Bien que ta situation pouvait laisser croire que tu avais quelques difficultés émotives et intimes, reflétées par l’émiettement de tes mains dont la peau laissait des vestiges de tissus humains, il n’avait jamais été questions que l’on vienne te soutenir d’une quelconque façon, et surtout pas avec des plats dits réconfortants. Des sucreries écoeurantes qui dégoulinaient de sympathie. Très peu pour toi, tu les renvoyais écrasées à l’expéditeur.
Cela faisait quelques temps que tu n’avais pas fait preuve d’insolence envers le corps enseignant, ou plutôt les agents de surface, pauvres employés à servir la race sorcière. Il était encore moins concevable que ces derniers puissent éprouver de l’empathie pour ta personne, toi qui n’en avais que pour ton entité. Et il était bien dommage que l’amabilité d’un tel personnel soit juste anéantie à distance. Alors quand la punition d’aider en cuisine te frappa, ce n’est pas de l’agacement que tu ressentis, mais plutôt une joie. Celle de briser sa bienveillance. Qu’il apprenne sa place au lieu de disposer de son temps à réconforter des âmes qui n’en ont pas besoin. De quel droit se permettait-il de s’imposer aux autres ?
Tu descends vers les cuisines avant l’heure fatidique des repas en communauté bien déterminé à anéantir les espoirs du pauvre cuisinier, avec toute la sympathie que tu lui portais.
« Mori-san, je suis là. » Tu t’avances, la main râpeuse s’accroche aux surfaces des plans de travail; oh quelle joie de distiller ton poison à travers la nourriture que les autres dévoreront, tels des porcs. Plaisir sadique de saboter les efforts d’autrui, tu sens que l’après-midi sera délicieuse. Voici donc un plat que tu aimais cuisiner.
« Quel sort me réservez-vous ? » Tu ne t’excuseras pas de ton impertinence; il s’excusera de son audace. Tu lui souris tendrement, les yeux brillants d’une nouvelle énergie que tu n’avais pas sentie depuis un moment. Renait en toi l’arrogance qui te manquait. Si Akihiro Mori voulait ton bien, alors il ira mal mais après tout, n’était-il pas dévoué ?
Il y a des maladies qui sont incurables et dont l’humanité entière souffre sans le soupçonner. Des maux qui rongent et provoquent des carences plus douloureuses que visibles et ne tarissent jamais malgré le soin appliqué à les faire disparaitre. Mais la plus grande de toutes reste la cécité du cœur. Il est parfaitement impossible de se connaître sur le bout des doigts et par conséquent de comprendre autrui malgré le dévouement accordé à la tâche. Une piètre récompense que de savoir déceler le manque de couleurs chaudes dans une vie, mais de ne savoir comment les appliquer. Entre ses doigts, les pinceaux ne servent qu’à panser les plaies selon ce qu’il ressent. Et si le cuisinier a cru bon d’agir en conséquence, c’est qu’il avait lui-même eu quelques démons à chasser.
Ainsi avait-il convoqué l’un des élèves dont il était question pour appliquer sa punition. Ce mot qui lui semblait trop fort pour ce qu’il avait réservé à l’adolescent n’était qu’une façon parmi tant d'autres de procéder. Ses yeux voyaient bien le sourire et les étoiles luisant dans ceux du garçon, il n’y croyait pourtant pas. Comme sa cuisine, souvent trompeuse en apparence et surprenante au goût, il sentait l’arôme léger piquer son nez, mais n’en fit rien, jouant le jeu de l’araignée sournoise dont il voyait les fils se tisser autour d’eux. « Monsieur Fujiwara, je suis ravi de vous voir » et il le pensait sincèrement, n’affichant que la quiétude de son tempérament au privilège de ses sourires qu’il n’accordait jamais sans l’humeur qui allait avec. Si nombreux qu’ils fussent et leurs définitions, il était très souvent évident d’en deviner l’émotion. Le cuisinier ne se cachait pas autant que l’étudiant et à sa question, retroussa ses manches. « Rien d’exceptionnel malheureusement, mais vous êtes là pour une bonne raison et nous n’allons pas perdre de temps » sans la rappeler, partant du principe que le concerné avait compris, il se contenta de reprendre « Nous allons préparer le même gâteau destiné à votre camarade » et sans plus attendre, il lui confie les fruits à laver pendant que lui s’attelait à préparer les ingrédients pour la pâte sans y toucher. « On se lave les mains avant »
L’insolence de la tranquillité. Il n’y avait rien de plus révoltant pour toi, volcan bouillant. Et il voulait apaiser les éruptions par de la crème fouettée, des sourires tendres mais la seule tendresse que tu connaissais et goutais c’était celle des viandes amenées sur la table, abattue puis battue pour les rendre moelleuses; il n’y avait rien de plus délicat que les charognes animales dont le seul but était d’enrichir tes muscles par leurs protéines.
Mori-san n’avait rien de ces gibiers là. Il soulevait ton coeur, malheureusement l’inverse de ce qu’il semblait vouloir provoquer mais tu ne pouvais t’empêcher de vomir ta bile quand la compassion dégoulinait, empestait comme du souffre; faisant fi de tes propres souffrances tues et déniées.
Tu lui lances un regard ennuyé, le simple ménage; la tâche du cuisinier, oh quelle besogne - labeur destiné à l’évidence à la sous-main; si tant que tu regardes les fruits comme des inconnus; embrassé par les étrangers aux couleurs et tailles différentes. Alors c’est dos à l’adulte que tu t’exécutes pour laver tes mains déjà décharnues par l’anxiété de ces derniers temps; bientôt il ne te restera plus que les os. Et dans l’ignorance la plus totale, tu te saisis des fruits pour les savonner sous l’eau, dans un accès de maniaquerie tu les frottes si fort comme pour tes paumes, que leur peau se déchiffrent sous la brosse.
Frénétiquement, minutieusement, chaque crevasse, chaque irrégularité du fruit était gommée; poncée par l’obsession dévastatrice du lavage et de la pureté. Les fruits enfin dépouillés de leurs enveloppent; ils bavent du jus. Tu les lui balances sur le plan de travail; croisant tes bras. « Vous avez de la chance, je suis conciliant aujourd’hui, hum…Vous savez, il serait peut-être temps de penser à évoluer. Être larbin, il en faut bien, mais quelle idée de l’envisager comme… « métier », vous appelez bien ceci un métier, Mori-San ? J’ai du mal à le concevoir ahah… » Ta mine se décompose pour laisser place à une moue dégoutée.
D’un regard discret, les faits et gestes du Fujiwara sont épiés. Les fruits sont lavés et épluchés presque maladivement par les frottements et l’eau avant d’atterrir sans douceur sur le plan de travail propre. Enfin, l’explosion qui devait avoir lui se produisit, plus tôt que prévu. Akihiro devait en prendre note il n’aurait pas pensé l’adolescent si impatient pour laisser sa franchise s’exprimer simplement en nettoyant quelques mets. Un sourcil s’arque à l’évocation de son métier. Chaque famille ou clan avait ses propres mœurs et celles des Fujiwara étaient plus sujettes aux conflits entre sangs que la plupart. Les bols disposés autour du récipient principal. Une fois prêt, il se saisit d’un couteau et récupère les mets préparés pour les couper en lamelles. « Si évoluer signifie à vos yeux toiser ceux qui vous nourrissent, je préfère largement rester tel quel. Je ne conçois pas l’évolution de la même façon » il l’invite à échanger leurs places, lui au couteau et le tsuchigumo à suivre les indications pour mélanger les ingrédients déjà dosés.
« Parfois il faut savoir se salir les mains pour obtenir quelque chose et il serait à mon sens dommage que vous n’en soyez pas capable en dehors des petites gens qui eux connaissent déjà cet état de fait. Il n’est pas seulement question de magie » tous étaient humains après tout et il suffisait d’un rien pour que la bougie soit soufflée à tout jamais. Aussi se contenta-t-il de lui donner les instructions avant d’être aussi précis que méticuleux dans sa façon de découper des morceaux de fruits en tranches, d’une rapidité à en faire pâlir les amateurs de lames. « Soyez donc conciliant avec vous-même et offrez-vous la possibilité d’être plus que le membre d’une lignée » et si d’ordinaire son regard était des plus indifférent ou exprimait un tant soit peu toute la bonne volonté dont il pouvait faire preuve, il prit soin de lui faire comprendre toute sa détermination dans l’onyx brillant qu’il offrait à ses iris.
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