De la naissance à 10 ans :
Le jour s’était levé. Le soleil était chaud, intense, étouffant. Ce n’était pas la canicule, mais il fallait noter la chaleur de cette matinée. Ninmah venait de naître. Fille cadette du couple Tsukino de la branche d’assassinat, elle était leur première fille. Enki - son grand frère de neuf ans - la regardait avec cette pointe évidente d’affection. Il savait d’ors et déjà une chose. Ce petit être était précieux. Il se sentait responsable de quelqu’un. Chose qu’avant, il n’avait jamais connu.

Elle était belle. Sa peau mate témoignait de ses origines mésopotamiennes, ses cheveux blonds tirant vers le blanc était singulier, preuve qu’elle ne serait pas comme les autres femmes qu’ils connaissaient déjà. Une main parcourant son crâne encore peu recouvert, il perçut sa respiration. Et pour une fois, on apprit à Enki qu’il pouvait s’émerveiller de la vie sans pour autant la prendre.

Cette petite grandit sur les traces de son frère. Très vite, il fallut la mettre à l’entraînement. Elle était certes la deuxième dans l’ordre de succession, elle était une Tsukino. De plus, elle deviendrait un assassin. Ce n’était pas un rôle qu’une gamine se devait de supporter. Pourtant, elle commença son entrainement à 4 ans, dès lors qu’elle pouvait commencer à marcher. Son père fut son premier mentor. Strict, droit, réfléchi, il se montrait dur mais bien moins qu’avec son ainé. Ce n’était pas la magie, mais bien sa force physique et mental qu’il poussait déjà à des performances hallucinantes. Elle rentrait parfois épuisée. Fatiguée.

Et, elle gardait pourtant cette insouciance infantile. Car vivre dans un milieu où la normalité était d’être un assassin… alors tout semblait bien banal.

À l’âge de 10 ans, elle fut le disciple de son frère et dut le suivre dans ses missions. L'une d'entre elle la changerait à jamais.


10 ANS
Nous étions en décembre. L’air était frais, glacial. Les prémices de la nuit apparaissaient en lumière timide sur la voûte céleste. Pour la première fois, je suivais mon frère dans une de ses missions. Bien plus aguerri, il n’avait aucun regard en arrière. J’avais pu noter à quel point la vivacité de ses iris s’était éteinte. Il semblait à petit feu devenir une poupée, un combattant fait pour tuer.

Ce soir-là, mon innocence mourut en même temps que mon ami.

Je n’avais pas beaucoup d’amis. Les tsukinos étaient craints autant qu’admirés. Lui, il était un gamin avec qui je m’entendais bien. Je dirais même que je m’apercevais de plus en plus à quel point j’aimais sa compagnie.

Ce soir-là, j’ai compris mon rôle.

Il ne fallait pas être bête. Quand je reconnus les murs de sa maison, le bois de son parquet, sa silhouette sous sa couette, je sus.

Ce soir-là, mon humanité devint cendres et poussières.

Mon frère s’approcha de son corps endormi. Je n’eus pas le temps de comprendre. Il lui trancha la gorge. L’enfant ouvrit ses yeux écarquillés dans ma direction. La vie en lui s’éclipsait comme si elle n’avait jamais été là. Mes yeux ronds, mon cri de stupeur ne traversa même pas mes lèvres. Des larmes vint me brouiller la vue.

Ce soir-là, les remords furent les premiers et les derniers.


13 ANS
- Vis !
- Comment je peux vivre alors que je la prends chez les autres ?
- C’est ton travail. C’est pourquoi tu es ici sur cette terre.

Mon travail ?

C’était donc ça.

Ce n’était pas un besoin meurtrier qui provenait de nos gênes. Non, c’était un devoir. C’était une tâche qu’on nous incombait. Avais-je donc le choix de vivre ? Non, on me demandait de vivre. Voilà la différence. L’ordre, la suprématie. Objet de ma famille, outil et arme, réduite à être une machine à tuer quand le chef Tsukino le voudrait.

Alors pourquoi je ne me rebellais pas ?

Parce que c’était normal et que… Mon regard se posa sur mon frère.

La réponse se trouvait devant moi.

14 ANS
- Plus vite, plus fort. Garde ton équilibre. Ne te relâche pas. Ninmah !

Mes coups dans le vide, je lançai un regard noir à Enki.

- J’en ai marre, crachai-je.

C’était vrai. Je n’en pouvais plus. Mes muscles me faisaient mal, ma gorge était sèche, mon dos dégoulinait de sueur. Mes phalanges - meurtries par l’effort - saignaient en de grosses gouttes sur le sol. J’en avais marre. J’étais fatiguée, épuisée par un effort de plusieurs jours, voir de semaines. J’abandonnai le bâton au sol, prête à partir de notre terrain d’entraînement.

Une ombre me barra la route.

- Tu ne partiras pas d’ici tant que tu n’auras pas fini tes exercices, dicta cette voix caverneuse qui me faisait frissonner d’appréhension.

J’avais certes peur de père, mais rien n’était à la hauteur de cette aura meurtrière que possédait Enki. Il était grand, fort, athlétique et taillé pour être l’héritier assassin qu’on attendait de lui. Mon frère, mon sang, pourtant le monstre que je redoutais en silence.

- Enki, je ne veux plus faire ça, sanglotai-je
- Tu n’as pas le droit de donner ton avis.
- Je n’ai jamais décidé de faire ça. Je ne veux plus faire ça.

Ses iris aiguisés me tranchèrent sans cligner.

Une larme coula le long de ma joue. Faiblesse. Si mère me voyait, elle me giflerait sans états d’âme. Dans ma famille, ce signe était le témoin qu’on ressentait quelque chose. En tant qu’assassin, je n’avais le droit de rien, même de ressentir le moindre sentiment, encore moins de le montrer.

- Nini…

Son visage s’était mué en une mine de compassion. Sa main vint recouvrir dans une caresse réconfortante ma joue. Son pousse récupéra délicatement les preuves de mon humanité.

- Je sais que c’est difficile.

Il savait mieux que quiconque. Comparé à lui, je ne pouvais pas me plaindre de ma condition. Je ne subissais rien à côté. Je n’avais pas toute cette pression que lui supportait.

Alors pourquoi je n’étais pas désolée ?

J’étais égoïste.

- Je t’entraînes aussi dur pour la seule et unique raison que tu es bien la chose la plus précieuse que j’ai. Si jamais, un jour, il m’arrivait quelque chose…

Mes pupilles devinrent deux billes rondes.

- Il ne t’arrivera rien, coupai-je.
- Je ferais tout pour que ça n’arrive pas.

Oui, il deviendra l’héritier de cette branche. Et moi, je serais toujours la deuxième, je le protégerais.

Qu’avais-je comme autre choix ? Je n’en désirais point d’autres.