L'absence était une chose à laquelle elle s'était habituée. Elle l'avait toujours prise pour acquise // connue // acratopège. Depuis toujours, sa famille lui manquait -plus vraiment à travers le sentiment, mais plutôt comme un fait // une évidence // un axiome qu'elle avait accepté de ne jamais démontrer.
Elle s'y était faite, avait accepté de regarder les astres sans colère ni tristesse, calme, sereine, si certaine d'un jour y retourner -de briller dans les yeux de ses majestés. De sa dévotion, d'autres purent en voler des morceaux // des miettes devenues fragments // des bouts devenus météorites.
Reimi était une évidence. D'une logique implacable, d'un naturel qui justifiait tout, d'une idéologie qui paraissait presque innée. Et Kaguya, à l'intermédiaire entre ombre et lumière, se résolut de briller si c'était pour mieux pouvoir l'admirer // la louer // la déifier.
Elle aurait pu la suivre, là-bas, en Afrique; elle aurait pu refuser les adieux et continuer à être, depuis sa chaire, disciple. Mais Kaguya était sage, tant bien qu'elle était folle, et elle savait étrangement que le plus grand bien lui viendrait par cette absence. Sûrement était-ce un test // une hypothèse // un mal calculé. Les choses inutiles pendaient rarement au bout de ses choix et, évidemment, cette année ne devait être laissée aux pleurnicheries et aux jérémiades. Sa maturité étrange l'empêchait de regarder en arrière // de faire du sur-place // de ne pas tenter de courir.
Et alors, quelques semaines à peine après le triste départ, la sélénite avait une vision claire de ce qu'elle voulait faire. Dans ce grand hall où le faux vent secouait des branches qui ne devraient pas encore fleurir, elle regardait le va-et-vient des élèves, sempiternel // constant // barbant. Morose. Elle s'apprêtait pourtant à lâcher de beaux mots roses.
Aussitôt la chevelure églantine identifiée, elle sauta sur ses pieds // n’accourra pas // se contenta de la rattraper. Fluette, rapide, elle se plaça à ses côtés comme une vieille camarade. Bonjour, Sugawara. Elle inclina sa tête, entraînant à sa suite un déluge de cheveux, coupant l'air dans une parallèle au sol. Ah, pardonnez mon intervention. Je ne crois pas que nous nous connaissions. Je suis Kaguya Sanada. Il me semble que nous avons une amie en commun, en la personne (étouffement inaudible // cri de son esprit // blasphémation impie) de Reimi Tsukino. Me trompe-je ? Son visage était revenu à sa position verticale; ses yeux vairons restaient aussi froid que l'hiver qui s'en allait. Elle n'attendait pas de la sympathie au premier égard.
Ça sera pour plus tard.

Elle voit ce que Reimi-sama peut lui trouver -il semblerait qu'elle a ces lèvres qui ne peuvent se départir d'un sourire, et Kaguya note la labre charnue qui orne le haut de sa bouche. L'imagination lui échappe, insolente, créer des visions qui la fond grimacer derrière le visage pâle qu'elle arbore la plupart du temps.
La fille de l'araignée nota le vouvoiement réciproque, chose qui souvent faisait défaut aux élèves. Le pardon n'était jamais bien loin, cependant : peut-on condamner des ignorants ?
Mais la stupidité, elle, était évidemment à tenir éloignée, que ce soit d'elle ou de son dieu. Kaguya ne s'empêcha pas de une bouffée de rire, brisant soudainement son calme distant. Kaguya Sanada. La presque jumelle de votre cousine, la préfète-en-cheffe Sugawara. Poursuiveuse pour les Tsuchigumo. Il me semble qu'il s'agit de la plupart des informations génériques que je peux lister. Cela vous convient-il ? Nouveau hochement de tête vers l'avant, Kaguya se redresse bien vite, aussi droite que toujours. Tout est symétrique chez elle, sauf ses yeux mal assortis et son sourire qui finalement fleurit sur ses lèvres fines. Ah, peut-être serait-il intéressant de rajouter que c'est Reimi (messie) -senpai qui m'a parlé de vous.
Pas directement // jamais trop // juste ce qu'il faut pour qu'elle en devine tout le reste. Et la voilà, son soleil, parti si loin que les étés ont l'air d'hivers gelés, coincés dans des tempêtes de neige. Kaguya était prête à endurer tout ce qu'il fallait, et ne souhaitait pas pleurer. Tant qu'à faire, elle préférait se préparer au retour de son astre préféré. Nadeshiko, belle fleur de jour, pouvait passer pour une aurore flétrie, et c'était tout ce qui lui fallait : quelqu'un qui savait comment faire briller l'hélianthe. Mademoiselle Sugawara --j'aurais un service à vous demander. Ou, plutôt, quelque chose à vous proposer. Je crois cependant que nous pourrions nous mettre d'accord, et revenir sur un pied d'égalité. Souhaitez-vous entendre ma demande ici ? Ses deux mains s'étaient croisées sagement devant sa jupe d'uniforme, au bout de ses longues jambes de coureuse. Elle s'était placée en demandeuse, consciente de toute la douceur de son interlocutrice : on avait fait parvenir jusqu'aux oreilles de la sélénite la bienveillance de l'autre renarde et, plus intéressant encore, son appétence pour les belles choses.
Si Kaguya n'était pas une chose, elle était indéniablement belle, même à l'opposé du charme ardent qui glissait sur les cheveux de Nadeshiko.

Le strict air de défiance, souligné par cette insaisissable alliance d'iris, ne faisait que plus s'installer sur son visage : vautré dans l'espèce de camaraderie qu'elle porte au bout des cils, papillonnant de temps à autre, sa sauvagerie sage laisse entrapercevoir quelques canines à la réponse qu'elle entend. Kaguya n'est pas loup, ni grand félin, mais la terre entière sait que les Hommes sont les plus grands chasseurs du règne animal. Elle voit bien l'amusement, chez l'autre, et elle ne sait encore se décider -est-ce que ça lui plait ? ou préférerait-elle des preuves de plus de respect ? La gardienne ne se décide pas, et si elle devait revêtir l’apparat des koma inu, elle ignorait si elle devait personnifier le début ou la fin.
C'était une question pour un autre jour -très certainement, Kaguya ne pouvait laisser le couperet de son avis tomber au bout d'une si courte introduction. Et si d'aventure, leurs chemins ne devaient plus se recroiser, elle saura contenir ses viles envies -comme elle le fait, inconsciemment, depuis déjà des années.
Sa contenance se mue en un sourire (vipérin, qui borde ces idées impures, dont elle n'a pas conscience, du violet des plus beaux hématomes). Tant de considération constellait les mots de Nadeshiko ; saupoudré de curiosité aguichée, son rose n'était définitivement pas la couleur de l'innocence. Kaguya n'était pas plus liliale. Ça m'est égal. Peu me chaux des oreilles qui traînent. C'est votre attention qui m'intéresse. L'invitation était lancée, tranquille, et Kaguya avait sa demande sur le bord des lèvres, prête à subir la prochaine cascade, à tomber de l'Olympe jusqu'en cette terre en quête de sainteté. La sélénite découpe chaque mot pour l'enrouler de dentelle, lâche probablement les dernières syllabes en un demi-chuchotement étrangement sensuel, couplé à ce sérieux qui n'a quitté ses traits. Et je ne cache pas que je suis ici en tant que quémandeuse -votre sollicitude n'est qu'un point de départ. Réciproque. Le regard en pleine collision avec l'objet de sa convoitise. Sa résolution était une force tranquille, prête à disséminer quelques feux sur son chemin.

Ses envies étaient absolues. Elles honoraient l'impératrice en son absence, chantaient les louanges d'un dieu qui la faisait languir, se pliaient à des protocoles empreints de milles délicatesses. Approcher un autre était une tâche délicate, et Kaguya était telle un pétale : virevoltant dans le vent, trop intéressante pour ne pas la laisser happer l'attention avec une aisance toute calculée par les lois (de la) physique(s).
Son sourire trancha sa peau lactée comme la naissance d'un nouveau soleil. Elle avait pris Nadeshiko au mot ; elle se sentait reine l'espace d'un instant, tenant du bout de ses cils, à défaut de ses doigts, toute la considération de cette fille papillon. Que pouvait-elle bien en faire ? Elle savait déjà dans quelle forme elle voulait la mouler, mais elle ne put s'empêcher de se demander jusqu'où elle pourrait l'emmener.
Ce n'était que rêveries. Kaguya n'avait aucune intention de prendre l'autre de haut, bien loin de là. Elle n'était pas acquise -qui de mieux qu'une servante éternelle pour souffrir du bonheur de cette connaissance ?
L'automne était une saison merveilleuse. Quel dommage que le printemps soit encore là -si extravagant, dans toute cette vie terriblement temporaire. L'orchestre des floraisons montait dans les gammes, au milieu de ce hall enchanté, mais les couleurs pastels n'hypnotiseront jamais Kaguya loin de cette femme nouvelle-saison.
Sélène frissonna à l'idée de ces doigts sur sa surface. Elle imaginait la fraîcheur de la rosée, la complétude d'une aurore qu'on contemple depuis la plus haute des montagnes tels des immortels face au froid bientôt vaincus, armés des lances du Soleil que l'on attend depuis déjà trop longtemps.
Kaguya n'avait pas besoin de ce soleil-là. Elle savait forger ses propres miroirs dans les éclats d'étoile tombés aux Lyrides. Et, alors, pouvait-elle montrer au printemps les beautés de l'hiver. Les Géminides n'attendent que d'être deux pour commencer leur bal dansant. Le frimas n'est qu'un feu en suspens.
La suite n'est pas bien accueillie au sein de ces murs. Elle s'empreint de mots bien moins hauts, et demande à bien plus d'accointance que quelques salutations. Un effleurement n'en serait qu'un amuse-bouche. Louve, s'il aurait fallu la décrire, mais Kaguya n'avait jamais vraiment de constante animale. Elle était faite du marbre froid dont on admirait les plus belles statues, intemporelles, figées dans une inlassable splendeur éternelle, transpirant de ce moite appétit que laissait la rosée de la kitsune sur ses idées. Je vous propose de nous accommoder de l'absence de notre amie commune. Le simulacre d'allégorie, cette statue sans aucune philosophie engravée dans ses traits bien humains, leva la dextre à son tour. Au contraire de son homologue, elle osa : de la tempe jusqu'à l'oreille de la Zéphyr, le sillage de glace qu'étaient ses empreintes se mua en une rivière.
Elle laissa couler sa main, pourtant loin d'être arrivée à son delta, encore prisonnière des terres.