Le petit déjeuner s’était passé sans encombre et si la vaisselle s’était faite sagement pendant que le cuisinier se promenait dans le domaine, ce n’était que pour lui permettre un répit entre deux préparations. L’air pur lui faisait du bien, même si ses poumons brûlaient par la fraîcheur du temps, il en était protégé par le masque couvrant toujours le bas de son visage, et ce malgré la présence de son frère. Ses onyx parsemés d’éclats trahissaient la douce pensée qu’il avait à son intention. Akihiro ne pouvait qu’en être fier non seulement par son poste, mais par la proximité dont ils jouissaient tous deux. Adultes, ils en avaient toujours rêvé : ne jamais se séparer et si cette clause avait été valable pour leur ainé, bien que non lié par le sang, ce dernier avait préféré les voyages à la compagnie de ses deux petits frères hérités d’un remariage. Sans douter de ses sentiments, le cuisinier l’avait pris comme une énième trahison et si le pardon avait été accordé depuis longtemps, il n’en demeurait pas moins affecté par son absence.
D’un soupir las, il ébouriffe sa tignasse neige et se dirige vers la cuisine où l’atmosphère a soudainement changé. Les couverts avaient été nettoyés puis rangés habilement par un sort, cependant le calme ambiant ne présageait rien de bon. Comme un pressentiment, Akihiro ignora ses craintes et se mit en tête de préparer le repas. Mais lorsqu’il ouvrit les placards, il se rendit compte de l’horreur, déglutissant pour ne pas s’étrangler. Un rire perça le silence dans l’incompréhension. Au fond de l'armoire, un message signé d’un caractère outrageant dont il avait tant l’habitude qu’il ne l’aurait remarqué autrement que par la volonté de savoir qui. Qui était l’auteur de ce crime ?
Le seul pour qui ses plus tendres pensées se mêlaient de tant de sentiments sans pouvoir les nommer. La surprise était encore grande et cette vengeance à échelle humaine poussa le cuisinier à envoyer un origami express à la recherche du coupable. S’il n’était pas véritablement en colère, il se demandait où étaient les précieux ingrédients parfois gagnés à la sueur de son front et provenant de contrées autres que la leur. Ses mains passent sur son visage et il masse ses tempes en inspirant tout son soul. « Tsugumi… » râle-t-il, partant à la recherche de l’insupportable et toujours indomptable frère qui bousculait sans gêne sa routine. Mais il était sur d'une chose : c’est que son soleil le connaissait trop bien pour savoir qu’aucune colère n’était réelle le concernant et que son besoin de briser les schémas trop parfaits était aussi équivoque pour l’un comme pour l’autre. Avaient-ils passé si peu de temps ensemble pour hériter de cette punition ? La jalousie de ce précieux temps hors de ses griffes était réciproque, mais elle était rarement manifestée par des moyens si grands. Est-ce que tout allait bien ?
15 janvier 1998
Son frère était peut-être un peu trop prévoyant, transformer les sucreries en légumes était une idée brillante, il ne pouvait qu’y consentir. Cependant, elle n’était pas assez ingénieuse pour bloquer son jumeau, désireux de se goinfrer, qu’importe si les gâteaux devenaient des radis. Un rictus amusé ornait rapidement ses traits, alors qu’il dévalisait les placards de la cuisine de l’école, se préparant à simplement éradiquer les multiples ingrédients de son cher Akihiro. L’avantage qu’avait le Tsugikuni était bien son appétit, il était capable d’avaler de grandes quantités de nourriture sans sourciller un instant, et même s’il était conscient qu’il ne viendrait pas à bout de l’intégralité de la cuisine ce soir. Tsugumi restait certain qu’il arriverait sans problème à dévaliser ce qui était sucré afin d’offrir quelques sueurs froides à son cher jumeau.
De sa poche il sortait un papier, y dessinant quelque chose de relativement indécent, un message inscrit à l’encre noir : « tu avais cas me laisser des biscuits ». Oui, Tsugumi gagnait toujours la guerre.
Courbées de manières narquoises, les lèvres de l’homme restaient closes de tout rire lorsqu’il entendit le soupir fatigué de Akihiro. Se retenant d’exploser, être repéré sans qu’il n’ait savouré sa victoire encore quelques instants n’était nullement dans ses plans. Il fallait dire, Tsugumi prenait un malin plaisir à tourmenter son jumeau, jamais méchamment, mais le voir s’agiter l’amusait toujours grandement. Il savait parfaitement qu’il n’était pas réellement en colère, peut-être était-il cependant légèrement agacé du comportement – parfois – puéril du Tsugikuni.
Elevés séparément, ils avaient pourtant gardé un lien fort, fuyant régulièrement du domaine afin de rejoindre la petite maison où vivait Aki. L’école avait pour avantage qu’il n’avait pas besoin de fuguer, ainsi, Tsugumi attendait toujours avec une impatience certaine la rentrée. Mahoutokoro signifiait dix mois d’Akihiro.
Aujourd’hui encore, ils se retrouvaient sur l’île de Minami-Iwo, collègues désormais, les jeunes années étudiantes faisaient parties du passé. Mais les tourments du Mori ne s’étaient guère calmés, pire, Tsugumi était plus inventif encore. Une grande respiration, et l’homme explosa de rire tout en sortant de sa cachette, tapotant le dos de son frère.
De longs cils blancs caressent ses pommettes, voilant l’onyx aux multiples reflets. Les rayons du soleil inondaient la pièce de sa douce chaleur en dépit du crime commis. Il n’y avait plus de quoi s’affairer en ces lieux et le cuisinier privé de sa matière se languissait déjà d’une réponse à son papier volant. Son cœur tambourinait dans le stress d’un temps qui lui était imparti et sur lequel il aurait du retard pour servir les repas promis à tout l’établissement, mais jamais il ne doutait des intentions du Tsugikuni, malgré le silence succédant à ses attentes.
C’est un rire qui s’élève, troublant la paix du foyer, espièglerie miroir à la sienne toujours plus assagie lorsqu’il s’agissait de ses frères. De son index il abaisse le masque couvrant le sourire esquissé, se délectant de la main gratifiant son dos de tapes amicales. « Je désespérais de te voir, rends-moi mes ingrédients et tu auras ce que tu veux, même si les navets ne sont pas une mauvaise idée pour toi » il y avait pensé, rendre exclusif ce soir pour qu’il ne puisse le voler et se remplir l’estomac de légumes plus que de pâtisseries. Mais Akihiro s’en serait voulu et son seul souhait lorsqu’il s’agissait de lui était d’exaucer la moindre de ses volontés dans la limite du raisonnable. C’était peu dire que Tsugumi ne l’était pas toujours. Ses bras croisés ne le restent pas longtemps, car dans ses prunelles sombres on peut apercevoir la malicieuse étincelle ne s’animant qu’au contact d’autrui. « Sei et toi vous avez pris une mauvaise habitude, je sais que vous ne me ferez pas perdre mon travail, mais quand même si vous pouviez éviter de me faire ça… on a déjà les cheveux blancs, tu veux qu’ils deviennent transparents ? » Et il avait toute confiance en ses pairs pour réaliser cet exploit.
Les reflets brillants dans les yeux de son jumeau marquent leur différence. Lui possède de petites canines pointues quand les iris de l’assistant ont englouti le ciel. Il y voyait l’infini se profiler et une partie de son monde. Pour le reste, il lui fallait deviner ou laisser les secrets où ils étaient si tel était la volonté de Tsugumi que ça lui plaisait ou non. « Je suis content que tu sois là » besoin essentiel qu’il ne dissimulait jamais dans l’affection tendre qu’il portait à ses proches. Il adorait l’avoir dans les parages, toujours inquiet de percevoir plus loin que ce sourire et découvrir la supercherie d’une tristesse voilée. « Tu vas bien, n’est-ce pas ? » avec lui, avec eux ces yakuzas. Sans jugement aucun, il craignait pourtant que l’étreinte rassurante de son frère ne devienne des griffes prédatrices, mais jamais ce dernier ne les lui avait montrés pourtant et si tous possédaient cette ombre, tant qu’elle ne le menaçait pas, il s’en porterait bien.
15 janvier 1998
Il se laissait retomber, ses pieds se déposèrent au sol alors qu’il se grattait l’arrière de la tête.
Dans l’azur flottant brillait les reflets d’un soleil de malice auquel le cuisinier aurait dû s’attendre. Il regretta sa question lorsqu’elle s’échoua sur le seuil de ses lèvres. Le miel épanché dans les douces paroles de son frère devint âpre par le contexte de ses propos indécents, il en était indigné. Cependant, couvrir les saveurs tenait à distance celles gardées secrètes mettant Akihiro en haleine sur l’appétit de son double. La gourmandise de l’assistant ne pouvait être si démesuré à vider le moindre placard de la cuisine et se refusait à l’admettre pour le tourmenter.
Au fond de ses onyx se mêlaient suspicion et doute, en cela il ne préféra s’attarder sur l’embarras tendant ses muscles. « Je ne servirais jamais quelque chose d’aussi infâme, même si ça vient de ta précieuse personne » ses yeux s’emplirent d’étoiles dans un fond noyé d’obscurité, au-delà se cachait un monde qui n’appartenait qu’à eux. Il en oublia le retard, imaginant de nouvelles créations et l’amélioration possible de ses plats déjà sur le menu.
« Je me demandais où était passé ta modestie avant de me rendre compte que je ne t’en ai pas laissé assez ou que tu en as fait fi quand nous étions encore dans le ventre de notre mère » la tension sur ses épaules disparue lorsqu’elles tressautèrent sous son rire étouffé. « Mais j’admets être d’accord, nos cheveux blancs sont très bien comme ils sont et si tu ne veux pas voir la calvitie nous guetter, évites de me faire de telles frayeurs » fort heureusement il croyait en ses capacités à ne faire de son contre temps qu’une bouchée. Akihiro se concentra davantage sur le bien-être de son double un brin maléfique. « Je me porte aussi bien, entourés de vous tous et de ces élèves à ravir de ma cuisine » naturellement, l’étreinte endort la moindre contrariété et ses petits problèmes n’ont jamais dépassé les limites de sa patience, si grande était-elle. « Mon sommeil… Est un peu chaotique, je doute qu’on puisse véritablement y remédier, j’ai pris l’habitude de ces insomnies très jeune et je les rentabilise ne t’en fais pas »
Lorsqu’ils étaient enfants, leur séparation avait engendré de nombreuses fugues et l’absence d’un dortoir commun avait rendu leurs nuits plus courtes pour partager quelques heures de complicités. Cette habitude était devenue routine à errer dans les couloirs une fois de retour au sein de Mahoutokoro. Leur proximité étant essentielle réjouissait le modeste cuisinier. « J’ai parfois l’impression qu’on est toujours élèves, mais ça n’est pas plus mal, c’est que nous apprenons encore » d'un petit coup de code dans celui de son jumeau, il insinue toute sa reconnaissance. il était insatiable de pouvoir évoluer à ses côtés, de le voir progresser dans son domaine d’activité, d’avoir ce privilège de faire partie de sa vie. Tsugumi avait fait tant d’efforts pour lui être indispensable en dépit de leurs éducations qu’il s’était questionné sur ce que lui-même lui apportait. Ses mots à cet instant propageaient une chaleur rassurante dans le cœur d’Akihiro. Aucun d’eux ne subissait cet amour fraternel, ils le vivaient pleinement.
Dans les crépitements ronronnant, il entendit la menace, un rictus étirant le voile qui couvrait son visage. « Je le savais » accompagnant le geste à la parole, son poing s’abattit sans violence sur l’épaule de son frère, ses doigts agrippant le tissu fermement. « Tu n’as pas assez mangé que tu réclames encore du sucre ? Je n’ai pas le choix cela dit, alors je ferais mieux de m’y mettre. Tu as du temps devant toi j’espère ? Je voudrais profiter un peu de ta présence, c’est toujours plus agréable de parler en cuisinant et je ne te propose pas de m’aider tu finirais par manger ce que tu as sous la main » il le connaissait sur le bout des doigts, son espièglerie semblable était un dénominateur commun à cette entente si particulière.
Tout en agitant ses ustensiles, le cuisinier fit le choix de récupérer les quelques fruits ne s’étant pas métamorphosés, les épluchant avec facilité tout en poursuivant. « Comment est Roku avec toi ? ça n’est pas trop difficile de concilier professions ? » a-t-il la chance de voir son petit ami aussi souvent que lui peu profiter de quelques moments d’évasion avec le professeur de vol ? Devrait-il informer son frère qui sait tout de lui sur cette relation naissante ? Il le fera si ce dernier ne le savait pas déjà.
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