J'avais tout prévu. Je ne lâcherai rien. Si il refusait de me parler aujourd'hui, je reviendrais demain et tous les jours nécessaires. Car j'avais besoin de réponses.

Les vacances avaient été un enfer. Pas seulement à cause de la chaleur absolument affreuse de la période, mais aussi à cause de papa. C'était la première fois qu'on avait été seulement trois...

Mais août était fini et le mois de septembre touchait bientôt à sa fin. J'avais eu le temps de me préparer. Tout irait bien.

J'avais repéré et perdue ma cible un certain nombre de fois, mais pas aujourd'hui. Le tout était de se lancer. Que craignais-je ? Je savais que j'allais le déranger. Je savais qu'il ne voudrait certainement pas me parler. Alors pourquoi j'avais du mal à me lancer ? Au pire, il me niait. Ce n'était pas si c'était inhabituel. Nous n'avions jamais eu de liens. Je pouvais y arriver, c'était juste une question de volonté.

Assis à une table en train de bosser, je me glisse en face de lui. La chaise grince quand je la tire pour m'asseoir dessus. Niveau discrétion, j'avais tout gagné. Je m'installe et regarde un peu ailleurs pour me faire oublier. Puis, je le fixe un instant sans même m'en rendre compte, avant d'enfin ouvrir la bouche, ne parlant pas trop fort non plus, pour éviter les remarques.

-Yori ?

J'avais peut-être parlé trop bas, alors je recommence un peu plus fort.

-Yori ?

Une légère pause. Où était mes mots ? Que voulais-je dire déjà ?

-Pourquoi on n'a pas de liens alors qu'on est de la même famille ?

J'étais penché un peu vers l'avant, la paume des mains à plat sur le banc et mes grands yeux bleus posés sur lui.
On avait le même nom de famille, donc on était de la même famille. Et puis, c'était ce qu'on nous avait dit quand on était plus jeune avec Ayu... Même si papa n'a jamais voulu nous dire quoi que ce soit. Et ce n'était plus maintenant que j'allais pouvoir avoir mes réponses auprès de lui. Donc autant demandé à Yori. Il devait bien savoir quelque chose. C'était certain. Mais peut-être l'était-ce seulement pour moi.

J'avais eu droit à  une réaction ! Et même une réponse en retour. Je fis un fin sourire. En effet, je n'abandonnais jamais. Ma stratégie portait donc ses fruits. Il devait être agacé à cause de moi, son soupir parlait pour lui. Cependant, il continuait la conversation, ce qui me ravit. On allait enfin en parler. Je ne savais pas vraiment si j'avais hâte ou non, mais je voulais juste savoir, juste éclaircir des points sombres, juste comprendre.

-C'est papa qui nous l'a dit quand on était petit avec Ayu. Mais à part ça, il jamais rien voulu nous dire de plus. Je trouve ça gonfler. Il nous fait boire un truc pour avoir les cheveux  blancs et...

Tout en parlant de chevelure, je tripotais une mèche plus longue sur mon front et essayais de la regarder en louchant vers elle. Je ne voulais plus de cette couleur de cheveux. Je voulais celle d'avant, celle qui aurait pu encore me faire penser à maman, mais ... Je devais mettre cette pensée de côté, ne pas y songer, pour ne pas faiblir.

-... Il nous laisse dans le flou avec une explication vague.

Je relâchais la mèche pour tenir maintenant le bout de la table en main tandis que je me courbais sur mon banc en soufflant bas :

-Je voulais savoir pourquoi il détestait sa famille... Pourquoi il nous détestait nous...

Je me redressais alors droit sur ma chaise comme pour chasser cette vague de dépression qui pouvait surgir.

-Et parce qu'on a le même nom de famille. Donc, on est de la même famille. Même si c'est éloigné, ça reste la même famille, non ?

Je sentais la pauvreté de mes arguments. Il allait me rire au nez, c'était sûr...

Je ne comprenais pas. Il me parlait à mi-mots. Il semblait me faire comprendre que c'était faux. Ce nom serait répandu ? D'accord, mais pourquoi les traditions serait-elles les mêmes ? Elles le sont, non ? Papa ne nous aurait pas menti ? Si ? Pourquoi aurait-il fait ça ? Je ne comprenais pas.
Surtout que l'instant d'après, il semblait me dire l'inverse. Je le regardais sans comprendre.

-Tout le monde se déteste ? Pourquoi ?

Une famille, c'était fait pour s'aimer, se soutenir et être bien ensemble, alors pourquoi se détester ? Pourquoi faire compliquer ? Pourquoi ce que je voulais était-il à ce point infaisable ?

-Yori . . . Je ne comprends pas . . .

Je voulais des réponses, pas être encore plus embrouillé qu'avant.

-Ça veut dire que même si on est de la même famille, même éloignée, on doit se détester ? On ne doit pas se parler ?

Voulait-il me faire comprendre qu'il serait mieux de juste s'ignorer ? Mais dans quel but ? Et si moi je ne voulais pas cela ? . . . Je ne ferais que les forcer à me côtoyer et ça aurait pour conséquence qu'ils me détestent ? Je ne voulais pas de ça. Pourquoi ça devait être compliqué ?

Il se sentait vraiment obliger de me dire ce que je savais déjà ? Bien sûr qu'il y avait plein de choses que je ne comprenais pas. Il voulait peut-être que je lui balance toutes les questions qui se bousculaient dans ma tête ? Ce que je voulais, c'était des réponses. J'avais pensé qu'il pourrait m'aider, pas qu'il m'enfoncerait plus profondément dans l'incompréhension.

Je fis la moue à ses mots. Il était bizarre, contradictoire. Etait-ce seulement lui ? Ou bien les Hayashi ? Ou bien encore les Tsuchigumo ? Puis il me demanda ce qu'avait dit mon père. Je lui avais pourtant déjà répondu. Il n'écoutait pas ? Je croisais les bras. J'avais voulu cette conversation, mais je n'étais plus certain de vouloir la poursuivre. Pourtant, la curiosité était toujours là.

-Donc, tu n'es pas porté sur les liens familiaux et tu t'intéresse seulement à tes idéaux et ta dignité.

J'exprimais cela comme un fait. Je le fixais dans le blanc des yeux, avec une tête peu convaincue. Il voulait mettre toutes les personnes de sa famille dans le même sac. Donc, lui aussi était comme ça. C'était bien cette conclusion que je devais tirer ?

-Pourtant tu les déteste, donc pourquoi être comme eux ? Pourquoi ressembler aux gens que tu n'aimes pas ? C'est débile.

Avant qu'il ne réplique et que je m'en prenne potentiellement plein la face, je continuais sur le sujet de mon paternel.

-Mon père ne m'a rien dit. Il n'en parle pas. Quand j'étais plus jeune, il ne voulait pas répondre quand on lui demandait. Et maintenant. . . Je préfère juste éviter. Ce n'est plus pareil depuis que maman . . .

Je n'arrivais pas à finir la phrase. Je n'arrivais pas à le dire. Je m'étais fait à l'idée, mais le dire était toujours aussi douloureux. J'avais baissé les yeux en en parlant. Je ravalais ma tristesse comme je le pouvais. Je ne voulais pas rester sur ça. Je voulais dire d'autres choses, mais les mots me fuyaient à mesure que je les cherchais. Et je restais muet.

Il semblait ne jamais vouloir répondre à mes questions et m'en donner de nouvelles. Ça devenait chiant. Ne pouvait-il simplement pas me dire ce qu'il savait ? Non, non ! Il me faisait tourner en rond, ne me donnant rien. C'était exaspérant. Mais peut-être que si je lui répondais, il finirait par me répondre lui aussi.

Après avoir récupéré mes mots, je relevais les yeux vers lui. Il se méprenait sur un point.

-Ce n'est pas avec ta famille que je veux me lier. Ils ne me connaissent pas et je ne les connais pas. Ce serait trop bizarre. C'était plutôt avec toi et ta soeur, mais bon . . . Au final, c'est moi qui doit être débile.

Je croisais les bras. Oui, je devais être complètement idiot.

-Je veux savoir, parce que je veux savoir. J'en ai le droit, non ?

Qu'est-ce qu'il y avait de mal à ça ?

-T'es le plus vieux, donc tu dois sans doute savoir des trucs. C'est pour ça que... j'ai pensé... que tu pouvais me renseigner.

M'étais-je trompé ? Non, c'était certain. Il savait des choses. Il ne voulait juste pas en parler.

-Pourquoi, toi, tu veux rien dire ? Y'a bien Nael dans la « famille », on est pas pire que lui.

On était même tout le contraire de mon point de vue.

-A moins que ce soit ça le problème ? On est pas assez hautain ? C'est ça ?

Qu'est-ce que ça pouvait être d'autre ?

Il me plantait là. Il refusait de me répondre. Il me riait au nez. Il se moquait éperdument de moi et de mon envie d'en savoir plus sur ce qui devait être ma famille. Suivais-je une idée tellement folle et dérisoire ? Fallait-il vraiment que je devienne hautain pour pouvoir lui reparler ? Il m'avait en tout cas retiré toute envie de le revoir pour un bon moment, malgré ma curiosité.
Il s'écarte, s'éloigne et mon coeur s'emballe. Je ne dois pas le laisser filer. Il l'a dit lui-même, sa patience est limitée. Donc, si je m'acharne encore un peu, il pourrait craquer et me dire enfin ce qu'il sait ! Mais... Et si il ne me mentait pas malgré son comportement ambigu ? S'il n'avait aucune information ? Je ne pouvais pas y croire.

Je me mets debout, trop brusquement. La chaise recule en grinçant.

-Yori !! Tu peux te mettre le doigt dans l'oeil. Même les deux ! Je reviendrais même sans être hautain. T'es qu'un crétin !!

Un crétin de première ! Le pire de tous ! Rien à faire que toute la bibliothèque m'ait entendu. J'avais peut-être exagéré, mais là, ce n'était absolument pas ma préoccupation.

Des pas et soudain une voix qui m'apostropha. Je me retournais et me retrouvais nez – nez avec la bibliothécaire. Oups. J'avais gaffé. Avais-je parlé aussi fort ? Mais c'était la faute de mon aîné. Pas la mienne ! Même si c'était moi qui avait haussé le ton. Je fronçais les sourcils. Insulter ? Je n'avais pas insulter. J'avais dit la vérité ! Je voulais riposter et me défendre, mais elle m'avait retiré la parole avec son sort. Je gardais le silence même quand elle mit fin à son sort. Je n'étais pas ravi, pas du tout. Non seulement je n'avais pas eu de réponses, mais en plus je me faisais rouspéter. Quand elle me dit de sortir, je ne me fis pas prier. Par contre, une fois les pieds hors de la bibliothèque, je pouvais me lâcher sans craindre de sermon. Du moins, c'était ce que je pensais.

-Yori, t'es qu'un crétin fini !!

La porte de la bibliothèque ne s'était pas encore refermée alors que je criais à plein poumon ce que la gardienne des livres semblait prendre pour une insulte. Je me révoltais à ma manière contre son autorité. De même, je me promettais de revenir à la charge vers mon aîné un jour prochain. Cela pouvait attendre. Je pouvais laisser couler l'eau pendant un moment, mais je reviendrai pour obtenir des réponses claires.

Après cela, je filais, dévalant les escaliers quatre à quatre et tirant la langue à Yori en passant près de lui.