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Un matin sans bruit. Kozuka ouvre les yeux sur une chambre vide. Elle reste quelques minutes à fixer le plafond, sans émotion aucune. Se sentant dénuée de toute envie, de toute pensée. Rien qu’une carcasse vide enfoncée dans son lit. Aujourd’hui était un jour sans cours, sans devoirs, sans ordre. Sans obligation aucune. Un dernier battement de cils et la jeune fille s'assoit dans son lit, se frotte les yeux pour finalement se lever. La routine s’installe alors dans son corps en marche automatique. S’habiller. Sortir de la chambre. Manger. Toujours l’esprit démuni d’une quelconque volonté.

Lors de ces matinées, Kozuka avait son apparence la moins engageante. Lèvres pincées. Moue hautaine et sourcils arqués au rendez-vous pour chacun de vos gestes. Une conversation trop animée à ses côtés lors de son petit-déjeuner ? Un regard de jugement appuyé et Kozuka change de place. Elle sait très bien que cela alimentera sa réputation d’élève peu amusante, désabusée, mais au point où elle en était, Kozu se complaisait désormais totalement dans son rôle de sang-pur condescendante, au moins cela lui permettait de ne pas avoir à interagir avec quiconque lors de ces longues journées.

Après son repas venait l’un des moments les plus importants de sa journée. En fait, son corps n’était animé que par deux objectifs : entraîner son corps et son esprit au dojo, ou aller prier au sanctuaire de l’île. Ce dernier attendrait que Kozu se soit pleinement éveillée. Elle se regarda dans un miroir après avoir revêtu son hakama. Elle se sentait déjà un peu plus vivante. Moins vide. Avec un petit sourire satisfait de ce qu’elle voyait, l’élève remonta ses cheveux et les fixa en un chignon à l’aide de sa baguette claire en forme de kogai. C’est ainsi qu’elle se dirigea finalement vers le dojo.

En arrivant, seule dans la pièce, elle inspira en fermant les yeux. La douce odeur des tatamis tressés balaya la dernière sensation de néant de son cœur pour laisser place aux doux souvenirs d’entraînement avec son père. Elle effectua le même échauffement que dans sa mémoire. Puis un accio lancé sans rouvrir les yeux, un bô tombé entre ses paumes et Kozuka se met en position pour un kata. La sensation du bois contre sa peau, le poids du bâton dans ses mains font lâcher un sourire à Kozuka, sourire qui restera collé à son visage avant qu’elle n’entende des pieds fouler les tatamis. Ouvrant les yeux pour les poser sur l’individu, elle le salue d’un mouvement de la tête tout en se départissant de son sourire afin de recouvrer un air plus sérieux.

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Kozu mis un peu de temps à sortir de son monde pour réellement fixer son attention sur le garçon. Nous avions donc affaire à… Kazuki. Nouvelle recrue du club. Son regard analysa le Kitsune de haut en bas. Il n’était même pas en tenue… Cependant, le jugement de Kozu resta en suspend en appréciant, bien qu’il l’ait stoppée dans sa rêverie, le fait que l’adolescent soit venu un dimanche. Plus qu’une bonne performance, la jeune femme appréciait encore plus l’envie de bien faire. Même si cette apparence aurait pu être améliorée, sa présence était appréciable. Kozu se redressa en entendant Kazuki lui demander de lui montrer les bases. Ce serait la première fois que le rôle d’aîné lui était confié et elle comptait bien en profiter pour s’en enorgueillir- mais aussi pour faire bonne impression au nouveau.

- Bien sûr, on est là pour ça. Ne t’attend pas à t’améliorer tout seul dans ton coin, renchérit-elle en arquant légèrement les sourcils. Mais va d’abord chercher une des tenues d’entrainement à disposition pour les cas… comme le tiens.

Kozuka attendit alors que le garçon revienne, plus ou moins bien apprêté. Il avait l’air vraiment peu sûr de lui et Kozuka rassembla toute sa prestance pour ne pas montrer la pression qu’elle se mettait elle-même sur les épaules. Il y a certes de mauvais élèves, mais s’ils sont désireux de s'entraîner comme Kazuki en donnait l’air, alors la faute de leur échec incombe bien souvent à un professeur dénué de pédagogie. Elle apprécia de le voir saluer la salle en entrant sur les tatamis.

- Je vais d’abord te montrer l’échauffement que tu devras effectuer à chaque fois que tu voudras t’entrainer. Tu peux venir en avance si tu as besoin de plus de temps mais une fois sur les tatamis, ne nous attend pas pour t’échauffer. Ça fait parti de l’entrainement autant que le reste, donc soit sérieux en t’étirant.

Kozuka lui montra alors un échauffement complet, en essayant de lui montrer sur quelle partie du corps il devait se concentrer pour bien effectuer les exercices. Un bon échauffement est synonyme d’un entraînement efficace ainsi que de courbatures inutiles évitées. Après vingt bonnes minutes, Kozuka essaya de ne pas montrer son ennui- en effet, bien qu’elle ait indiqué qu’ils doivent être effectué avec sérieux, c’était une partie qu’elle trouvait extrêmement longue, encore plus ce jour-ci où elle effectuait cette partie pour la deuxième fois.

- Il va falloir travailler un peu la souplesse… Mais ça se travaille sur la durée, donc ne t’inquiète pas pour l’instant. Cela dit je te conseille de t’étirer tous les jours. Bien, on va pouvoir passer à la suite!

Kozu fit une pause. … La suite. Qu’est-ce qu’on étudiait au début? Elle ne laissa rien paraître sur son visage, mais commença à paniquer. L’idée d’être un mauvais mentor, même pour une journée, fit poindre une légère couleur rosée à ses joues.

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Kozu regarda le jeune homme finir ses échauffements.

- Souple comme moi..? Je m’entraine depuis que je sais marcher, ça me semble évident que tu ne puisses pas être aussi souple tout de suite. Mais le secret de la souplesse, c’est la rigueur.

Et souffrir. Mais ça, le Kitsune s’en rendrait vite compte. Les arts martiaux requièrent une rigueur que certains ne peuvent appréhender. C’est en général un obstacle qui écarte bon nombre de mauvaises herbes et Kozuka jugeait particulièrement les nouveaux arrivants là-dessus. Certains s’arrêtaient à mi-chemin, ou ne venaient au club qu’une fois sur trois. Le fait d’avoir souffert sur ces exercices toute sa jeunesse sanctionnait Kozuka d’un dédain pour ceux qu’elle considérait comme nuisibles. Elle fut cependant satisfaite des efforts du Kitsune. Bien qu’elle voyait sur son visage la douleur et l’ennui, chaque geste se rapprochait quasiment à la perfection de ceux de Kozuka.

Lorsque le jeune homme lui demanda sa spécialité, Kozuka le dévisagea. Non pas d’outrage, mais d’un air pensif. Les deux émotions peignaient cependant son visage des mêmes caractéristiques. Sourcils arqués. Lèvres pincées.

- Ma… spécialité. J’ai été entraînée à beaucoup d’arts martiaux… Mais en ce qui concerne mes préférences, je préfère de loin le Kobudô- enfin les anciens arts martiaux si tu préfères. Et ce que j’aime le plus, c’est le Bôjutsu, même si les Fujiwara sont connus pour leurs techniques au sabre.

La jeune femme aux cheveux couleur perle lança un regard au baton qu’elle avait délaissé depuis que son camarade était entré. Son corps s’était animé depuis le début de son monologue, tout comme son visage qui se déliait doucement.

- J’aimerais essayer l’éventail, mais il faut encore que je trouve quelqu’un pour me l’enseigner… Tu as déjà fait quelques arts martiaux, avant ? On pourrait reprendre sur les bases que tu as déjà, si c’est le cas.

Kozuka essaya de se reconcentrer sur son rôle de mentor. Son amour pour les arts martiaux intimait à son corps de sautiller, de se mettre en garde, de jouer avec son adversaire. Mais son cerveau et son rôle du jour rendait son corps froid, mécanique.

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Kozuka sautilla une fois avant de se mettre en garde, un fin sourire en coin. Cet échauffement était décidément beaucoup trop long pour aujourd’hui, son corps brûlait d'échapper à l’inertie qui ankylosait son corps, l’enveloppait du froid noir et blanc qui la suivait chaque fois qu’on la laissait seule avec son indépendance.

- Tant que tu veux apprendre, tu es bien entendu le bienvenue. Mets-toi en position !

Elle regarda attentivement le kitsune reproduire timidement une des positions de base enseignée en cours. La jeune Fujiwara quitta alors doucement sa propre position pour aller corriger le garçon. Un pied tapota le tibia du garçon, une main tirant sur l’encolure du kimono juste assez pour lui faire perdre l’équilibre.

- Tu devrais avancer ton pied pour être plus stable. Et détend-toi, tu coupes ta respiration, ajouta Kozuka, son sourire en coin grandissant subtilement. Tu me montres ce que tu sais faire ?

Après tout, certaines personnes étaient humbles et n'hésitaient pas à rabaisser leurs connaissances, alors autant vérifier le niveau du huitième année maintenant. Les pieds sautillant de la jeune femme aux cheveux gris reprirent bien vite racine dans le tatami, toujours pleins d’énergie. Elle espérait, le cœur battant à ses oreilles d’un rythme excité, que ce duel amical ne se terminerait pas aussi vite qu’elle le pensait.

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Kozuka vit le kitsune se décomposer au fur et à mesure que l’information arrivait à son cerveau. Tout dans sa gestuelle indiquait le retrait. Le regard baissé, tout son corps se fermait, faisant paraître l’adolescent plus petit qu’il ne l’était, comme s’il voulait disparaître. La Fujiwara pencha légèrement la tête sur le côté, écoutant ces paroles couardes. C’était comme de se voir dans un miroir inversé. Les deux adolescents connaissaient tous deux un sentiment assez proche. L’impuissance. La peur de décevoir. Mais les deux kitsune la géraient et l’exprimaient d’une façon drastiquement différente.

Kozuka avait tendance à hausser le menton et à se grandir, comme pour occuper cet espace où elle avait l’impression de ne pas exister. Kazuki, lui, se renfrognait, comme pour ne plus exister. Le rouge lui vint aux joues. Elle avait échoué dans son rôle de professeur. Mais elle n'abandonnerait pas là.

- Je suis désolée, se surprit-elle à dire avec sincérité. Nous sommes tous ici pour nous améliorer. On va s’entraîner sur les coups de bases aujourd’hui, je vais t’aider à les perfectionner.

Kozuka prit position pour une série de coups de poings de base, que le Kitsune était censé avoir déjà vu en classe. Seulement, cette fois-ci elle se plaça aux côtés du jeune homme, les deux kitsune regardant dans la même direction : vers les miroirs. Reprendre son rôle d’élève plus expérimentée lui allait bien mieux qu’un rôle de professeur particulier ; un sourire doux et confiant s’installa alors sur ses lèvres. Prête à quitter sa position pour corriger la position des poings, doigts ou même du dos du garçon, Kozuka demanda entre deux coups, curieuse :

- Qu’est-ce qui t’as fait entrer dans ce club ? Si ça ne te dérange pas d’échanger avec moi.

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À la réponse du Kitsune, Kozuka hocha la tête. Quelques années auparavant, elle aurait tiqué au verbe “se défouler”. Pour elle, les arts martiaux étaient avant tout un état d’esprit, une discipline requérant de la rigueur. Cette pratique était en effet accompagnée de méditations et lectures depuis qu’elle savait marcher. Cependant, depuis qu’elle sentait de plus en plus souvent le vide emplir sa poitrine et son esprit, elle devait avouer qu’aller s’entrainer, comme ce matin, tenait plus du ressort de la survie. Vider un esprit du vide qui l’habitait. N’était-ce pas des plus ironiques ?

Après avoir corrigé une série d’exercices chez le garçon, elle décida que c’en était assez pour ce premier entraînement. Le corps avait besoin de se reposer pour pouvoir être performant. Le garçon se courba devant elle en la remerciant. Kozuka se pencha à son tour pour le saluer. Il avait l’air d’avoir apprécié la séance, un fait qui adoucit la légère affliction qui semblait désormais peindre le fonds de ses journées.

- Il n’y a pas de soucis, je suis contente si le club te plait. N’hésite pas si tu as besoin, je serai toujours partante pour un entraînement. Tu peux également compter sur les autres membres du club, ajouta-t-elle afin de dévier l’attention qu’il y avait sur elle.

Juste avant que les deux Kitsune ne se séparent pour vaquer à leurs occupations dominicales, Kozuka laissa tomber un faible mais authentique “Merci pour aujourd’hui”.