Ton ombre a beau te suivre partout, toi tu ne suis plus rien du tout; mort-vivant comme ton sang, tu sens la septicémie frapper à ta porte si elle ne se rétablit pas, tu empoisonneras toi-même tes veines si Eirin ne s’en sort pas, comment prétendre à être sa moitié si tu n’es pas capable de la protéger, anticiper ses besoins et ses détresses, si tu ne préviens pas son agonie et si tu ne la sauves pas du danger même s’il se cache en elle. Tes tentatives de vivre n’ont été soldées que par des échecs ces derniers temps et ton retour dans les enfers comme Orphée n’a fait que cristalliser un souvenir douloureux lorsque tu t’es retourné vers l’homme de tes désirs. Mort-vivant car la vie sous le dôme s’éteint au fur et à mesure que les flots défilent en dehors et il apparaît davantage comme une pyramide où vous n’avez plus qu’à creuser vos tombeaux; tu y as pensé le temps d’une fois, à le faire dans le fond des bois.

Tu déambules entre les salles de cours et ta soeur; le repos n’apparaît plus comme salvateur et c’est épuisé que tu entres dans la salle commune ce soir là, très tard; la fume s’engouffre dans tes narines et s’immisce dans tes poumons, gagne tes chairs, imprègne ton ventre. Happé par l’odeur ondulante tu t’approches comme un serpent qui danse sous la musique et si tes cernes trahissent ton état actuel, le corps royalement installé réveille en toi les instincts que tu aurais aimé refouler quelques minutes auparavant. Tes pas t’amènent près de son fauteuil et c’est d’un mouvement lent que tu t’installes dans celui d’à côté.

Tes yeux s’attardent sur les mains veineuses qui tiennent la nicotine, les lèvres qui avalent et le cou qui déglutit; tu le détailles sans en perdre une goutte et tu humidifies tes lippes avant de te dessécher devant ce spectacle infernal.

Tu finis par croiser les bras sur l’accoudoir, penché sur lui, les pupilles éclatantes, les babines frétillantes. « Tu hum tu ici… c’est pas très bien. »

Alarme dans la tête ding ding ding : débile.

Les aplats oranges lancés par la cheminée éclatent sur vos visages et colorent la fumée qui vacille entre rouge et blanc pourtant dans ta tête tu vois rouge quand tes yeux s’aventurent à découvrir le corps lascivement posé devant toi et c’est tes joues qui virent roses lorsque tu t’attardes sur les plis du jogging, le creux de sa cuisse, la chaleur du coton et l’odeur de l’ennui. Tu fourres finalement ton nez entre tes bras croisés, toujours sur l’accoudoir, le regard toujours perdu dans le tissu.

Et quoi ? Tu vas me dénoncer ? A moins que tu veuilles me faire chanter ?

Tu redresses tes yeux trop clairs vers les siens puis secoues la tête. « Fais moi goûter. » Tu te penches vers lui, faisant claquer tes dents pour attraper la fumée. Oh tu fais le malin Ryuu mais seras-tu vraiment prêt à la première bouffée alors que tu as déjà celle chaude qui te court le long du dos et se propage dans le ventre. « Tu n’as rien qui m’intéresse pour que je te fasse chanter, Iwasagi-kun. » Pas tomber trop vite. Tu essaies, pourtant, tu le jures. « Pourquoi tu ne fumes pas dehors ? » Reprendre une conversation normale. « Pourquoi tu ne dors pas encore ? »

Tu vois son t-shirt s’étirer au rythme de ses respirations toxiques et tu es absorbé par le mouvement presque salvateur qu’il impose : regarder un geste répétitif dans le calme, de quoi calmer quelques angoisses. Tes narines cherchent les effluves de ce corps qui se redresse, celles perdues qui viendraient exploser dans ton odorat dans l’espoir de capter un peu de musc, un peu d’endorphines, une petite dose d’excitation et de calme. « L’eau hum… le feu te sied mieux, c’est vrai. »

Tu baisses les yeux sur tes mains que tu caches un peu plus, derrière l’accoudoir. Pas que tu en aies particulièrement honte, après tout, c’est une tare avec laquelle tu as appris à vivre, mais souligner la tare est beaucoup plus dérangeant que l’ignorer. « Tu t’es fait une petite réputation parmi les… hum… junkies ? C’est ainsi qu’on nomme les personnes comme toi non ? Et puis, Iwasagi-kun… Il est primordial de connaître ses camarades. » Pour des considérations politiques somme toute, connaître sa cour et anticiper le traitre principalement. D’ailleurs, tes yeux scannent la pièce à la recherche d’intrus et, vide, tu les redéposes sur lui. « Très bien, donne la moi. » Et tu tends la main pour attraper la cigarette, le coeur plus battant qu’à l’arrivée, vas-tu vraiment goûter la première toxine ? Et si Eirin l’apprenait ? Même dans son état, il t’en couterait… Pourtant tes doigts se tendent vers l’objet de tes futurs malheurs heureux.

« Je n’en ai jamais vu. Mon sang ne s’associe, généralement, pas avec ce genre d’individus. » réponds-tu dans une moue, tu étais persuadé que c’était le bon terme à cette époque, ceux qui se laissent aller à toutes les débauches du monde dans leur coin. Une débauche qu’ils ne peuvent plus quitter. Es-tu toi aussi un junkie si ta débauche est celle plus charnelle, interdite et secrète ? Tu secoues la tête, chasser l’idée que tu tentes désespérément d’annihiler depuis bien trop d’années à présent; tu avais toujours réussi à t’en sortir et te voilà déjà à jouer avec les limites de ta raison.

Rien n’est gratuit, voyons. Qu’es-tu prêt à donner ? Et puis, tu ne saurais même pas la tenir entre tes doigts tout abîmés.

Aïe.

Tu t’enfonces dans le fauteuil, les doigts cachés sous les aisselles; tu es si fatigué que la colère ne monte pas, pas assez pour exploser en tout cas.

« Donne moi plutôt ton prix. » dis-tu doucement avant de détourner la tête comme un enfant orgueilleux. « Et… ne parle pas de ce que tu ne comprends pas; tu ne nages pas encore comme les poissons dans ce milieu pour pouvoir jouer les malins. » Tu te délestes de tes chaussures pour croiser les jambes sur le coussin qui te porte. « Pourquoi tu fumes ? Te détendre ou une autre bêtise de la sorte non ? J’ai besoin de connaître ce sentiment, en ce moment. » Tu regardes le sol, hésitant. « Un peu de répit, je ne demande pas grand chose. Alors tu veux bien ? »

Tu bascules la tête en arrière, contre le dossier du fauteuil un instant. «

Enfin… c’est pas ça que je fume pour me détendre.

Ah tu es si naïf Ryuu parfois, tu redresses la tête, curieux. « Tu prends quoi ? » Et si l’idée te traverse l’esprit tu n’en as que les contours, n’en ayant jamais vu ni senti; tu préfères l’ignorance à l’habitude lasse d’en déguster. Tu caresses juste l’image d’une main curieuse et lointaine.

Il se lève enfin, de tout son long; bien plus grand que toi, tu déglutis légèrement lorsqu’il s’approche de toi et ton coeur s’abat contre ta poitrine avec la force d’un tremblement de terre, une goutte de sueur perle le long de ta nuque et tu aimerais disparaître dans le tissu du fauteuil pourtant tes yeux s’accrochent à lui et ses gestes comme un naufragé avant de rougir, marée rouge imprévue. Oops quoi ? Tu le repousses à la hâte et t’écartes rapidos; tu refais le tour des lieux, tout garder secret, personne, tu respires. Ouf, vous êtes toujours seuls et tu plantes un regard dur dans les siens. « Oh là… qu’est-ce qui te fait dire que je suis de… que je suis un dégénéré comme toi c’est… » Tu as laissé tes chaussures à ses pieds; remonter sans serait dangereux pour ton image. Oops coincé là.

« Je ne baise qu’avec des filles, oui. Et, puis, c’est pas ce que je t’ai demandé. Si tu ne peux répondre à ma demande, je m’en vais ailleurs, c’est clair ? » Pourtant tes oreilles te brûlent autant que tes joues et tes mains qui sentent encore le coton chaud de son haut; et si tu ne faisais pas plus attention à ton comportement, on pourrait te voir trembler comme une feuille. Pourtant tu te redresses, le torse bombé, du haut de tes un mètre soixante-douze, les bras croisés. « Alors…alors tu me donnes une cigarette ou non ? Je te paie, si c’est ça qui t’importe. Dis moi combien. »

Yuuki se joue de toi; il est le chat et tu es la souris et d’habitude les rôles sont inversés, si simple de chasser; alors quand la situation se retournent, tu sens la vulnérabilité de ta situation; est-ce que tu fuis et ne reviens plus ou est-ce que tu joues jusqu’à chasser à ton tour ? Ton orgueil répond à ta place. Tu regardes le plafond un instant, le temps de te refaire une image puis tu hausses les épaules. Tu inspires longuement, expires doucement.

« Vous autres ne pouvez pas contaminer, je n’ai pas une mentalité aussi archaïque. » dis-tu d’abord. « Je ne veux pas être associé à tout ceci, voilà tout.. »

Tu finis par t’avancer vers lui, reprendre constance, la fatigue te fait perdre la tête et les priorités, il te faut te reprendre, ne pas perdre la face, continuer à dominer, ne pas perdre, ne pas perdre, ne pas perdre. « Si tu ne voulais pas m’en donner, Isawagi-kun, il fallait me le dire plus tôt, je n’aurais pas perdu mon temps avec toi. » tranches-tu. « Mais dis-moi… » Tu t’installes dans son fauteuil, encore chaud de son dos et ses cuisses, et si tu avais été seul, tu t’en serais délecté goulument. Pourtant, tu t’installes comme le roi que Yuuki semblait avoir été. « Pourquoi tu agis ainsi ? Ne joues pas trop avec le feu, Isawagi-kun, car je n’aurai aucun scrupule à te faire prendre une douche froide. » Tu souris. Oh le monde entier sait que tu peux être à l’origine des pires saloperies, tu en as déjà fait, tu as su taire tes sentiments les plus purs maintes fois, tu connais ton coeur, il a une serrure de titane, pourtant, ces derniers temps, il semble s’être fêlé et tu serais prêt à accepter l’attention de n’importe qui pourvu que cette personne soit destinée à t’aimer et accepter tes conditions. Ryuu tu manques cruellement d’amour, mais vaut-il une cigarette ?

« Un prix bien trop élevé pour une simple cigarette, tu t’en rends compte ? » Pourtant tu te passes la langue sur les lèvres, il ne fait que battre le chaud et toi le froid pourtant, doucement, petit à petit, la température s’élève et tu souhaiterais tant arrêter le feu de la cheminée pour éteindre tout désir mais il brûle quoi que tu espères en ton sein. Tu tapotes l’accoudoir pour t’hasarder à le contempler encore un peu, jaugeant la bête, vaut-elle le risque ?

« Je n’aime que l’eau chaude… brûlante. » lances-tu avant d’hausser les épaules. « Agite donc ton paquet, je ne suis pas un chien. » Pourtant tu te redresses dans le fauteuil, penché vers lui. « Baisse ton prix, que veux-tu concrètement de moi ? …Matériellement si possible. » Tu le détailles toujours, regrettant ne plus apercevoir la peau qui se livrait au jeu du cache-cache tantôt, tu aimerais revoir les os saillants sous l’élastique; peut-être sentir les hormones et tu secoues la tête vivement pour chasser tes idées vagabondes, errantes. « Oh allez, juste une bouffée pour goûter, tu commences à m’ennuyer Isawagi-kun » Faux. « Je vais m’endormir si tu continues. » Faux tu vas broyer du noir et te faire engloutir par l’angoisse, ta vieille amie. Elle va couvrir tes doigts de tendres peaux sèches et s’étendre jusqu’à tes bras, remonter sur le torse, gagner ta nuque et tes lèvres. Elle a déjà commencé son travail de propagation, heureusement que ta chemise est toujours bien fermée. « Et je n’ai pas confiance en toi pour me laisser dormir tranquillement dans le fauteuil, hum ? » S’il te plaît, garde moi éveillé ce soir. Tu lui souris plus doucement.

Il attrape son paquet de cigarettes, celui fiché dans la poche de son pantalon, celui qui a caressé sa cuisse, celui qui doit être chaud, palpé lové contre ses membres et tu frétilles quand il en sort une, est-elle molle par la chaleur ou dure car immuable ? Tu sens la salive dégorger alors tu avales doucement, dans l’attente d’une nouveauté; excité juste ce qu’il faut pour attiser ta curiosité et faire battre ton coeur; pas besoin d’une douche froide ou d’une brûlure pour te sentir vivre.

Quand il se penche sur toi tu pries pour qu’il t’enserre et t’emprisonnes à lui, tu l’espères au fond de toi, qu’il va se lier à toi, le molosse aux cigarettes, foyer des tentations et tu fermes les yeux comme lorsqu’on suce un bonbon trop longtemps désiré et puis c’est la toux, le rejet, le goût terrible, amer et toxique qui s’insère dans tes chairs pures et tu te lèves à nouveau pour happer l’air - enfumé- frais. Tes joues sont à nouveau rouge mais maintenant tu es dos au tentateur, tu es face à la cheminée. « C’est dégueulasse. » tu dis en croisant les bras. Tu inspires, expires, mieux valait la fumée du bois que les toxines fumantes. Tu calmes ta poitrine avant de retourner près de lui, face à lui en réalité, comptant récupérer tes chaussures et partir avant que tu ne sois à l’initiative de l’irréparable, avant de ne plus pouvoir faire demi-tour. Pourtant, c’est ton genou qui vient écarter les siens pour te mettre entre ses jambes, il touche presque sa cuisse et tes pupilles dansent sur le corps affalé, contracté par les rires qu’il glousse. Tu prends le mauvais chemin Ryuu. « Tu es d’un vulgaire, Iwasagi-kun… un vrai dégénéré. » Tout comme toi Ryuu, tes lèvres luisent d’envie. « Mais je n’ai rien goûté avec tout ça. Tu ne m’as pas prévenu pour la toux… » Et tes canines ressortent aussi blanches que les siennes, peut-être un peu plus brillantes.

Ses yeux sondent les tiens et les tiens l’ossature de son visage, le tranchant de ses mâchoires, les muscles de son cou et tu te perds dans l’exploration de ce camarade avant de succomber sous ses doigts, l’arrière de ton genou brûle, ton ventre brûle, tes joues brûlent et tu t’assoies sur ses cuisses que tu aimerais palper, serrer, mordre et griffer, posséder. Tu jettes un dernier coup d’oeil aux alentours - rester vigilant. Important.

Tes mains se posent sur ses épaules tandis que tu t’enfonces sur ses jambes, ton souffle se fait de plus en court, tu le gardes pour toi, pas trop succomber, pas maintenant, trop tôt et tes pouces viennent caresser sa nuque épaisse qui t’attire depuis le début et tu le regardes, la tête penchée sur la sienne, tes yeux dans les yeux, les lippes presque bavante, tu les refermes juste à temps.

Viens donc goûter. 

Oh tu aimerais déjeuner là; un repas bien copieux, satisfaisant, coupable de gloutonnerie. Tu te mords les lèvres avant de lui embrasser la joue, juste la joue, de toute la douceur que ta tristesse t’autorise. Tu n’as pas envie de goûter, tu as envie d’un plat réconfortant, tu n’as pas envie d’un apéritif ou d’une mise en bouche, tu as besoin d’un bon curry qui t’en met plein le ventre et qui force tes paupières à se fermer, qui appâte Morphée de sa douce odeur. Et tu laisses ton ventre s’agréger au sien lorsque tu inspires et le quitter lorsque tu expires, et puis tu te redresses. Ryuu, tu ne sais pas ce que tu veux, tu ne sais pas si tu veux jouer ou non, dormir ou non, manger ou non; tu es sûr d’une chose pourtant, celle de ne pas voir Angoisse réapparaître alors tes lèvres dérivent sur les siennes dans une douceur contrastante au foyer excité par l’inspiration de son propriétaire. « Tu restes tard, cette nuit ?… tu vas te coucher tard ? est-ce que tu vas te coucher ?…. » Tu espères que non.