Le fléau de la discrétion
Quelle horrible malédiction tu subis-là… Est-ce les dieux qui ont décidé de te maudire au point que tu ne puisses plus saluer tes amis sans leur donner la peur de ta vie ? Elle agit telle un poids sur tes épaules, et parfois même, voir tes proches sursauter te fais toi-même sursauter. Comme si ton infortune se retournait contre toi. Tu n’as pourtant rien demandé, tu ne désires que pouvoir passer du temps avec tes amis sans craindre de les terrifier. Mais pour cela, encore faut-il en être capable, et cela, ce n’est pas dit.
Pourtant, tu n’es pas seul dans cette panade. Takumi, ton oncle préféré, subit le même fléau… Lui aussi, on ne l’entend pas quand il marche, on se fait surprendre et on le craint. Toi, tu n’en a jamais vraiment eu peur, non pas que tu ne le respecte pas, mais parce que tu l’as toujours beaucoup apprécié. Il n’y a que très peu de personnes, chez les Awataguchi, que tu n’aimes pas. Il faut dire que ce sont plutôt les autres, qui ne te supportent pas. Pour une raison que tu ignores…
-Mon oncle.
Tu lèves les yeux vers Takumi dont la silhouette s’est dévoilée, alors que tu as frappé à la porte de son bureau. Tu as pris l’habitude d’aller le voir, appréciant vos conversations des plus agréables et pertinentes. Bien sûr, il te laisse passer et tu entres déjà dans la pièce, déposant ton sac dans un coin. Tu es allé le voir bien après les cours. C’est surtout à ce moment-là ou au début que tu subis ta malédiction au plus fort. Cela devient assez insupportable pour toi.
-Quelle horrible malédiction je subis-là…
Tu souffles de ton habituelle voix monotone et dénuée d’expression, tandis que tu t’assois sur le confortable fauteuil.
-Vous devez souffrir tout autant que moi de ce fléau qui nous a touché… Faire peur à ses propres amis, c’est triste.
couleur • tristesse.
Il n’y prêtait pas grande importance, peu intéressé par autrui, mais il n’avait pas manqué les regards interrogateurs, les mines terrifiés.
Mais Takumi le savait, il n’avait plus l’air humain, et silencieusement il avait accepté qu’on puisse le trouver monstrueux.
Et alors qu’il s’était simplement résolu,
Une solution lui fut offerte, et le traitement tant attendu fit effet.
La corne disparue, son apparence d’antan retrouvé, il ne gardait comme séquelle qu’un œil qu’il préférait cacher au monde et une humeur plus froide qu’elle ne le fut par le passé.
Le nez dans ses dossiers, l’air fatigué alors qu’il lisait les absurdités de ses élèves – était-ce réellement possible d’être aussi stupide ou n’avait-il pour simple intérêt que de gambader gaiment dans les couloirs de Mahoutokoro ? Il se questionnait sérieusement alors que la porte s’ouvrait sur l’un de ses neveux : Akashi. Un garçon sympathique avec qui il appréciait passer du temps.
Ses yeux se relevait, son éternelle froideur accueillant le jeune garçon, alors qu’il plaçait son menton sur le dos de ses mains.
Un sourcil levé, il aurait certainement ri légèrement s’il était encore dans ses plus jeunes années, mais seul un air interrogateur planait sur ses traits avant qu’il ne saisisse ses mots.
Et comme toujours lorsqu’Akashi venait pour cette raison, Takumi ne dit nul mot. Que pouvait-il répondre, il se fichait bien de ce qu’autrui pouvait penser de lui désormais.
Takumi le comprenait un peu, mais la raison de leur discrétion n’était pas la même. Le professeur avait été élevé pour se montrer silencieux lorsqu’il le fallait, alors que son neveu ne faisait pas cela volontairement.
C’était, en effet, un peu triste.
Le fléau de la discrétion
Tu pénètres dans le bureau de Takumi, ton masque toujours sur le nez. Tu ne l’enlèves que pour dormir, celui-là. Il est ta protection ultime. Et tu rêves d’un monde où ce serait la norme de porter un masque en toutes circonstances : dehors, en intérieur, avec ses proches… Un monde parfait dans lequel tu serais roi. Tu délaisses ton sac au pied du siège qui fait face au bureau de ton oncle. Il est plongé dans du travail et tu demandes ce que ça peut bien être. Peut-être des copies. En tout cas, il a l’air tranquille, il ne te semble pas préoccupé. En même temps, tu ne sembles pas préoccupé non plus, tu as la mort sur le visage. Tu laisses mollement retomber tes bras le long de ton corps, tes coudes reposant sur les accoudoirs de ton siège, tandis que tu laisses courir ton regard sur les babioles qui reposent ici et là sur le bureau. Tu observes parfois la plume de Takumi s’agiter au fil de l’écriture, alors qu’il te demande s’il y a un problème, et semble acquiescer de la souffrance que c’est d’être trop discret.
-Oui, mon oncle…
Tu hoches doucement la tête, passant les doigts de ta main droite, autour de l’élastique de ton masque pour l’ajuster, alors qu’il tire légèrement sur le cartilage.
-Je subis la même malédiction que vous… Celle d’être trop discret et de faire peur à ses amis, dès que l’on s’approche d’eux. Ils poussent à chaque fois un cri de surprise qui m’endolorie les tympans, et me crispe. Je ne sais pas comment vous faîtes pour vivre ainsi.
Tu laisses échapper un soupir à en fendre l’âme, alors que tu continues de regarder la plume qui bouge parfois. Lentement, tu agite les doigts, suivant le rythme d’une musique inconnue. Tu fais cela aléatoirement, tandis que le silence s’impose à nouveau dans la pièce. Quiconque pénétrerait ici serait mal à l’aise et trouverait bizarre que deux personnes restent assises l’une en face de l’autre sans prononcer une seule parole. Mais c’est quelque chose qui est habituel chez Takumi et toi, quelque chose qui ne t’embarrasse pas, un moment que tu apprécies. C’est quelque chose d’un peu privilégié avec ton oncle. Vous vous comprenez et vous complaisez dans le silence.
Depuis l’enfance, Takumi avait toujours eu une calligraphie superbe, lisible et gracieuse, comme s’il caressait simplement le papier de son pinceau. Certaines copies illisibles, le professeur se demandait comment il fut possible d’écrire si mal. Un las soupir s'échappa de sa gorge alors qu’il portait sa main à son front.
Une discussion bien agréable
Tu te mords la lèvre inférieure derrière ton masque, alors que ton oncle te répond. C’est vrai qu’il était jadis muni d’une corne qui terrifiait bon nombre de tes cousins et enfants des autres clans. Toi aussi, tu avais peur de cela. Non pas parce que tu t’inquiétais pour la santé de Takumi, ou parce que tu craignais qu’il ne soit devenu un monstre… Mais bien parce que tu étais apeuré que cela ne soit contagieux. Alors, lorsqu’il était dans les parages, tu rasais littéralement les murs et évitait le moindre contact physique avec ce dernier. Tu ne voulais prendre aucun risque, qui sait la forme que sa maladie aurait pu prendre sur un enfant de ton âge ? Peut-être as-tu échappé à la mort, qui sait.
-Oh oui, je m’en souviens mon oncle. C’était horrible à voir, et vous deviez beaucoup souffrir.
Tu réponds en hochant la tête.
-Et je n’ose imaginer mon état ou celui d’un autre membre de notre clan si vous lui aviez propagé votre mal. On ne sait pas si c’était contagieux, au final.
Tu ajoutes, par la même occasion. Personne n’aurait pu le savoir, à moins d’être muni d’un diplôme de médecin. Tu finis par soupirer, baissant légèrement la tête en silence. Tu n’as plus grand-chose à dire, alors tu te tais. Il n’est pas rare que toi et Takumi restiez assis, l’un en face de l’autre, et vous contentiez de laisser vos pensées défiler dans votre esprit. Pour ta part, tu aimes être en sa présence dans forcément parler. C’est agréable et ce sont des moments avec ton oncle auxquels tu ne dérogerais jamais. Tu ne sais pas ce qu’il en est pour Takumi mais tu supposes que c’est la même chose pour lui, non ? Sinon, il t’aurait congédié.
Le silence continue de s’imposer dans la pièce. Tu laisses courir ton regard sur le bureau de ton aîné qui a repris ce qu’il faisait. Toi, tu n’as pas vraiment d’occupation, à part regarder les alentours. Tu arrêtes tes pupilles sur la fenêtre et perd ton regard sur les nuages qui prennent des formes diverses et variées. Tu vois passer un lapin, un balais de Quidditch, un vif-d’or et tu penses-même voir passer une fleur de lotus. Tu es plongé dans cette contemplation durant une bonne heure avant de finalement, te redresser.
-Merci, mon oncle. C’était très agréable.
Tu finis par dire. Tu attrapes ton sac que tu pends à ton épaule et salut respectueusement Takumi.
-J’espère que nous pourrions discuter plus souvent, vous et moi.
Nullement doué pour montrer les sentiments qu’il animait, il parlait sans se soucier de la froideur de sa voix, conscient qu’il ne pouvait changer ce fait.
Il n’était guère quelqu’un qui allait se plaindre de ses maux, s’il était malade – ce qui n’était pas arrivé depuis des années – il taisait son mal et s’isolait simplement pour continuer à travailler sans contaminer autrui.
Un signe de tête en guise de salutation, le professeur reprenait son travail avant de relever les yeux un instant.
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