saule pleureur

Après le fiasco du matsuri en l’honneur du nouveau shogunat, Kozuka n’avait cessé d’osciller entre détermination fraichement naissante et mélancolie incessante. Le sentiment de ne servir à rien à son clan, après cet évènement suivant son inefficacité lors de la prise de l’école, était suffisant pour terrasser régulièrement la jeune femme d’une vague d’amertume morose.

Son cœur était d’ordinaire tel un étang d’un savant mélange de passions aux reflets ébènes héritées de sa mère et de la discipline éclatante de son clan. Ces émotions s’alliaient d’ordinaire parfaitement, mais cette mare se trouvait de plus en plus souvent croupie. Cependant, c’était ironiquement également pendant le matsuri qu’un éclat d’espoir était parvenu à infiltrer sa déprime en la grâce d’une danse aux éventails délicats.

L’espoir n’était cependant pas gratuit. Le vide était présent beaucoup plus longtemps dans son cœur lorsqu’elle s’était réveillé cette semaine passée, et les sautes d’humeur maussades étaient plus fréquentes. Kozuka se voyait auparavant comme une bonne sang-pur, conservatrice d’un savoir ancestral qu’elle adorait en la pratique des arts martiaux. Depuis ces échecs, elle se voyait seulement comme quelqu’un de médiocre, tout au plus.

C’est avec ces sentiments amers que la Fujiwara décida d’aller s'entraîner dehors. Le beau temps était au rendez-vous, peut-être cela aiderait-il à lever le voile sur sa poitrine. En approchant du point qu’elle affectionnait le plus, elle vit son camarade Kazuki qui s’entrainait déjà là et qui semblait dans un autre monde, à frapper l’air les yeux fermés. Kozuka l’observa un moment, appréciant la rigueur des poings bien placés.

Bien que la technique était présente, le jeune homme semblait égaré, comme en prise à un cauchemar. Kozuka décida alors de rentrer dans son monde. Elle s’approcha sans bruit, évita les premiers coups, le bruit de ses pas couverts par le vent, avant de lever une main pour que le poing du Hayashi frappe dedans. Le garçon n’eut que le temps d’ouvrir des yeux étonnés avant que Kozuka n’attrape le poignet du kitsune de sa main libre afin de déstabiliser légèrement sa posture, un de ces coups préférés lorsqu’il s’agissait de Kazuki. Elle le relâcha en lâchant un sourire amical, presque à l’instar de ce soleil printanier.

- Eh bien, tu ne me proposes plus de venir m’entrainer avec toi ? J’ai enfin fini d'user ta patience ?

saule pleureur

Le sourire de Kozuka fana légèrement sur ses lèvres en entendant l’envie du Hayashi d’être seul, de ne pas vouloir l’embêter. Kozuka était consciente que sa stature habituelle, empreinte depuis sa naissance de suffisance, n’était pas très engageante. Mais elle avait pensé que son camarade Kitsune s’en était accommodé, depuis décembre. Puis finalement, lorsqu’il invita Kozuka à se joindre à lui, elle l’observa un peu mieux. L’impression qu’elle avait eu en le voyant de loin était toujours présente. Il semblait… Comme ailleurs. Son corps était là, mais elle voyait bien que le reste ne suivait pas.

Elle avait l’habitude, lors de leurs entraînements, de voir le Hayashi quelque peu ailleurs. Comme s’il était là pour échapper à quelque chose, et c’était d’ailleurs la raison pour laquelle elle appréciait s'entraîner avec lui : leur raison de pratiquer était à la fois semblable et aux antipodes. Kozuka continua de fixer le Hayashi, qui se mettait en position, et sentait que le vide qui le caractérisait d’habitude était encore plus lourd. Tout ce que ce vide incarnait la revulsait, car bien trop familier. Il semblait apathique de loin, et pourtant sur le point d’imploser.

- Redresse-toi, lui intima-t-elle, et on peut commencer.

Elle était familière de ce vide. Derrière cette apathie tranquille et sans bruit se cachait un désert rugissant, vide créé sous la pression de trop d'émotions cherchant un moyen de s'exprimer. Le calme avant la tempête, en quelque sorte. Pour Kozuka, frapper était un moyen certes sauvage comparé à la méditation, mais diablement efficace pour extérioriser ce trop plein d’émotions. Elle frappa en premier d’un coup de pied droit à hauteur de thorax, qu’il savait paré. Elle commençait toujours ainsi comme pour le prévenir que l’échange avait commencé. Un peu de mise en pratique lui ferait du bien, ce serait moins statique. D’ordinaire, elle donnait juste des ordres et le Hayashi frappait tandis qu’elle parait, et elle faisait de même en retour. Parfois, elle s’amusait à y placer une technique. C’est donc naturellement qu’il frappa du poing droit.

- C'est quoi, cette mollesse, aujourd'hui, Hayashi. Je te l'ai déjà dit, tu peux y aller plus fort. Frappe, lui lacha-t-elle avant de lancer son poing, qui s'écrasa lourdement dans la paume du garçon.

saule pleureur

Kozuka encaissa le coup qui se voulait puissant au creux de sa main. D’ordinaire, elle en aurait profité pour décontenancer le Hayashi, lui faire comprendre que la force musculaire ne faisait pas tout… Mais elle sentait bien que ce n’était pas le moment pour les leçons. Un bon pédagogue ne sait pas simplement enseigner son savoir, mais sait également comment se comporter avec son élève. Même si… Kozuka réprima un rougissement de honte : elle, professeur ? Les chevilles commençaient à gonfler, on dirait bien.

Le Hayashi quitta sa position. Tout dans son attitude montrait le retrait : le recul, le regard porté ailleurs… Le cœur de Kozuka se serra à la phrase du Hayashi… Mais il ne lui avait pas dit de partir, si ?

- Je suis désolée. J’ai bien vu que tu étais plus tracassé que d’habitude… Je pensais que, comme moi, t’entrainer te ferait du bien.

Kozuka hésita. Elle n’avait pas l’habitude de s’intéresser aux affaires des autres, et n’avait pas l’intention de faire la détective auprès de son camarade. Mais le garçon avait l’air de souffrir en silence, et elle n’arrivait pas à fermer les yeux sur l’authentique inquiétude qui lui prenait le cœur. Elle décida donc de rester là, en s’asseyant face au lac, proposant sa simple compagnie mais ne l’imposant nullement. Le long silence qui s'ensuivit la mettant légèrement mal à l’aise (elle, qui était pourtant tant habituée au silence ?), elle décida donc de parler, ne sachant pas trop comment s’y prendre pour faire part de son inquiétude.

- Tu as fait des progrès, tu sais. Tu ne devrais pas penser que tu m’ennuies en t’entrainant avec moi, au contraire.

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La Fujiwara écouta la complainte dénuée d’assurance du garçon en hochant doucement la tête.

- Si ça peut te rassurer, dis-toi que ça m’aide pour mon propre entraînement, dans ce cas. T’aider sur des postures et des techniques de bases me les font décortiquer et les voir d’une autre manière.

Tout en disant ces phrases, Kozuka se rendit compte de ce que ces derniers mois lui avaient apporté. Tout le monde cherchait désespérément à aller plus haut que son rival. Apprendre de nouvelles techniques, maîtriser de nouvelles armes, tout celà n’aidait Kozuka qu’à se perdre dans une illusion sans fin cultivée par les siens. Retourner aux sources permet aussi de s’améliorer, en un sens. Arrêter de courir à en perdre haleine et se poser, s’enraciner. Se (re)trouver. C’était un autre travail, qu’elle se rendait compte plus important en ce moment pour elle. Son regard se posa sur son camarade le temps qu’un léger mais franc “Merci.” franchisse ses lèvres.

Son regard se reposa sur le lac le temps d’un léger silence. Silence brisé par les mots fébriles du Hayashi. Kozuka reposa ses yeux sur le garçon. Ce n’était pas un regard inquisiteur, mais plutôt patient, en attente. Elle ne prononça pas un mot : quoi qu’elle ait pu dire, ça aurait semblé déplacé.