Tu avais passé une bonne partie de l'après-midi au lac. Pas que ce soit la chose la plus intelligente à faire avec les derniers évènements, mais rester entre les murs de l'école te donnait l'impression horrible d'étouffer, et deux nuits auparavant, tu avais fait, tu crois, une crise d'hyperventilation qui ressemblait à une crise de panique... alors tu avais décidé que c'était bien mieux de rester un peu dehors que d'avoir cette sensation de claustrophobie trop forte.

Alors te voilà en train de remonter les escaliers, avant le dîner, tu sais que la grande salle est déjà presque pleine, mais tu veux passer par ton dortoir déposer tes affaires, peut-être même aller à la douche avant d'aller manger, mais tu t'arrêtes dans les escaliers entre le rez-de-chaussée et le premier étage.

Yume est assis.
Prostré.
Et ton cœur se serre sans que tu ne t'en rendes compte.

Tes pas se font plus lents alors que tu viens t'asseoir à ses côtés, ta main glisse dans les siennes, serrées l'une contre l'autre sur ses genoux, et tu entrelaces vos doigts. Ton visage se penche vers le sien et tu lui souris doucement, tendrement. Il a l'air si triste.

« Hé... qu'est-ce qui se passe ? »

Tu n'as pas croisé Yume depuis quelques jours, tu n'as pas croisé Yume depuis la semaine dernière, et même si tu sais que rien ne lui était arrivé... peut-être, peut-être que si finalement, et ton cœur accélère sous la peur. Tes doigts serrent les siens, et tu te souviens de votre promesse, à tous les deux. Alors tu rajoutes, la voix basse :

« Yume, je suis là. Je suis là, tu sais. Pour la vie ? »

Dis Yume... viens on reste amis pour la vie.
Promesse enfantine un peu puérile.
Mais jamais tes mots n'ont été si indéniables.

Diminutif murmuré entre des lèvres tremblantes, tout ton corps s'efface sous le poids de la tristesse qu'il semble vivre. Ta main serre un peu plus la sienne alors que ses larmes s'échappent, que son corps se recroqueville, et que son cœur semble se briser en mille éclats que tu ne peux ni voir ni saisir.

Tu échanges de main, saisis toujours les siennes alors que le bras le plus proche de lui enserre ses épaules, glisse tout contre lui, l'emprisonne dans une étreinte timide, tendre, la plus douce possible. Tes doigts glissent dans sa chevelure alors que ton front vient à la rencontre de sa tempe. Peut-être déposes-tu un baiser sur la joue, et tes doigts se faufilent dans les mèches dans de douces caresses, pour repousser son chagrin, pour chasser son désespoir.

« Yume... Yume je suis là, je reste là. »

Tu restes là, Kiyoshi, tu ne pars pas, tu le gardes entre tes bras. Tu l'emprisonnes, l'emmènes loin de tout ce qu'il veut éviter, fuir, oublier. Tout. Tu le gardes entre tes bras, le protèges des regards et des jugements, des paroles et des violences. Et ton étreinte se resserre un peu plus, ton nez glisse contre sa joue humide alors que tes lèvres murmurent encore et toujours :

« Je suis là, je pars pas. »

Et c'est une litanie que tu répètes, douce tendresse que tu veux qu'il comprenne. Tu es là, Kiyoshi, tu ne pars pas. Tu restes là, tu ne l'abandonnes pas. Et de nouveau, tes lèvres essuient ses larmes, d'un baiser, puis d'un deuxième, et encore une fois.

Il faut de longues secondes, de longues minutes, pour que la respiration de Yume se calme, pour que les larmes s'effacent, et ta voix se tait alors, tes doigts se faufilent toujours dans sa chevelure, serrent toujours les siens sur ses genoux. Puis une excuse, et tu secoues la tête de gauche à droite. Non, non il n'a pas à s'excuser, il n'a pas à demander pardon. Pourquoi le fait-il ? Ce n'est pas la peine. Tu es là pour lui. Tu le lui as promis.

Kiyoshi, je dois te dire un truc.

Et tu attends, parce que tu veux l'écouter, tu veux l'écouter vraiment. Parce que tu as l'impression que tu peux le comprendre d'un seul regard, parce que tu as l'impression qu'il te connait déjà mieux que quiconque. Il se redresse, et tes doigts arrêtent leurs caresses dans ses mèches, glissent sur son dos et tu le regardes, le regardes, le regardes encore. Peut-être esquisses-tu même un sourire, pour le rassurer.

Parce que c'est Yume, Kiyoshi.
Et Yume est un peu ton rêve éveillé.

Hésitations. Il ne sait pas. Se reprend. Mais Kiyoshi, s’il te plait, essaie d’éviter Kiyo. Ninomiya. Tes sourcils se froncent légèrement. Tu essaies de mettre un visage sur ce nom que tu connais rapidement. Il te faut quelques instants. Les cheveux sont la première chose qui te revient en mémoire. Tu hoches alors la tête, sans même lui demander pourquoi, et tes deux mains prennent les siennes, les enlacent et tu lui souris avec tendresse.

« D'accord. »

Tu restes là, à observer vos mains liées un instant, puis tu demandes alors, la voix plus douce encore, plus basse aussi, comme un secret :

« Tu veux m'expliquer ? Si tu veux, je suis là. Et si tu veux pas, je suis là aussi. »

Léger rougissement sur tes joues, tu relèves le regard vers lui, lui souris. Et tu ne sais pas, Kiyoshi, pourquoi il y a tant d'amour enfantin entre vous, mais tu t'en fiches un peu, parce que le plus important, pour toi, c'est de l'avoir auprès de toi. 

Oh. Tu le regardes, un peu surpris. Tu le regardes, tes mains toujours dans les siennes, sans que tu ne comprennes pourquoi ça avait l'air si grave. Ce n'est qu'un baiser. Qu'un baiser volé, qu'un baiser sur l'instant, que vous avez tous les deux partagés, mais qui a vite été oublié. Un baiser que vous souhaitiez, mais qui ne signifiait rien de plus qu'une promesse d'amitié.

Et il t'explique, Yume, qu'il a du lui dire, et tu hoches doucement la tête. Tu aimerais lui dire que tu comprends, mais que tu ne le comprends pas lui, Kiyo, parce que... parce que ce n'est pas si grave, un baiser, non ? Surtout s'il ne signifie rien ? Surtout s'il n'amène à rien ? Vous vous étiez embrassés, oui... mais c'est tout ? Il n'y avait rien eu de plus ? Il n'y avait pas eu d'envie en plus ? Il n'y avait pas eu d'amour, de tendresse ? Pas comme celle que tu avais pu partager avec Tetsuya.

Pendant un instant, Tetsuya reste dans ta mémoire. Devrais-tu lui dire, toi aussi ? Il t'avait demandé d'attendre, oui, mais... était-ce si important ce baiser ? Tu chasses Tetsuya de tes pensées alors que Yume se recroqueville sur lui-même. Tetsuya attendra. Une de tes mains abandonne les siennes, vient se glisser dans sa chevelure sur laquelle tu déposes un baiser tendre.

« Yume... Yume c'était rien, d'accord ? C'était, enfin... c'était juste... ça signifiait pas grand chose, entre nous, je suis sûr qu'il va comprendre. Il va comprendre... Yume ça va aller, ça va aller, d'accord ? »

Et tu aimerais lui promettre, encore, toujours, encore et encore ça va aller. Mais tu ne sais pas, Kiyoshi, si ça va vraiment aller, s'il va vraiment aller bien, si ça va s'arranger, tu n'en sais rien. Mais pour toi, ce n'est pas important, ce n'était qu'un petit baiser, de rien du tout, qui ne signifiait rien, que l'on pouvait oublier.

Tes doigts continuent de vagabonder dans sa chevelure et tu murmures tout contre lui :

« Et t'as pas à t'excuser, t'as pas à t'excuser, Yume, d'accord ? Je t'en veux pas, je t'en voudrais jamais. »

Non, jamais, Kiyoshi. Et tu te rapproches encore un peu plus de lui, déposes un baiser sur sa tempe. Jamais.

Il te dit que c'est compliqué, si compliqué. Et tu aimerais lui demander pourquoi, mais tu te tais. Ce n'était pas à toi de demander, non, seulement s'il voulait te le dire, peut-être qu'un jour, il se sentirait prêt à te l'annoncer.

Petit à petit, les larmes se sèchent, les sanglots se calment, et ta main continue d'aller et venir dans ses mèches. Puis vos regards se croisent, il s'excuse de nouveau et tu secoues la tête de gauche à droite.

« T'as pas à t'excuser. Je continue de penser que ça ne signifiait pas grand chose, et que... que ça s'est juste passé. Et après ça bah... ça veut juste dire que tu pensais à quelqu'un d'autre, c'est pas grave. T'as pas à t'excuser, promis. »

Un sourire tendre vient étirer tes lèvres alors que tu le serres un peu plus contre toi. Toi aussi, t'avais pensé à quelqu'un d'autre, Kiyoshi. T'avais pensé à Tetsuya, aux baisers, à la différence qu'il t'avait laissé. Tu avais songé au réveil, le lendemain matin, au sourire niais qui avait étiré ton visage. Le premier depuis que le directeur t'avait annoncé le décès de ta mère. Tu te souviens de ce nœud de bonheur au creux de ton estomac, malgré le deuil que tu n'avais pas encore fait... puis le désespoir.

Un léger soupir t'échappe après une inspiration profonde :

« Ça va aller... on va trouver une solution. »

Tu ne sais pas laquelle, Kiyoshi, mais tu trouveras une solution.

Il voulait que tu sois au courant de la situation, et tu le remercies pour ça, mais pour toi, tout est exacerbé, tout est à l'excès. Ce n'est qu'un baiser, un baiser qui ne signifiait rien, un baiser qu'il ne souhaitait pas réellement avec toi, que tu ne souhaitais pas réellement avec lui. Tu ne comprends pas pourquoi ça peut prendre des proportions si grandes, si énormes. Ce n'est rien. Ça ne signifiait rien.

Personne n’est au courant pour Kiyo et moi… Il a jamais voulu que ça se sache… La surprise se lit sur ton visage. Comment Ninomiya aurait pu ne pas vouloir ? Ne pas montrer que c'était Yume qu'il avait avec lui ? Que Yume et lui avaient quelque chose de fort, fort, si fort ? C'est Yume dont on parle. Alors tu ne comprends pas, parce que Yume te semble parfait dans son intégralité.

Il vient se caler contre ton torse, et une de tes mains glisse sur son épaule, l'autre va et vient dans sa chevelure brune. Tu inspires, expires, profondément, calmement, comme pour le forcer à se calmer lui aussi.

« Tu sais, Yume... »

Tu hésites, ouvres la bouche, la refermes. Ton visage se baisse un peu et vient se cacher dans ses mèches. Tu restes un instant comme ça, à réfléchir si tu dois vraiment le dire, puis tu te redresses de nouveau, à peine, pour que tes lèvres glissent contre son oreille :

« Tu mérites quelqu'un qui serait fier d'être avec toi. T'es exceptionnel, tu sais ? Et tu mérites qu'on soit fier d'être avec toi. Il aurait du être fier d'être avec toi, il aurait du le montrer à tout le monde. »

Parce que Yume, Yume il est exceptionnel, il est doux, il est tendre. Yume il est cet ami que tu as ardemment désiré, pendant si longtemps, celui qui te comprend parfait. Parce que Yume est rassurant, et chaleureux. Parce que Yume veut le bonheur des autres avant le sien, et il mérite tant, tant de joie et de tendresse. Yume est exceptionnel. Yume est extraordinaire. Yume est magique. Et tu aimerais qu'il s'en rende compte comme tu l'as fait.

Yume ne semble pas vouloir comprendre à quel point il mérite beaucoup plus que ce qu'il lui a été donné. Yume se voit si faible, si insignifiant par rapport à Ninomiya que ça pourrait t'énerver, vraiment. Parce que Yume... Yume mérite le monde entier. Et il t'explique, t'explique à quoi Ninomiya est destiné, et ton emprise se resserre sur lui. Alors quoi ? Alors leur histoire était faite pour se terminer ? L'amour que lui portait Yume était fait pour être brisé ? Non, tu refuses de croire ça, Kiyoshi. Tu refuses.

Et il t'explique, il te dit que ça n'aurait pas été une bonne idée, et tu comprends. Sincèrement, si quelque chose avait lieu entre Tetsuya et toi – et plus le temps passe et plus ton esprit te donne toutes les raisons de croire le contraire – tu ne sais pas si tu aimerais le crier au monde. Mais tu serais tellement, tellement fier, d'être avec lui, Kiyoshi. Tellement heureux aussi.

Tes doigts vagabondent toujours dans ses cheveux, l'autre monte et descend dans son dos dans une caresse tendre, machinale, comme habituelle. Le nez contre le haut de son crâne, tu inspires, expires lentement. Tu ne sais pas quoi lui dire, Kiyoshi. Tu ne sais pas.

« Je sais juste que t'es extraordinaire, Yume. Essaie de le croire, d'accord ? Parce que t'es exceptionnel pour moi. »

Et tellement, tellement important. Et tu veux juste qu'il le sache. Et tu veux juste qu'il le comprenne. Et tu veux juste... juste continuer de le serrer contre toi et le protéger de tout et de tous. Tu veux juste lui prouver, Kiyoshi, à quel point il est exceptionnel, extraordinaire, unique. Parfait dans son intégralité.