L’après-midi touche à peine à sa fin et pourtant, à l’ombre de la forêt, la nuit semble avoir d’ores et déjà pratiquement englouti les lieux. L’atmosphère exude des parfums aussi austères que fascinants, et les ombres tapies alentours semblent murmurer qu’il n’est pas prudent de s’aventurer dans ces contrées. Pourtant, Kayo ignore tous les signes, le pas pressé, poussée par une insatiable curiosité. Elle a écouté nombre rumeurs sur les lieux, et ne peut résister plus longtemps à l’appel : l’on raconte qu’ici se déroulent des événements que l’on n’explique pas, que des phénomènes étranges s’y produisent et que certains y ont vu des choses à en faire frémir les plus téméraires. Entre ses doigts, sont accrochés ceux d’une enfant, et elle adresse à Hoshi un sourire rassurant ; elle lui a promis un peu plus tôt qu’elle la prendrait à ses côtés lors de sa prochaine aventure, et elle confiante quant au fait que malgré les rumeurs, rien de si terrible ne peut se dissimuler ici.

Alors qu’elle se trouve presque déçue du voyage, rien d’extravagant ne se dessinant à l’horizon, un étrange bruit attire son attention et éveille ses sens. En alerte, elle presse un peu plus fort ses doigts autour de ceux d’Hoshi, mais préfère ne pas inquiéter la plus jeune et conserve un air tranquille. Le claquement régulier semble être celui d’un shishi-odoshi, et si les légendes disent vrai, c’est signe qu’elles approchent de la destination tant convoitée. Quand au loin elle entre-aperçoit finalement les contours d’une bâtisse, elle ralentit doucement le pas avant de s’arrêter, et s’accroupit à hauteur de la plus jeune. Regarde. Et ce sont ses mains qui poursuivent le fil de son discours, dans le silence à peine transpercé par le son du bambou cognant un rocher. Il paraît qu’il s’agit d’une maison de thé abandonnée. Ca serait l’endroit idéal pour des parties de cache-cache, tu trouves pas ? Elle rit doucement, avant de reprendre un air un tant soi plus sérieux. Ceci dit, reste près de moi pour l’instant, je ne voudrais pas te perdre dans la forêt. Elle ébouriffe sa tignasse d’un geste affectueux, avant de se redresser. On va voir de plus près ? A ces mots, elle croit entendre le rire d’un enfant, et balaye aussitôt les alentours d'un regard alerte - elle a dû rêver.

D’ici, en lieu de l’azur du ciel, tout intrus à mesure qu’il avance, ne perçoit plus que le feuillage frémissant des arbres majestueux, et nul n’oserait s’y rendre sans un tant soit peu de crainte et de pudeur, comme si d’aucun s’apprêtait à pénétrer un lieu saint. Ainsi, Kayo, malgré sa curiosité infinie et l’excitation prodiguée par l’impression de braver tous les dangers, retient son souffle et serre plus fort entre ses doigts ceux de la frêle étoile qui l’accompagne. De la présence ou non de fées, elle ignore tout, mais le fantasme est partagé et elle décoche à Hoshi un sourire énigmatique. Je l’ignore mais je l’espère. Ses cils papillonnent un clin d’oeil et elle entraîne alors l’enfant derrière elle, tâchant à chacun de ses pas d’émettre le bruit le plus ténu qui soit, comme par peur de déranger quiconque hanterait encore ces lieux (qui sait, les rumeurs vont bon train après tout). Un frisson la parcourt car elle croit entendre un raclement plus loin, mais se rassure en songeant que d’autres élèves ont peut être également décidé de s’aventurer en ces lieux. Alors, elle se racle la gorge, menton haut et fait de son mieux pour dissimuler tout tremblement lorsqu’elle s’enquiert de la sorte : Il y a quelqu’un ? Une seconde passe, deux, trois sans que personne ne réponde si ce n’est le sifflement du vent entre les arbres et le craquement des feuilles mortes sous ses pas. Voilà la bâtisse pratiquement à portée de main, et l’adolescente ignore si elle est déçue ou rassurée de n’avoir rencontré personne en chemin. La baraque paraît sur le point de s’effondrer quand elle en pousse le battant qui émet un long grincement, et - juste avant qu’elle ne s’apprête à y entrer - elle croit attrapper une ombre du coin de son regard, pourtant elle ne rencontre que l’immensité de la forêt lorsqu’elle tourne la tête dans la direction d’où semblait provenir la chose. Inspirant un grand coup, elle tire Hoshi plus près d’elle et s’immisce à l’intérieur, pour découvrir le spectacle à la fois désolant et fascinant qu’est celui d’une bâtisse abandonnée. Quelques trésors subsistent cependant, et elle s’approche, montrant du doigt à la plus jeune un service à thé presque resté en l’état, si l’on ignore les quelques fissures de la porcelaine. Regarde, c’est presque en bon état. Je me demande si on pourrait les amener à un céramiste pour qu’il les répare à la laque d’or. C’est joli, non ? On pourrait les rapporter à l’orphelinat, pour décorer.

Seul un curieux appétit pour les choses sinistres, si ce n’est pour le frisson lié à l’idée de transgresser des interdits, saurait justifier leur présence en ces lieux. Tout, des ombres tapissants les murs salis au sol branlant et grinçant sous leurs pas timides, hurle à l'entière inhospitalité de la demeure, depuis si longtemps délaissée. Et pour preuve : sa poitrine manque un battement lorsqu’un bruit soudain l’interpelle, elle étouffe un cri, et, se tournant aussi sec vers la plus jeune, c’est avec autant d’inquiétude à l’idée qu’elle se soit blessée que de soulagement à celle que ce ne soit guère plus grave, qu’elle vient la tirer de la cavité dans laquelle elle semblait s’être enfoncée. Un air de reproche gravé sur le visage, alors qu’en réalité c’est elle-même qu’elle blâme, s’efface aussitôt pour laisser place à un sourire voulu aussi rassurant que possible.

Mon étoile- un soupir attendri franchit ses lèvres lorsque sa protégée s’inquiète d’avoir fait du bruit. Ne t’inquiète pas pour ça. Puis, touchant du bout des doigts la frêle cheville, elle songe qu’il serait plus sage pour l’heure de s’en retourner au couvert des murs du château, là où la sécurité prévaut. C’est sans compter sur l’entêtement lisible jusque dans les pupilles d’Hoshi, arrachant un air amusé à Kayo ; elle ne saurait lui en tenir rigueur, n’ayant sans nul doute été qu’un piètre exemple pour la plus chère de ses soeurs. Tu vas être déçue, mais tu es blessée. Il ne serait pas sage de rester.

Jamais ne cessera-t-elle de s’étonner de la curieuse endurance d’Hoshi, quand elle-même à son âge aurait hurlé à la seule vue du sang. Alors, elle extirpe de son sac un peu d’eau emportée, par chance, qu’elle verse lentement pour nettoyer grossièrement la plaie ; l’infirmerie saura lui prodiguer des soins plus adéquats. Puis, d’une main, elle ébouriffe gaiement sa tignasse soyeuse, et, du reste, elle mime de nouveau. Allez, grimpe sur mon dos, avant qu’un monstre ne nous dévore. Se détournant pour laisser Hoshi s'agripper à elle, et avant de glisser ses bras autour de ses jambes pour la stabiliser, elle prend soin de glisser les morceaux de céramique brisée dans son sac, en guise de souvenir.

Toutefois, la curiosité avant toute chose la dévore, et nerveusement elle se mordille les lèvres avant de tourner la tête vers Hoshi pour qu’elle puisse lire son intention. Un dernier tour et on s’en va. Du menton elle indique une seconde porte, et, à pas lents de crainte de s’enfoncer elle aussi, elle s’y dirige pour l’enfoncer. Au derrière, l’état de la demeure est similaire à celui de la pièce précédente ; un voile de poussière recouvre l'entièreté des meubles, quelques bris de verres jonchent le sol et d’anciens tatamis semblent avoir été rongés par le temps, si ce n’est par les bêtes. Un frisson désagréable parcourt son échine, tandis que son attention est retenue par d’anciens parchemins, qu’elle désigne à Hoshi d’un nouveau geste du menton. Elle ne peut s’empêcher de se demander qui vint ici autrefois. Elle déposa la plus jeune sur une table ayant l’air encore stable, puis entreprit de déchiffrer les écrits ; malheureusement, le temps avait eu raison de leur lisibilité.

Tu crois que les fantômes des anciens occupants habitent encore les lieux ? Des lueurs de malice parcourent ses pupilles, avant qu’elle ne balaye l’idée saugrenue d’un geste de la main et d’un rire sensiblement forcé. Sans doute pas- ils nous auraient déjà chassés. On repart ? Il n'était plus question de traîner, l'infirmerie n'étant pas si proche et la crainte qu'elle ne se blesse encore grandissante.