, son métal dans ma bouche et sa couleur vermeil le long de mon menton.

Akira lâche ma gorge mais agrippe mon col, me hisse jusqu’à son visage et je crois que je ne l’ai jamais vu si enragé. Ces conneries qu’ils te donnent te montent à la tête, petite merde. Quelques heures dans la chambre devraient te remettre les idées en place. Ah, non—j’ai poussé ma chance et la voilà qui me rie au nez qui s’échappe comme du sable entre mes doigts et subitement je me débats : non, attends, pas la chambre, papa—mais c’est trop tard il m’y tire déjà et je ne pèse rien pour un homme de sa carrure je ne suis rien pour un père de sa grandeur.
Avant d’être un cracmol, mon père est un monstre.

La chambre, ou la chambre noire pour être précis, porterait mieux le nom de placard. Petite pièce sans fenêtre ni meubles, rien qu’un futon jeté au hasard des quelques mètres carré qui la composent et une bougie, pour me tenter de l’allumer d’un coup de baguette ; il m’y enferme quand ses pilules parasitent mes sens de ce qui n’existe pas, ou quand je m’oppose à lui trop fermement.

J’aurais dû m’y attendre, mais ça ne m’empêche ni de crier ni de griffer, de m’accrocher aux embrasures de toutes les portes qu’on traverse—ça ne l’empêche pas de rire et de m’agripper par les cheveux, de me traîner à sa suite et de me faire heurter le mur de la chambre étroite. Si je hurle, si je gratte le bois dès qu’il le referme devant moi, peu lui chaut ; il ne m’entend plus. Car c’est là la particularité de cet endroit lugubre, son entrée camouflée par un tableau—insonorisé de part en part, qu’importe mes efforts personne ne m’entend, personne ne me sait perdu dedans.

Je ne sais combien de temps passe, mais je ne dors pas. Non, je le perçois au-delà de ma prison et j’imagine la bougie allumée, je fantasme sa lumière et sa chaleur pour rendre ma pénitence supportable ; et quand enfin j’entends la poignée, quand la porte s’ouvre et qu’il me fait face, je sais ce que je dois dire. Je suis désolé. J’ai mal agi, je serai sage. Chaque mot me brûle la gorge et son rictus m’achève mais je l’encaisse et dessine sur mes lèvres un sourire poli, façonné de toutes pièces.

Ce soir, mon père disparaît dans son bureau. Il n’y a plus que ses domestiques et tous évitent soigneusement mon regard, préfèrent prétendre que je n’existe pas ; quand l’une d’entre elles sert à ma table un bol de ramens, je lui prends la main. Tu as pour lui depuis avant ma naissance. Dis-moi qui est Koharu Nishimura pour mon père. Saori—c’est son nom—n’avait jamais approuvé le comportement de mon père. Pas que les autres soient d’accord avec lui, mais elle se faisait un devoir de toujours contrecarrer ses traitements par des repas chauds, parfois amenés directement dans ma chambre.

Aujourd’hui je la vois qui tressaille au nom de ma mère, et je sais. Elle ne résistera pas ; Saori ne résiste jamais bien longtemps. Mes doigts s’enroulent autour des siens et les rides de ses yeux s’accentuent dans sa risette maladroite, grand-mère qui n’avait jamais eu l’occasion de rencontrer ses petits-enfants. Madame était… D’une douceur exemplaire. A l’époque, Monsieur n’était pas tel qu’il est aujourd’hui. Il était tendre avec nous, presque aimable—voyez mon statut qu’il partage… Nous autres sorciers sans magie, nous souffrons de notre condition plus qu’on ne le soupçonne. Mais… Il prenait le temps de nous rassurer, et Madame nous acceptait. Griffes serrées d’appréhension dans le creux de sa main, je laisse choir mes baguettes et bois ses mots plutôt que mon bouillon.

J’ai rarement été témoin de l’amour, A-Ange, elle peinait toujours à user de mon nom, plutôt que de mon statut—mais j’avais insisté jusqu’à ce qu’elle plie l’échine, mais je peux vous assurer qu’entre eux, il existait dans sa forme la plus pure. Ils ne se voyaient que très peu, et les absences de Madame pesait sur nos épaules à tous… Un jour, Monsieur est rentré furieux, et vous a jeté dans mes bras sans cérémonie. Elle n’est plus jamais venue, et il nous a défendu de la mentionner. Quelques larmes brillent dans son regard, et je me demande à quel point cette femme peut être exceptionnelle, pour avoir adouci mon odieux père et manquer encore à une pauvre domestique une quinzaine d’années plus tard.

D’accord. Merci, Saori, et désolé si j’ai rouvert de vieilles blessures. Elle me sourit et m’embrasse le crâne, me conseille de faire profil bas et je pense, naïf, que c’est là la fin de mon tourment.
Akira ne me maltraite pas tant, quand on y pense : il me hait un jour, me gave de ses médicaments le second, et m’oublie le reste du temps. Moi je meurs et je reste coincé dans ce corps qu’il drogue, et si de mes lèvres la mousse jaillit, c’est Saori qui prend soin de moi. J’ignore ce qu’il attend, ce qu’il voit lorsqu’il me regarde.

Mais cette fois, j’ai mordu à pleines dents dans une plaie infectée depuis plus d’une décennie. Cette fois, d’un simple nom j’ai signé ma perte ; et le mal qui rongeait mon père le happe quand je songe à me retirer, et que je viens lui souhaiter bonne nuit.
Il est assis dans le salon, fixe la cheminée qui craque et me rappelle l’école. Une bouteille vidée aux trois quarts gît à ses pieds, mais je n’ai jamais été très observateur quand il s’agit de me protéger. Papa. Je vais me coucher, je dis bêtement ; j’ai toujours dû le prévenir, sans attendre qu’il me souhaite une bonne nuit.

Assieds-toi. J’aimerais protester, mais le noir de la chambre reste coincé dans ma gorge et la peur que j’avais oublié revient au galop.
Je m’assois face à lui—il ne me regarde pas.

Je n’ai jamais voulu de toi. Pas tout seul. Ah, il hoquète un peu. Il ne sait plus ce qu’il dit. J’avais voulu l’épouser, puis avoir un enfant. Une fille, sans doute, pour la protéger. Mais je n’ai même pas su protéger Koharu, et en lieu de tout ce bonheur, j’ai hérité de toi. Il se lève et je me recroqueville dans mon siège ; lui titube jusqu’à moi, tire sur mes cheveux pour me forcer à le regarder. Ni garçon ni fille, à peine assez doué en magie pour changer d’un jour à l’autre. Mais qu’importe ce que tu es, qu’importe le dégoût que tu m’inspires ; tu es tout ce qu’il me reste d’elle.
Et tout en parlant il lève à ma lèvre ses psychotropes d’enfer, et moi je les avale docilement. Je m’endors là et je l’entends qui dit, la voix mouillée comme s’il pleurait : même pas capable de lui ressembler.
Nous n’en reparlons plus jamais.