Ô destin cruel !
Qu'avais-je fait de si atroce pour mériter qu'à l'aube où les oisillons s'éveillaient encore, sous l’œillade encore rougie d'un hélianthe céleste en pleine ascension, tandis que mes lèvres pâteuses peinaient à retrouver le goût de leur propre contact, s'émancipant du parfum répugnant d'un alcool séché sur son palais, je sois si inopinément réveillé ? Une soirée mouvementée de quelques visites, des origami précipités pour assurer la venue d'une agréable compagnie : discussions enflammés par l'écoulement de longues bouteilles entassées dans une poubelle bien trop mince, et voilà que mon appartement perdait les bonnes grâces de mon traitement ménager quotidien.

Si mes plantes s'enivraient d'ordinaire d'un oxygène des plus purs, tant de mes sortilèges que des précautions dont un rythme de sommeil exemplaire veillait à l'application, l'irresponsabilité d'une soirée tardive avait suffi à briser cette habitude. Il n'avait fallu pas moins d'une dizaine de coups de boule pour que l'origami paniqué—une émotion qui avait sans doute contribué à rendre le papier aussi agressif : ma sentence en avait été enflammée—ne m'extirpe de mon bref sommeil, m'obligeant à reconsidérer mon emploi du temps. Si un intrus, comme l'affirmait un jeune homme en panique, troublait de bien-être de mes tendres enfants, il était de mon devoir de venir à leur rescousse. Je ne me fis pas prier (du moins, par quelqu'un d'autre que Kazuki Hayashi) : après un coup de baguette destiné à trier les ordures et aérer l'ensemble de l'appartement, je sortis en trombe, gauchement vêtu d'une tenue pourtant accordée, force de mes habitudes matinales.

Une main dans mes cheveux pour contrôler les souffles intempestifs d'un vent puissant, un nouveau sort pour ajuster les imperfections de mon apparence : la tenue lissée, l'expression mélancolique quant à un sommeil prématurément abandonné, mon devoir me dictait d'aller à l'encontre d'un destin hautement dangereux. Ah, mais éprouvais-je seulement de la crainte lorsque j'avais survécu respectivement aux attaques de deux divinités sanguinaires ? Qui plus est, nulle entité n'aurait su me prévenir d'entrer en mes terres saintes—et lorsque je poussais la porte en un mélange d'entrain et de curiosité, la vue d'un visage familier fit disparaître mes craintes.

Reiichi ? Attends, tu te tapes l'incruste dans l'école et dans ma serre, ou je rêve ?

Certes, je n'étais pas dans les meilleurs dispositions physiques pour jurer de mon absolue lucidité, mais je n'aurais douté pour rien au monde de cette honteuse surprise : mon ami—si tant est que je pouvais qualifier Reiichi de la sorte, notre relation demeurant très vague—était en pleine infiltration au sein de mon mausolée de plantes et flirtait avec elles sans la moindre once de honte.

Ah, grands dieux ! Que fais-tu à mes enfants ?

Une panique presque feinte, en apparence, si elle n'avait concerné le sujet tabou : la serre de l'école était peut-être, à bien des égards, la plus grande réussite de ma vie. J'en faisais la terrible constatation, mais ce qui survivait à mon existence finissait inéluctablement dans la tristesse ou l'indifférence—incluant ma propre personne. D'un coup de baguette, intimant à un accio informulé de nous livrer quelques gâteries pour un petit déjeuner improvisé, une table et deux chaises vinrent s'arrêter entre nos deux silhouettes, comme une invitation à profiter de ce que j'aurais bien peiné à appeler retrouvailles, car mes échanges avec Reiichi, bien que cantonnés au cadre professionnel, étaient réguliers.

Annonce-toi la prochaine fois : je n'en serais pas moins surpris, mais tu n'effraieras pas les élèves. À présent, j'aimerais savoir... qu'est-ce que tu viens faire ici ? Avec les quelques problèmes de sécurité, l'école a perdu pas mal d'attrait touristique—je pense que tu es au courant.

Le décor était aussi immaculé qu'à l'accoutumée, embaumé de verdure et d'un parfum si unique qu'il en devenait propre à l'homme en charge de la bienséance des lieux ; et si nul ne se plaignait des arômes fleuries que Takeo déversait autour de lui, peut-être était-ce parce que chacun se faisait à cette habitude. Pour des élèves aux origines différentes, certaines n'avaient nullement l'habitude d'insuffler leurs mains dans le terreau et du contact parfois renversant de quelques entités végétales : la botanique était aussi variée qu'elle était fascinante, et nul ne se lassait jamais d'en découvrir les plus lointains aspects.

En ce sens, la serre était une merveille de biodiversité et collection, au sujet de laquelle Reiichi partageait une part du crédit. Son métier avait de cela que Takeo lui accordait une confiance naturelle, quoi que mesurée par son tempérament méfiant—car quiconque travaillait au contact de la botanique ne pouvait être foncièrement mauvais. Leurs marchés n'avaient jamais fait l'objet du moindre problème, et si cette relation n'était encore qu'une germe d'amitié dont l'enseignant était incertain de l'issue, le caractère loufoque de l'adulte y était pour quelque chose.

Ses interruptions étaient terriblement abruptes, son caractère aussi imprévisible que l'issue du concert a capella d'une chorale de mandragore : en des circonstances si sombres, une visite surprise n'était cependant pas pour lui déplaire.

Je ne rêve que de plantes, n'en déplaise à notre tendre et insupportable humanité. Ma vie n'est pas assez passionnante pour que j'en devienne particulièrement imaginatif, tu sais.

Que de femmes, avait-il failli dire ; mais une pensée pour ses récentes fréquentations avait suffi à décourager une telle pensée. D'elle-même, la théière enchantée déversa les délices d'une tendre infusion dans la tasse allouée à la dégustation personnelle de son invité ; quant à Takeo, fidèle à lui-même, un café faisait ses affaires. Il en prit une gorgée délicate, s'assurant de ne pas court-circuiter son cerveau sous un excès de caféine. Le sommeil ne lui venait déjà pas naturellement, il n'avait nul besoin de réduire encore davantage ses chances.

Une petite à me confier ? Qu'as-tu encore déniché ? J'ai étoffé ma collection, me surprendre relèvera bientôt de la discipline olympique.

Une nouvelle référence moldue qu'il se gardait bien de faire en la présence des plus conservateurs de ses collègues, mais que Reiichi apprécierait certainement. Leurs discussions avait pour elles que nulle barrière de culture ou de jugement n'aurait semblé à même d'ébranler leur entente mutuelle—rien, du moins, qui ne fut une chute soudaine. Avec un soupir discret (car il lui était passé l'âge de rire de la maladresse des autres, du moins, tant qu'il n'avait pas bu) il sortit sa baguette et des grâces d'un Cura informulé, fit disparaître les plaies—sans doute imperceptibles et indolores—de son ancien camarade.

Je me demande toujours comment tu es aussi doué avec les plantes, en dépit de ta maladresse. Si tu venais plus souvent, je suis certain que tu pourrais anéantir Seimei par inadvertance—ou peut-être qu'il t'évite pour cette raison précise.

C'est trop tard. Je te recrute dans l'armée de l'école. Tu combattras au front, et peut-être qu'en te cassant la figure, tu lui collerais ta baguette dans l'œil. Non qu'il ait besoin des deux pour nous exterminer, mais tu l'auras rendu encore plus moche.

Quelques plaisanteries sur un ton impassible, témoignant d'un humour dont je n'assumais totalement de faire étalage : Seimei n'était pas sujet à rire, mais j'avais toujours préféré l'humour à la dramatisation démesurée que certains de mes collègues. Reiichi, qui n'avait directement témoigné de telles horreurs, était sans doute plus réceptif que la majorité des élèves, lesquels baignaient encore aujourd'hui dans un traumatisme évident. Dans un soucis de respect communautaire, je coupais court aux plaisanteries pour me pencher sur le seul... pardon, sur le sujet le plus important de notre entrevue : la plante qu'il m'avait ramené.

Elle vient d'Assyrie ? Ce n'est pas... Je me redressais légèrement, comme pour couper court au suspens de son geste précautionneux, et souris aussitôt. Mimbulus Mimbletonia ! Quelle trouvaille. Je ne sais pas où tu déniches tes plantes, mais tu es sacrément doué. Tu as déjà pensé à venir travailler ici ? Je crois que tu as quelques amis sur cette île, et si on oublie les nombreuses attaques ennemies, le coin n'est pas si mal.

Il y a quelques années encore, j'incarnais en ma fougue de la jeunesse le désir de dénicher des rares plantes en quelques thébaïdes jusqu'alors inexplorées, inconscient que le poids des années—bien que je n'ai pas la trentaine—suffirait à étouffer ces impulsions téméraires : au terme de mes études, la pédagogie fut pour moi ce que l'éveil avait été pour Gautama, et le métier d'enseignant marqua la fin de mon rêve d'adolescent.

Naturellement, il m'arrivait, de temps à autres, de regretter cette décision, toute réfléchie qu'elle fut à l'époque : Reiichi était bien plus libre d'obligations que je ne l'étais moi-même, tant pour mon involontaire attachement envers mes élèves que les cours que je me devais d'assurer. S'il m'avait été donné de prendre des vacances, sans doute les allouerais-je aux bons soins des plantes de ma serre, car toute volonté d'exploration m'avait à présent quitté.

L'âge menaçait doucement.

J'avais des réflexes suffisants pour éviter à Reiichi une terrible gamelle—ou peut-être était-ce là l'effet de mon cinquième café de la journée—alors peut-être, du moins je l'espérais, que je n'étais pas aussi rouillé que mon esprit voulait me le faire croire.

Ah, je te proposerais bien d'être assistant, mais une élève a déjà éveillé mon intérêt. Plus sérieusement... qu'est-ce que tu comptes faire, à présent ? Si tu n'es que de passage et que tu ne veux pas t'impliquer dans les conflits, je te conseille de ne pas t'attarder. Je peux t'héberger si tu as besoin, mais au vue des événements récents, je ne peux pas garantir ta sécurité.

Et nos rencontres sonnaient le glas de la mélancolie
Ravivaient les tourments, les souvenirs d'antan
La candeur des irresponsables enfants.
Tu es libre d'aller où tu veux, n'est-ce pas.
Le sommet de la gloire est l'apogée de la solitude.
J'entendais dire, depuis les champs d'Asphodèle
Sans échos élyséens, la prudence s'estompait
Je désirais le meilleur, n'en déplaise aux anciens
Et ma foi, je l'étais ! J'espérais, tout du moins
Laisser fleurir un talent, une passion enterrée
Reiichi subsistait, comme un électron libre
Raccordait mes sourires comme des protons chargés
Une amitié solide, en notre insignifiance
Comme deux atomes face à l'éternité
Ce n'est pas peu dire ! Certains savent manier tout un arsenal, si tu savais. Parfois, j'ai l'impression de ne voir que le reflet de leurs parents.
En ce cercle vicieux dont nulle lueur ne s'échappe
Tout espoir étouffé, et plus rien ne perdure
Sinon ces diableries de traditions de sang-pur
Comme un soupir, une mélopée
Une tragédie, une pièce répétée
À quoi bon ce dévouement, cette passion déchaînée
Tout espoir s'affaisse, et à la solitude, me voilà livré.
Peu importe, certaines choses ne changent pas. Parlons de choses plus intéressantes, tu veux. Il y a quelqu'un qui t'intéresse, en ce moment ?
Un sourire malicieux, un secret éventré
Mes émeraudes scintillent, de curiosité s'emplissent
L'amitié ressurgit des cendres de notre société.

À toi qui t'aventures, te disperses aux coins du monde
Comme les pétales éparses de la tige de la raison
À toi qui t'envoles, t'écartes du chemin de la bienséance
À toi qui t'emmêles dans le filon de l'obstination
À moi qui te blâme, t'accable des misères du monde
À moi qui m'acharne, mon reflet dans tes yeux d'or
Je comprends.
Tes peurs qui s'amassent, tes doutes qui te submergent
Je comprends ce mal-être qui ronge ta sincérité
Je comprends ces mensonges, un drap de confort
Je comprends ces plantes exemptes de reproches
Je pense que, oui. Mais, à la différence de toi, je n'ai pas envie de m'attacher plus que ça – l'amour et la liberté ne font pas bon ménage, pour quelqu'un comme moi.
Dans une société dictée par le sang
Au fil de la lame
Au fil des grands noms
À moitié rejeté, la rébellion étouffée par le sang
Leur sang comme le notre qu'ils ont fait couler
De l'espoir, que reste-t-il, sinon un bonheur modéré
Je crois qu'on est juste des brêles, en amour. Désolé d'avoir lancé le sujet. Les cours vont bientôt commencer, de toute façon – tu veux que je te raccompagne ? Si tu veux prendre une plante de la serre, ne te gêne pas, tu l'as largement mérité. Je trouverai bien une excuse pour expliquer sa perte.
L'amitié, je le crois, survit aux responsabilités
S'immisce dans le courant de ma conscience
Comme un trésor, un vestige
Comme le souvenir de ce que la société nous ôte
Ces jours me manqueront, très bientôt, je pense
Déjà brisé, tant je les passe, ici,
À réfléchir au regret de leur future absence.