YASU!! qu’il hurla à l’échappée de son surveillant, happé par ta présence familière - le travers de la rétine brillait d’une malicieuse affection, son accoutrement ridicule en témoignage de ses ambitions. Car Ange était alors affublé d’une nappe rouge, supposée reproduire la grandeur des capes des plus terrifiants corsaires ; son oeil écopait d’un cache d’abord là pour aider la guérison de son infection, mais qu’il avait diligemment recouvert d’encre noire pour se réinventer roi des pirates. Cama.. Camarade, il est temps pour nous- d’exploiter ces terres qu’on connaît pas. Cousin Ueda ricana sans gêne, susurrant au mioche que le terme approprié était explorer. Soit. Peu importe. Allons! J’ai même un cache-oeil pour toi, si tu veux. Et une chaussure marron, pour la jambe de bois. Mais je sais pas si tes pieds sont pas trop petits. Il tendit ses trouvailles sans cacher une once de sa hâte, déjà convaincu qu’entre les amas de forêt (comprenez: les buissons) se cachaient moult trésors enterrés par feu leurs comparses.
Bateau Pirate (flashback)
Tu reconnais le cri de guerre qui t'es adressé. Il est habituel. Une constante dans ta petite vie d'enfant. Une lumière éblouissante qui t'attire comme un papillon. Tu te sens aspirée par cette présence. Inexorablement. Comme si ton monde se trouvait là.
Et là, tu te sens bizarre. Comme quand t'as mal au ventre d'avoir mangé trop de bonbons. Sauf que t'as pas mal au ventre. Ni ailleurs. Et que tu n'as pas mangé de bonbons. C'est trop bizarre.
En vérité, tu te sens excitée comme une puce à l'idée d'aller jouer avec Ange. Tu ne le sais juste pas. Impatiente, tu laisses s'exprimer tes émotions. « Ange Ange Ange. Viiite. » Comme s'il marchait trop lentement. Tu prends à peine le temps de saluer son cousin, t'as l'habitude de le voir, que tu détailles l'accoutrement de ton partenaire d'aventure. « T'es trop cool ! » Avec la cape de super-héros et le cache-œil de pirate. Complètement prêt pour l'aventure. Contrairement à toi qui ne portes qu'un t-shirt large et un short de sport. Au moins, t'as des baskets.
T'aimes beaucoup trop venir jouer au parc avec Ange. Au moins avec lui, tu peux vivre de grandes aventures et jouer. Quand il est là, tu as quelqu'un avec qui jouer. Sinon, tu n'as pas le droit de sortir de chez-toi.
Devant la tirade pleine de charisme de ton ami, négligeant l'intervention de son cousin, tu ne peux que te montrer enjouée. « Oui mon capitaine ! Partons exploiter ! » Et tes yeux brillent devant le cache-œil qui t'est offert. Comme si c'était le plus beau trésor, la plus belle merveille du monde. En revanche, tu tiques devant la chaussure. « Hein ??? Pourquoi c'est moi qui doit avoir la jambe de bois ? J'ai pas envie d'être nulle ! » Parce que ce n'est clairement pas cool comme blessure de guerre ça. Et tu ne peux pas courir avec ça...
Un soir, en pleine tempête, on avait réussi à trouver un trésor. Mais il était gardé par des squelettes vivants! J'ai été trop rapide, et ils m'ont coincé. Tu m'as sauvé la vie et t'y as laissé ta jambe, mais tu as gagné mon respect. Souvenirs d'un des livres des cousins les plus érudits, des histoires qu'on lui contait encore pour l'aider à couver des rêves fantasques. T'es pas nulle, Yasu. T'es mon héros! Et l'ombre d'un rictus se dessina le long de ses lippes rongées, taquin. Mais si tu veux on inverse, et c'est moi qui t'ai sauvé la vie.
Bateau Pirate (flashback)
T'es sceptique et ta bouille se fait boudeuse. Tu n'es pas franchement sûre que ce soit une chouette blessure. Surtout que le bois ce n'est pas tout doux comme la peau. Rien que ça, c'est nul... En revanche, t'imagines parfaitement la situation. Tu le laisses t'éborgner d'un quelconque bout de foulard. Et tu vois parfaitement les squelettes attaquer ton ami. Tu hoches la tête. « Oui, on a perdu Coco dans l'attaque ! » Le perroquet. Parce que tu n'es pas sûre que le cousin d'Ange accepte de jouer le rôle du perroquet, donc vous l'avez enterré ce jour-là. Paix à son âme.
Tu ne sais pas si le respect est si cool que ça, néanmoins, tu te sens stupidement flattée d'avoir celui d'Ange. Tellement que tes yeux brillent quand il t'appelle son héros. Et tu secoues négativement la tête pour lui signifier que c'est toi le héros qui lui a sauvé la vie. « Je t'ai sauvé la vie, mais c'est toi qui m'a soigné ! » Comme si c'était ta plus grande fierté d'avoir été soigné par le roux. « Ça faisait vraiment mal. Et t'as pu ramener et protéger le trésor aussi. Et après on est reparti dans la tempête. Parce qu'on a pas peur ! On est des vrais pirates. Pas des marins d'eau douce ! » T'as entendu cette expression une fois. Même si tu ne l'as pas franchement comprise. « Et on a pris une énoooooorme vague dans la figure. » Et t'es complètement dans l'histoire Yasu.
« Hé ! On part chercher un trésor ? » La malice se mélange à l'innocence dans ton regard.
On est des guerriers, Yasu. Allez, moussaillon, hissez les voiles! A bâbord, et on va jusqu'au bout de la mer! Jargon arraché à divers films et livres qui s'attelaient à le divertir, enfant-brigand s'arma d'une branche gisant sur le sol et fronça les sourcils pour illustrer son incommensurable sérieux. Accroche-toi à moi si t'as mal, il parait que les trucs coupés continuent de piquer même après que c'est une cicatrice. Les mots s'emmêlaient vicieusement mais lui tira sur ta main dans un large sourire, t'attirant jusqu'au sommet du plus grand des toboggans. Alors! Quel cap on suit? On a... le grand marécage, à savoir un fouillis de buissons épais, l'océan rouge, le bac à sable, ou encore la grande prison des pirates... Lequel tu veux? Les mains encore serrées en visière, il tourne vers toi son plus radieux sourire.
Bateau Pirate (flashback)
En réalité, quand tu y réfléchis, c'était un peu nul comme nom Coco. Mais tous les perroquets de pirate s'appellent Coco... Ça doit être une règle tacite.
Des guerriers, ça sonne bien. Tu hoches la tête pour confirmer. Moussaillon te fait toujours penser à la mousse de ton bain. C'est rigolo de jouer avec la mousse. Alors tu aimes ce nom. Même si en réalité, il prouve juste ton infériorité envers le capitaine.
Le bout de la mer, c'est trop bien comme idée, mais... « Hé c'est où Bâbord ? » Si tu ne connais pas l'endroit, comment tu peux y aller ? Tu n'es pas aussi calée en piraterie que ton camarade. Ni en terme de blessure apparemment. « Ah bon ? Mais ça doit trop faire tout le temps trop mal ! » Le tout dit très maladroitement. « Et comment on peut avoir mal à la jambe si on a plus la jambe ? » Ce point te laisse particulièrement perplexe. Mais tu hausses les épaules quand Ange t'entraîne au sommet du monde. Aka le toboggan.
Tu réfléchis une seconde, le nez froncé par la concentration. « J'veux pas la prison. Si on libère les autres y vont nous voler nos trésors. » C'est inadmissible. Oui, quand tu es à fond dans le jeu, tu deviens égoïste. « Mais l'océan rouge a l'air cool. » Ça en jette carrément comme nom déjà. T'as déjà vu de l'eau rouge quand ta maman t'as fait prendre une douche après un gros bobo qui saignait beaucoup. Il doit y avoir beaucoup de bobos qui saignent pour que l'océan soit tout rouge. Sans expliquer ta logique, tu poursuis. « Le monstre qui vit dedans est super méchant ! » Mais foi de Yasu, t'as pas peur ! Enfin si, un peu. Toutefois, Ange est avec toi, donc ça va. « Viens ! » Cette fois, c'est toi qui entraînes Ange. Marchant difficilement avec cette chaussure trop grande. Mais c'est cool parce qu'on dirait que tu boites.
Ainsi, commence votre périple pour rejoindre la grande rougeur. Ça aussi, c'est cool comme nom !
Océan en destination finale, l’arme toujours solidement serrée entre ses doigts maigrelets. Les plus beaux sourires tiraient sur ses lèvres, ponctués d’éclats de rire face à ton enthousiasme réciproqué. Tu l’attiras jusque dans les fonds marins et Ange trépignait à l’idée de faire face au terrible kraken y vivant, son sabre juste assez tranchant pour en découper finement la tête - qu’on lui fît face, l’enfant s’y était préparé sur toute sa longue vie de roi des pirates. Eh, Yasu! Regarde, j’peux faire un truc trop cool. Mais tu dois le dire à personne, Tonton aime pas quand je le fais devant les gens.
Il s’arrêta alors aux abords du terrain hostile et, d’une grimace, éclaircit quelques-unes de ses mèches de plusieurs tons - jusqu’à obtenir du blond parmi le roux. J’ai des super-pouvoirs!!! Ca veut dire que je suis invincible. Donc si t’as peur, compte sur moi, ok? Toujours. Son torse s’était bombé d’une indicible fierté et sa main tendue vers toi dans une promesse sous-tendue.
Bateau Pirate (flashback)
Si Ange sait pas non plus, ça donne encore plus envie d'y aller. Va pour la droite du coup ! De toute façon, tu ne peux pas te perdre parce que tu sais où est ta droite. C'est là où t'as le pouce à gauche ! Bien que tu n'aies pas compris pourquoi tout le monde a rigolé quand ton papy a dit ça.
Oublie jamais ta jambe, Yasu. Tu hoches la tête avec un sérieux inégalé. Ne pas oublier ta jambe. C'est logique que si elle se sent délaissée, elle va se manifester à toi. Comme les bébés qui pleurent pour avoir l'attention de leur maman quand ils ont faim ou mal. Ta jambe doit être pareille quand elle est coupée. Alors tu vas faire attention et bien y penser. Tout le temps. Tel un mantra.
En chemin vers la grande aventure, ton camarade t'interpelle. Pour un truc trop cool à te montrer. « Trop cool comment ? » Tu ne comprends pas trop pourquoi son tonton ne voudrait pas qu'il te montre un truc trop cool. Si c'est trop cool, faut le montrer à tout le monde justement. Enfin, toi, tu le ferais ! En tout cas, t'es contente qu'il décide de te le montrer quand même. Tu t'interromps dans tes réflexions quand tu vois les cheveux d'Ange changer un peu de couleur. « Ouaaaaaah !!!!!!!! » Tes yeux sont agrandis, rivés sur les mèches devenues blondes. C'est génial comme super-pouvoir ! Tu hoches la tête les yeux pétillants comme jamais. Bien sûr que tu comptes sur lui. Et tu prends la promesse au pied de la lettre. Tu compteras toujours sur Ange. Pour toute la vie. Même quand tu seras toute vieille et toute fripée comme quand tu sors du bain.
« Comment tu fais ça ? T'as vraiment des super-pouvoirs ?! Ouah ! Mais c'est trop génial ! Et tu peux faire autre chose ? » Et tu deviens un moulin à paroles qui pose plein de questions. Mais même si t'es béate d'admiration, tu ne peux pas le faire en silence. Ni en restant immobile puisque tu commences à sautiller sur place. Démontrant une certaine impatience. Tu veux tout savoir et tu ne doutes pas un instant des paroles de ton ami. Ne démêlant pas le vrai du jeu. Ces paroles font foi d'évangile pour toi. C'en est presque effrayant.
T'en oublies pas pour autant l'aventure dans laquelle vous vous lancez. « Ça veut dire que si le monstre y t'attaque tu vas rien sentir ? » Tes réflexions se croisent et s'entrechoquent au fur et à mesure qu'elles arrivent. « Ou alors, il peut pas t'approcher tellement t'es trop fort ! » C'est beau d'être un enfant, n'est-ce pas Yasu !
We pillage plunder, we rifle and loot.
Stand up me hearties, yo ho.
We kidnap and ravage and don't give a hoot.
Stand up me hearties, yo ho. — A pirate's life for me // The Mellomen
Les chaussures ayant à peine franchi la porte d’arrivée, les adultes à peine salués, tu as laissé l’excitation pulsant dans tes veines prendre le pas sur la retenue. Le myocarde palpite et les jambes d’enfant s’activent, courant après sa destinée la plus proche : Ange et Yasu ! Tu n’as pas même cherché à savoir où ils pouvaient se trouver, prenant parti qu’ils devaient se trouver à la base habituelle – parce que, comme tous enfants, vous vous deviez d’avoir votre planque secrète ! Pas si secrète, puisque les parents venaient parfois vous y chercher pour rentrer… pas drôle.
Enfin, la destination est en vue, tout comme tes deux comparses. Le rythme se ralenti, la discrétion se fait de mise. L’enfant aux yeux verts prend des allures de félin, repérant ses proies, observant leurs mouvements. A quoi jouent-ils ? C’est important de le savoir pour rejoindre l’intrigue sans casser tout le délire. Et – Ah ! Les lâches ont osés jouer aux pirates sans t’attendre, toi qui t’élu roi parmi les bandits. Tu vas leur apprendre à te respecter un peu mieux.
« Garde à vous, marins d’eau douce ! Agenouillez-vous devant le grand pirate, barbe noire ! »
Tu t’avances fièrement, ramenant des mèches de cheveux noirs devant ton œil droit, pour donner l’illusion d’un bandeau sur un œil meurtri. Tu remarques rapidement que les deux autres enfants ont chacun un œil manquant, eux aussi, mais tant pis. Toi tu auras juste l’air d’un pirate mystérieux avec une moitié de visage caché derrière ses cheveux.
« J’ai dit, à genoux ! »
Et tu te prends au jeu, brandissant la veste légère que ta maman t’a forcé à emporter – comme si t’allais avoir froid ! – comme une cape. Le vert et le rose de la dite cape surement bien trop flashy pour un pirate… mais barbe noire a son propre style désormais !
Garde à vous, marins d’eau douce ! Agenouillez-vous devant le grand pirate, barbe noire ! La rétine luisait d’une excitation sans borne à l’arrivée inopinée de son cousin et, malgré son insistance à les voir sur les rotules, Ange ne put que s’élancer à sa suite et le tacler au sol dans une effusion d’amour, parsemant son visage poupin d’affectueux (et bruyants) baisers. Yume, t’es venu ! Il criait et serrait le gosse entre ses petits bras maigrichons, en dépit de leur guerre pourtant évidente - ah, piètre acteur qu’il était alors, à abandonner son rôle au détour d’une simple perturbation !
Quand la surprise se dissipa - et l’immanquable besoin de respira s’imposa - il se redressa enfin, relâchant sa victime dans un soupir rêveur. Ah, Yasu, s’exclama-t-il alors en se tordant en arrière, je suis fait prisonnier. Barbe noire ici est notre pire ennemi - et mon grand frère ! Dramatique à souhait, il s’effondra aux côtés de son cousin et porta une main à son coeur, désabusé. J’avais juré sa perte, mais les souvenirs prennent… Trop de place. Je l’aime encore, je crois, et je préférerais mourir que de le battre.
Convaincu que la mort l’attendait, il prit le visage de Yume entre ses mains et renifla. Et même si la haine t’aveugle, mon frère, ne crains rien. Un jour, nous reverrons le soleil. Les souvenirs de milles lectures sillonnaient son esprit, citations matraquées dorant ses discours d’une maturité factice.
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