BULLYING
03.09.1997

D’une mauvaise humeur excessive et massacrante, le lion tournait dans sa chambre comme dans une cage. Nael avait la désagréable – mais véridique – sensation qu’il gâchait tout dans sa vie. Ceci voulant dire, évidemment, que lui se persuadait que les autres s’évertuaient à tout gâcher dans sa vie.

Tout avait commencé avec la mort de Clovis, bien sûr. Qui, pour le coup, n’était vraiment pas de sa faute. Puis, avait suivi l’horrible trahison de sa mère qui, pour la première fois, avait osé le réprimandé lorsqu’il avait pris la décision de supporter les ambitions de Seimei. Et, pour la même raison, les foxstreet l’avaient rejeté du groupe – dont il avait pourtant été un des premiers membres !
Maintenant, il pensait même perdre son meilleur ami – enfin, son seul ami.

Perdu, mais un peu trop têtu pour se faire aider par qui que ce soit, le jeune garçon se contentait de ruminer. Encore. Et encore. Et la chambre dans laquelle il était condamné n’arrangeait rien ; il ne savait pas qui l’agaçait le plus parmi ses colocataires.

Masachige, probablement, gardait la palme. Ils n’étaient jamais vraiment parvenus à se supporter – ce qui n’avait rien d’étonnant, au vu de son caractère (à Nael, bien sûr ; Masa n’avait rien à se reprocher) – et leur relation avait empiré, avec le temps. Si Ange parvenait à maintenir un semblant de paix entre eux jusqu’à maintenant, ils en étaient désormais à se détester sans la moindre cordialité.
Chidori l’insupportait, sans qu’il n’ait rien besoin de faire.
Kazuki… justement. Kazuki l’agaçait tout aussi prodigieusement, mais il s’avérait d’un certain réconfort.

« Kazuuuu… »

Le ronronnement a l’intonation d’une menace, lorsqu’il voit le second Hayashi entrer dans la pièce – seuls, tous les deux ; parfait.

« Tu peux aller me chercher un truc en cuisine. Je commence à avoir faim. »

Il se dirige d’un pas vers son cadet, l’allure d’un fauve en chasse et pointe son doigt contre sa poitrine.

« Ah et : c’est pas une question. »

Si Kazuki s’apparentait à un certain réconfort – et confort, d’ailleurs – dans cette chambre, c’était bien pour ça : parce qu’il pouvait défouler ses ressentiments sur lui.

BULLYING
03.09.1997

Nael haussa un sourcil, s’étonnant de la rébellion de son – peut-être – cousin, avant même de s’offusquer de ses propos. Une fois les mots pris en compte, il ne sut plus s’il devait s’en vexer ou en rire. Lui, grossir ? Bah, si ça avait dû arriver, ce serait déjà fait. Il dépensait autant de calorie qu’il n’en avalait et, de toute façon, il était encore en pleine croissance – du moins, il l’espérait, parce qu’il ne s’estimait pas assez grand.
Kazuki ferait bien de manger un peu de soupe, d’ailleurs, s’il voulait son avis.

« Et pourquoi devrais-je me déplacer, alors que tu peux y aller pour moi ? Tu es déjà debout et plus près de la porte, de plus. »

Heureusement – pour lui, comme pour le plus jeune – il ne fit pas résistance bien longtemps. Résistance était même un grand mot pour qualifier le léger répondant dont avait fait preuve le huitième année.

Néanmoins, la menace sous-entendu dans sa phrase – qu’il ne se plaindrait pas de ce qu’il allait lui ramener – lui laissa un frisson d’appréhension. Il n’oserait quand même pas l’empoisonner ? La supposition lui semblait peu probablement, mais… sait-on jamais.
Sinon, qu’importe ce qu’il trouverait, le redoublant s’en accommoderait

D’autres pensées occupèrent bien vite son esprit, lui faisant oublier ses doutes. Si la faim ne se rappelait pas à lui, il en oublierait même d’attendre Kazuki. Cependant, il arrivait, enfin, avec des biscuits qui semblaient, finalement, fort appétissants.

« Si c’est pour les rats, tu ferais mieux de les manger, Kazuki… »

Un sourire perfide effleure ses lèvres, qu’il ne tarde pourtant pas à humidifier du bout de sa langue, sous l’agréable odeur émanant des gâteaux. Une rapide inspection lui indiqua qu’en plus de sentir bon, leur apparence ne témoignait de rien d’anormal. Il ne lui restait qu’à goûter, pour se voir confirmer ce qu’il nommait la triade du comestible – apparence, odeur et goût habituels.
Sa manière, à lui, de s’assurer qu’un aliment n’était ni périmé, ni empoisonné.

Une bouchée suffit donc à le rassurer : ils étaient plutôt bons !

« Je crois que mon balai à bien besoin d’être ciré, au fait… »

Il croqua dans un biscuit, l’air innocent, mais un regard lourd de sous-entendu tourné vers lui.

BULLYING
03.09.1997

Les cookies croquent sous sa dent, pendant qu’il attend la réponse de l’autre adolescent – plutôt que des paroles, c’est une action qu’il souhaite ; celle qu’il a réclamé d’un sous-entendu. Ce qu’il veut n’arrive pas, pourtant et, par le biais des mots, Kazuki exprime son refus, s’attirant une moue réprobatrice de la part de Nael.

Il se contente d’abord de rester silencieux, sans bouger de son lit, sur lequel il s’était assis, regardant son cadet se retourner avec obstination. Une fois les dernières miettes de gâteaux, perdus autour de sa bouche, récupérés avec sa langue, il se leva pour récupérer son balai.

« Je te trouve bien décevant, Kazuki. »

La voix doucereuse et un soupire à peine exagéré à ses lèvres, il récupéra aussi la cire et les brosses contenu dans un kit, qu’il lança aux côté de sa victime – il avait, au moins, fait l’effort de ne pas les lancer directement sur lui.

« Depuis quand oses-tu te rebeller, au juste ? »

Dans cette relation inégale, il n’a jamais été question de rébellion ; dans l’esprit de Nael, en tout cas, ça a toujours été une évidence – et là aussi, il se persuadait de n’avoir jamais tort.
Franchissant la distance les séparant, il s’arrêta juste devant son cadet, l’empoignant par le col avec une rudesse à peine contenue.

« Encore une fois : c’était pas une question. Fais ta crise d’adolescence à d’autres, mais pas à moi. »

La remarque est bien hypocrite, de la part de l’enfant pourri gâté, qui ne s’embarrasse pourtant pas d’une quelconque remise en question.
Puisque la demande, à elle seule, ne suffit pas à convaincre Kazuki de s’y plier, l’intimidation pourrait, elle, l’y aider.

BULLYING
03.09.1997

Décidemment bien révolté, Kazuki ne cessait de se débattre, s’acharnant à se rebeller contre des ordres qu’il n’avait (presque) jamais contesté.
Malheureusement pour lui, Nael n’avait pas passé dix-sept années de sa vie à obtenir ce qu’il voulait en abandonnant dès la première difficulté, si bien qu’il ne laissait pas tomber si facilement.

« Aux dernières nouvelles, les esclaves ne choisissent pas de quand ils en ont assez. »

Il parvenait à garder une voix plutôt maitrisé, malgré l’effort nécessaire pour contenir au mieux l’adolescent qui s’agitait sous lui. Son rôle de batteur entraînait les muscles de ses épaules, bien qu’il ne paie guère de mine en apparence – l’acharnement jouait, aussi, son rôle. Mais même en ayant l’avantage de la prise, le plus jeune devenait difficile à retenir ; il se senti donc soulagé quand il se calma enfin.

« Mmh, mmh. » l’onomatopée pour seule témoin de sa satisfaction (légère) à ce que l’autre revienne à la raison, il le lâcha enfin, se laissant tomber contre le lit avec ennui. « T’sais, j’ai entendu parler qu’en Angleterre, ils ont ce qu’on appelle des elfes de maison. Bah, en comparaison, t’es pas si mal traité. »

Il n’y a probablement que pour lui que la comparaison se vaut – et d’ailleurs, s’il disposait d’un tel serviteur, nul doute qu’il le traiterait de la même manière – mais que Kazuki parle d’esclavage lui a rappelé cette particularité des sorciers anglais.

« En vrai, t’es grave agaçant. Sauf qu’Ange est tout le temps avec d’autres, maintenant, donc je m’ennuis. Puis, lui, il l’aurait fait, sinon. C’est nul. »

Peut-être qu’il devrait se trouvait d’autres victimes, effectivement. Quand cette probabilité ne lui demanderait pas trop d’effort, surement.

BULLYING
03.09.1997

Heureux qu'il tolère sa présence ? C'était à lui de s'estimer chanceux que Nael tienne compte de son existence, quand bien même c'était pour le traiter en esclave. Rares étaient ceux auxquels il prêtait attention et si, justement, nombreux étaient ceux qui considéraient que l'adolescent ne méritait nul regard de leur part, l'Hayashi ne saurait s'en rendre compte puisque lui-même se persuadait qu'aucun n'était digne de lui.

Les paroles de Kazuki, néanmoins, parviennent en partie à faire mouche. Elles lui rappelèrent la rare culpabilité que les blessures d'Ange lui avaient fait ressentir. Il était le seul ami à lui être resté fidèle, malgré son égoïsme, ses plus mauvaises décisions et ses mauvais traitements. Mais même l'angelot avait ses limites et force est de constater qu'il avait tiré sur l'élastique jusqu'à le déformer.

J'ai pas besoin d'ami, lance-t-il avec tant de mauvaise foi que d'honnêteté.
Il parvenait réellement à se convaincre qu'il se suffisait à lui-même, n'ayant besoin des autres que pour réaliser ses corvées. Nael, dans ses rêves de grandeurs, pensait se satisfaire de la joie du règne, sans éprouver le besoin d'aimer – il avait, de plus, déjà donné et seul la mort l'en avait récompensé.

En attendant, il avait la satisfaction de le voir, enfin, être devenu raisonnable. Du moins, il le crut, jusqu'à ce que son cadet n'abîme, ce qui lui sembla être très volontairement, son balai sur le sol, avant de n'oser, sous ses yeux ébahis, le lancer par la fenêtre. T'as pas fait ça ! Ahuri, il se précipita jusqu'à l'encadrement, contemplant son malheureux engin sur le sol s'étalant à plusieurs étages plus bas.

La rage ne tarda à l'envahir, remplaçant la peur qui l'avait submergée pour l'intégrité de l'objet - il aurait tout le temps de s'en inquiéter plus tard. Brusque, il agrippa à nouveau le col du second Kitsune, le plaquant, cette fois, contre l'embrasure de la fenêtre. Donne-moi une bonne raison de ne pas t'y jeter à ton tour, lança-t-il, alors, implacable.

BULLYING
03.09.1997

C’est la peur, cette fois, qui se traduit sur les traits de Kazuki, et c’est au tour d’une satisfaction malsaine de se prendre place dans l’esprit de son aîné. Pour un peu, il pourrait le faire basculer par-dessus le mur en lequel reposait cette fenêtre. L’idée le faisait se sentir aussi puissant que supérieur, ce qui lui faisait cruellement plaisir.

Le prédateur comptait se repaître de la terreur qu’il inspirait à sa proie ; quand bien même il ne comptait pas aller au bout de son idée.
Oh, pas que l’adolescent ne l’ait pas mérité. Ce ne serait qu’un juste châtiment pour les dommages apportés à son balai. Mais Nael avait bien conscience des conséquences auxquelles son geste le confronterait.

Ça compte. Mais ce n’est pas suffisant. S’il croyait s’en sortir avec quelques biscuits en offrande, il se mettait le doigt dans l’œil. Puisqu’il en avait la possibilité, le renard espérait bien profiter de son pouvoir. Tu vas aller récupérer mon balai et t’assurer de pouvoir le remettre à neuf. Il aura intérêt à briller.

Il accorda encore quelques longues secondes à la torture, oscillant entre le désir de le prolonger et l’ennui qui lui venait déjà de sa fureur retombée. Il tira finalement Kazuki vers l’avant, avant de le lâcher en toute sécurité. Dégage, maintenant. Le dardant d’un dernier regard méprisant, il se détourna finalement.