Sa main tremble, agrippée à la poignée de la porte. Dans sa gorge s’agitent deux ou trois chats, de n’avoir pas murmuré le moindre mot trop longtemps - lorsqu’il ose pénétrer dans la pièce, l’eau ruisselante lui rappelle l’immensité amphibie qui les entoure. Quitte à trépasser entre ces murs, si profondément dans l’océan qu’il se languit mortellement du soleil, autant aller jusqu’au bout.

Sur une inspiration, il frappe l’embrasure de son poing fragile ; ses yeux luisent d’un bleu si contre-nature qu’ils en paraissent aliens, et l’anxiété qui y a pris racine en crève le voile d’une poignée de strates dorés. Bonjour ? C’est un murmure mal-assuré, ficelé d’une hésitation viscérale. J’aimerais voir le parchemin. Je sais que quelqu’un le garde, et j’ai pas envie de me faire bouffer vous voyez, parce qu’on risque déjà de crever à chaque seconde avec ce dôme louche, donc j’me disais, ça serait con de mourir comme ça, pas vrai ?
Il en avait entendu, des rumeurs - toutes décrivaient un renard, mais d’envergures diverses et variées. Dans un souffle chevrotant, il conclut : je voudrais savoir qui est ma mère. Il peut écrire ça, non ? Juste son nom. Même pas son prénom, si c’est trop d’efforts. Ou au moins… Au moins, je sais pas, d’où je viens ? ...s’il vous plaît.

Il y a sûrement dans son oeil une hésitante lueur—l’appréhension fait vibrer ses épaules et assèche le fond de sa gorge, mais quelque part, au fond de l’iris rougeâtre, c’est la détermination qui brille, lacée de désespoir. Foutu pour foutu, qu’il se dit misérablement ; mieux vaut mourir avec la vérité que le mensonge.

Il pourrait te dire qu’il a peur et qu’il n’a jamais été certain de rien, si ce n’est qu’on lui a menti toute sa vie. Il pourrait te confier que sur son échine pèse le poids de la bâtardise anonyme, sa naissance bafouée sous le couvert d’une pute étrangère que son père avait payé une fortune, avant de se retrouver coincé avec ce gosse. Il pourrait te dire qu’il jalouse ses cousins depuis leur deuil, incapable de ressentir la tristesse d’une perte assez proche pour lui ouvrir le coeur. Il pourrait te dire qu’il déteste sa mère pour l’avoir abandonné entre les bras d’un incapable, qu’il aimerait la connaître pour lui hurler sa tristesse.

Au lieu de ça, Ange tire sur ses lèvres un sourire qui paraît presque détendu, convaincu. Au lieu de ça, c’est son menton qui ploie sous l’assentiment, persuadé qu’un nom délogera la boule fichée dans son gosier de faux métis. Au lieu de ça, il dit : je suis prêt, et si c’est dans la gueule du loup qu’il se jette, eh bien,
Ange est un renard.

Le nom brûle—Nishimura. Sa tangibilité l’étourdit et, dans un déglutit maladroit, Ange sent ses rotules trémuler. Sans doute aurait-il préféré ne rien reconnaître dans les caractères, brouillés par ce qu’il saura plus tard appeler larmes ; hélas c’est à la portée fragile de ses doigts qu’elle se dresse, l’évidente appartenance à un clan obscur, de ces rares familles que les Ueda aujourd’hui ne côtoient. Pièces de puzzle qui macabrement s’assemblent, et sa mâchoire contractée peine à articuler la moindre syllabe.

C’est assurément la peur qui huile la machine infernale, ses mécanismes grinçant au fond d’une carcasse saturée de boulons desserrés. L’idée d’autres informations à glaner, de secrets monstrueux à déterrer ; il ravale la salive tapie au fond de sa bouche et serre des poings frêles, les rouages affolés sous l’encéphale. Est-ce qu’elle vit encore ? Ou l’ont-ils assassinée pour faire taire l’adultère—est-ce qu’elle était mariée ? Y a-t-il quelque péché que ce soit dans leur union, qui aurait valu son abandon ?

Il souffle, craintif, et presse les omamori pendant à ses oreilles, comme pour se protéger. Est-ce qu’il n’y a que moi ? Y a-t-il quelque part un autre enfant-bâtard, né des mêmes monstres ?