La paisibilité qu'amenait la sensation du travail bien fait n'atteignait jamais Kaguya pour longtemps. Si elle savait se féliciter de ses accomplissements, elle ne pouvait jamais empêcher ses pupilles de s’accommoder plus loin que les victoires devant elle : son focus dérivait immanquablement sur les obstacles à venir.
Le dortoir n'était sujet au labeur que lorsque la plus belle des ombres n'y traînait pas et, autant bénédiction que malheur, il s'avérait que Kaguya avait du mal à se concentrer dans ses propres quartiers. Aucun chaos ne s'affichait sur sa figure ; son épine dorsale, couronnée de cette tête aux trois couleurs, semblait continuer à vouloir dominer ce monde de gratte-ciels.
Lorsque la tension désarçonnait trop son esprit, la sélénite prenait le chemin des jardins et, si la journée était bonne, elle pouvait apercevoir une autre silhouette tant désirée -la Lune, là-haut, de sa blancheur éclatante dans les ciels d'été trop saturés. Les galets liliaux, intouchés, en milles reflets jumeaux, donnaient à Kaguya comme une sensation de foyer.
Dans ce quantième-ci, elle était entourée de livres ouverts, absorbant le savoir qu'on laissait négligemment traîner sur quelques feuilles de papier. La matière irritait sa main à force de venir et d'aller, d'inscrire encore et encore de cette encre sombre ce qu'elle voulait graver dans sa tête. Il en était de son devoir -et il était hors de question d'y manquer.

Elle avait perdu conscience de son entourage. Des mauvais augures auraient pu s'annoncer dans les cieux qu'elle ne les aurait pas deviné avant les premières gouttes. Kaguya n'était pas du genre à se faire surprendre, et même si l'orage éclatait soudainement, il ne lui arracherait qu'un soupir exaspéré.
Ses recueils de savoir étaient imperméabilisés, de toutes manières.
Malgré ses plates humeurs et cette stabilité si irritante, Kaguya pouvait se laisser influencer par des parasites du temps qu'elle s'accordait. Si elle avait bien compris quelque chose par ici, c'était que le temps valait plus cher que l'argent. Elle ne voulait pas être de ceux qui voudraient s'en mordre les doigts plus tard / trop tard, lorsque l'arthrite les empêchera de poursuivre la pierre philosophale. Et pourtant s'invitaient, inlassablement, des étrangers non désirés, des faces familières qu'elle aurait voulu ignorer mais dont elle retenait toujours les noms. Son instinct de survie avalait tout cru les agacements vecteurs de fainéantise.
Aussi reconnu-t-elle le cuisinier, puisque c'est ce qu'il était / qui il était, lorsqu'il vînt imposer son contraste à l'isatis de Kaguya. Ses traits restèrent impassibles ; elle retînt un sursaut de toutes ses forces, opposée à l'idée de laisser des faiblesses du hasard, bien humaines, faire plaisir à un être qui recherchait le chaos dans le plus entropique des esprits.
Sa main s'arrêta d'écrire une seconde. Ses yeux fixaient le loin. Elle s'accrocha à l'ensemble de vert devant ses prunelles, en admira la délicatesse des formes. Elle songea aux patients artisans à l'origine de cette harmonie, laissa leur sens de l'imprévu fleurir sagement en elle.
Des choses qui demandent du calme et de la concentration. Veuillez parler à quelqu'un d'autre, je n'y suis pas disposée. La monotonie ressemblait à un lac sans ride à la surface ; il cachait bien l'énergie des poissons aux longues dents qui l'habitent. Toujours aussi droite, inflexible, Kaguya baissa à nouveau les yeux pour entamer une nouvelle ligne du bout de son stylo.

Il ne fallu pas bien longtemps pour que la pointe du stylo de Kaguya s'arrête, accrochée dans les airs. Elle retînt un soupir, le transforma rapidement en force -ses mandibules se serrèrent si fort qu'il n'y avait probablement plus d'air entre ses dents.
Kaguya aimait son stoïcisme physique. Elle avait de la fierté dans ses non-réactions, et si elle réagissait, ce n'était généralement de bonne augure pour personne. Apathique, presque inhumaine, l'élève trouvait généralement sa paix à travers l'absence des autres. Aujourd'hui était un de ces jours qu'elle voulait passer seule mais, visiblement, on ne voulait pas la laisser faire.
Patiente, elle opta une nouvelle fois pour le refus, simple et poli. Ses airs sérieux décourageaient les plus influençables et, si ce cuisinier n'était pas de ceux-là, elle saurait enclencher des suites à ce simili de plan.
L'extérieur me convient pour son calme. Un attrait qui, malheureusement, n'existe plus depuis quelques minutes -j'aimerais retrouver la tranquillité avant le début du couvre-feu. Kaguya ne regardait pas Hanaoka. Elle n'en avait aucune envie et n'en voyait pas l'intérêt ; à la place, elle dévisageait de nouveau le paysage. Elle s'arrêta un instant sur les tracés qui ornaient les blancs galets du jardin, se demandant jusqu'où ils pouvaient bien mener quiconque s'y intéressait.
Je ne souhaite pas augmenter l'indice glycémique de mon régime alimentaire. Ses phrases étaient indubitablement directes, tout en restant étrangement enveloppée de plusieurs couche de politesse. Elle n'avait pas encore l'envie d'être plus incisive, mais cela ne saurait tarder si l'autre continuait d'imposer sa présence.
Silencieusement, Kaguya savait déjà quels mots elle pourrait, dans cette éventualité, lui lancer. Elle termina sa phrase sur son cahier.

Les minutes étaient interminables et, pourtant, le soir était encore jeune. Kaguya l'aurait préféré âgé, sénile déjà, centenaire s'il le fallait -elle aurait eu l'excuse de l'heure pour arracher cette sangsue de son mollet sans s'embarrasser de plus de dialogue.
Kaguya ne jugeait pas vraiment sur les apparences : l'intérêt qu'elle avait pour les autres était trop bas pour cela. Certains choix l'interpellaient, pour sûr, et alors elle pouvait exprimer de la curiosité tout au plus. Les cheveux bubble-gum de son interlocuteur l'avaient interloquée pendant un moment, avant qu'elle ne laisse cette question flotter dans le néant : il paraissait tout indiqué qu'il ne s'agissait que d'un moyen d'extérioriser sa personnalité pour le moins exquise. L'interrogation était inutile.
Le crissement du papier vient encore un peu plus rayer ses nerfs. Kaguya, au fond, n'était pas une personne très complexe : la plupart du temps, elle voulait juste rester seule.
Elle haïssait l'interdiction de transplanage de l'école. Dire que tout ceci aurait pu se terminer en une seconde ! Kaguya n'aurait pas hésité à confronter le règlement en cet instant précis, mais elle n'était qu'une simple élève démunie face aux plus grands enchantements du Japon. Elle se renfrogna intérieurement, au courant de son sort. Elle avait comme l'impression que, si elle décidait de s'en aller, elle ne parviendrait tout de même pas à dégager ce nuisible.
J'émets des doutes quant à votre relative utilité en cas d'attaque, cuisinier. Là était le paradoxe : elle ne voulait prolonger la discussion, mais répondait toujours. Ses réponses étaient, au fond, toujours les mêmes, exprimant douloureusement sur l'aversion qu'elle avait pour l'énergumène à ses côtés. Elle était certaine que le message était passé, et pourtant, il ne montrait aucun signe d'abandon.
Ma situation actuelle -entendez par ici immédiate- est gâchée par un invité non désiré. L'élève se montrait plus directe, incisive, lassée de l'acharnement de cet adulte si peu mature. Il n'y avait aucune joute verbale, aucune défense, aucun éclat d'irritation, et Kaguya ne voyait pas ce qu'il pouvait vouloir d'elle. Voyez, je souhaiterai réussir mon année. Cela nécessite d'étudier ; savez-vous au moins ce que signifie ce verbe ? Elle décide de l'imiter : elle aussi ne répondra plus, et laissera couler sur eux l'ignoble impression de cette discussion entre sourds. Discuter de la situation n'était pas quelque chose qui l'intéressait ; elle ne voulait que voir la réaction des autres, tout au plus. Si celle du cuisinier pourrait appâter sa curiosité, son comportement avait étouffé cette flamme avant même qu'elle ne crépite.

Kaguya n'avait aucune idée de ce qu'aucune peine chronique pouvait bien provoquer. Elle n'était connaisseuse que dans les choses qui brisent trop le cœur pour y croire, celles pour lesquelles on crée des mirages de palaces qui grimpent jusqu'au firmament -plus solides que tout ce qu'on pourra lui dire. Kaguya ne connaissait les blessures qu'à travers les pansements qui la décorait. L'air, pour elle, ne voulait rien dire. Surtout, elle ne cherchait pas à donner de l'importance à cet autre.
Lui donner de la substance n'allait que creuser son irrépressible envie de lui décrocher un mae geri en pleine face. Kaguya le sous-estimait totalement. C'était sa technique pour l'enrager, l'énerver, le faire quitter cette conversation offensive, mais il était évident que cela ne fonctionnait pas : les cinq dernières minutes le prouvaient encore. L'élève, cependant, restait certaine d'avoir l'ascendant physique. Elle n'oubliait pas cette ressource, tout en se doutant que laisser des traces visibles de son énervement n'était pas la meilleure des solutions pour s'extirper de cette situation.
Si le monde était pourri, peut-être était-ce plutôt à cause de personnes comme le cuisinier. Quel était le crime de Kaguya ? D'être assise ? De vouloir le calme ? De le demander sans gants de velours ? Ici, le premier sans respect n'était pas elle. Jamais son consentement n'avait été donné. Akira ne récoltait que le chaos qu'il venait semer : Kaguya n'était rien d'autre qu'un amplificateur.
Son silence resta plein. Les lignes de son cours étaient faussement lues, de ses yeux qui défilaient inlassablement de gauche à droite. Je n'ai jamais dit cela. Là était la délicatesse de la demoiselle : elle n'insultait jamais directement, laissant le flou sur ce qu'elle pointait réellement. Oh, bien souvent, cela permettait aux autres d'imaginer la pire critique, celle qui touchait toujours juste. L'échec était flagrant sur Akira.
Lorsqu'il lâcha sa dernière phrase, son regard se refroidit encore. Ce furent les pages de son carnet qui purent en admirer le vide. Elle avait envie qu'il cesse d'exister, purement et simplement, là, de suite. Qu'il parte en poussière.
Kaguya ne prétendait pas être complexe. Au vu de tout ce qu'elle avait dit, il n'était pas difficile de deviner qu'elle désirait être seule et qu'elle n'allait pas faire l'effort de s'intéresser à Akira. Ce n'est pas vraiment qu'elle se fiait aux apparences, c'est qu'elle n'en avait rien à faire. Je n'ai d'intérêt dans votre exercice de philosophie. Veuillez partir, s'il vous plaît*.
Kaguya en vînt à regretter la compagnie de la luciole.