Un feu brûlait en elle depuis sa naissance, héritière de forges légendaires, et coulait dans ses veines un don pour la création, qu’aux yeux de ses parents il était certain serait un génie. Himawari n’était pas l’aînée, mais son frère ne pouvant prétendre au titre de futur chef, il fut décidé qu’elle serait celle qui un jour prendrait le contrôle des Awataguchi. Née femme, elle fut pourtant élevée comme un homme, dans des préceptes vertueux afin de parfaire son éducation.

Un sabre dans les mains depuis le plus jeune âge, un marteau dans l’autre, elle se devait d’apprendre pour faire honneur à ceux qui l’avaient précédé : car il ne faisait aucun doute à leurs yeux qu’elle serait elle aussi une forgeronne d’exception. Des vêtements masculins habillant son corps, nombreux étaient ceux qui la prenait réellement pour un jeune garçon. Et alors qu’elle n’était encore qu’une enfant, elle demandait souvent à sa mère si elle était heureuse d’avoir une fille, s’il avait été mieux qu’elle soit un garçon afin d’assurer son rôle futur, d’une voix tendre elle lui répondrait simplement qu’elle était parfaite comme elle l’était et qu’elle n’avait pas besoin de changer.

Les doutes demeuraient, encrés en elle, son apparence androgyne la poussant à se questionner davantage sur son identité brouillée, ne trouvant jamais de réponse satisfaisante : elle se devait d’être un homme pour diriger et une femme pour se marier, elle était pour certains l’héritier et pour d’autres l’héritière. Sa langue se liait parfois, ne sachant plus comment se nommer, car elle était les deux, tout en étant aucun, et cette pensée l’effrayée, faisant gronder en elle une anxiété qu’elle ne savait taire. Un doux sourire, Himawari se cachait derrière pour ne pas céder aux angoisses qui l’enlaçaient, constamment sous pression de par ses doutes et son rang : désireuse d’être à la hauteur de son nom.

Future chef, elle avait accompagné son père aux forges dès l’enfance, observant sa technique avant de débuter son apprentissage. Le regard attentif, il prenait toujours le temps d’aider sa fille, lui apprenant les secrets de fabrication : ceux qui n’étaient dit qu’aux héritiers par peur qu’ils ne puissent s’ébruiter. Himawari aimait ça, passer du temps avec son père détendait ses muscles, son esprit, son cœur : elle se disait qu’il serait toujours à ses côtés pour qu’elle devienne digne de son titre. Rigoureuse, elle faisait de son mieux pour apprendre de ses conseils, appliquant à la lettre la discipline enseignée.

Le visage pâle, il avalait difficilement sa salive ce jour-là, et Himawari se souvient encore de son regard sombre d’une honte qu’il n’arrivait pas à taire, d’une culpabilité qui rongeait son cœur alors qu’il observait le corps de la petite fille, inerte. Son âme avait dû se briser face à l’horreur dont il était témoin, bien qu’il ne soit pas l’auteur du crime : il était le créateur de la lame. Elle savait qu’il se sentait horriblement mal, elle le voyait dans ses yeux presque larmoyants, parce qu’il semblait s’en vouloir terriblement : il savait bien qu’un sabre pouvait tuer mais voir qu’une de ses créations avait servi au meurtre d’un enfant le tuer de détresse. Jamais elle ne revit son père en vie, car dans un dernier geste il avait voulu sauver son honneur et le nom des Awataguchi.

Le cœur serré sous la tristesse, la colère enflammait son cœur, car elle lui en voulait d’être parti maintenant : d’avoir préféré son honneur à sa famille. Elle comprenait pourtant qu’il souffrait, mais les morts ne sont pas ceux qui souffrent des pertes, ils ne sont plus : mais elle était toujours et les larmes qui coulaient sur ses joues ne voulaient pas se stopper. Il lui manquait terriblement, et Himawari s’en voulait de ne pas avoir pu le sauver : de ne pas lui avoir dit qu’elle avait besoin de lui ici et non là-haut. Elle s’était acharnée au travail, tapant le fer sans relâche, étudiant afin de maîtriser la magie qui bouillait en elle depuis toujours. Se vider l’esprit était sa seule priorité, et pour qu’elle puisse s’évader, elle devait s’occuper. Himawari voulait seulement faire taire la douleur qui rongeait son cœur.

Le temps avait pansé les plaies, bien qu’elle pleurât encore parfois, elle avait fini par accepter les choix de son paternel. L’école l’avait aidé, éloignée durant une année de chez-elle, elle pouvait songer à autre chose. L’anxiété ne la quittait pas, mais elle se portait mieux, ses questions continuaient de la perturber, ne sachant pas encore qui elle était. Se faire confiance était difficile, s’accepter encore plus, bien qu’elle n’éprouve pas de malaise face à sa silhouette androgyne – s’amusant parfois des réactions choquées de ceux qui la prenait pour un homme de naissance – elle n’arrivait toujours pas à se définir. Une jupe pour uniforme, seul endroit où elle en portait une, elle ne cache pas qu’elle aurait préféré porter le pantalon des hommes, par envie ou par simple habitude : elle ne savait pas réellement.