-Vous aviez dit que je pouvais passer si cela me disait, non ?
Ou quelque chose comme ça, à peu quelques mots près, mais c'était l'idée.
-Alors... me voilà...
Oui, en effet, sinon je ne serais pas là en ce moment en train de lui parler. Je me sentais bête sur le moment, mais bon, ce n'était qu'un détail.
Après le procès, j'avais été choqué, en colère, indigné. Une tonne d'émotions me parcourait encore. Le pire avait sans doute été Ashe. Je n'avais pas vu tout de suite qu'il n'avait pas supporter de voir la mise en œuvre de la condamnation. Et le sentiment d'impuissance me faisait mal. Encore une fois, j'avais été inutile, mais cette fois, c'était pour la personne que j'aimais, même si j'avais tenté de le soutenir. Et c'était sans doute pour cela que cela me faisait encore plus mal. Ne pas savoir comment réagir devenait un sérieux problème. Au moins j'avais l'excuse d'avoir été moi-même sous le choc. Mais c'était une excuse et ça me posait problème de me cacher derrière des "oui, mais bon, voilà..." Car comment je pouvais espérer m'en sortir plus tard. Mes proches ne seraient pas toujours autour de moi malheureusement.
Mais reconcentrons-nous sur le moment présent.
-Je voulais vous remercier pour cet après-midi, d'avoir cherché à nous protéger Ashe et moi, de cette...vision.
Comment appeler cela ? C'était le mot le plus neutre qui m'était venu. Et pourtant j'aurai pu le nommer de manière bien plus proche de la réalité, mais j'évitais. J'évitais comme en ce moment où j'avais envie de dire à quel point j'étais perturbé et celle de juste taire mes sentiments.
Petits plats à tartes et autres pâtisseries trônaient fièrement dans la cuisine sur une étagère magique. Les gourmandises étaient en nombre, chacune différente pour occuper l’esprit du cuisinier, encore mitigé par les mesures prises au ministère. Il ne faisait plus aucun doute sur le positionnement de cette soi-disant justice. Laissés à l’abandon, les étudiants, les professeurs et le personnel qui avaient assisté à la scène effroyable réagissaient en conséquence, mais aucun n’avait commis l’erreur tant redoutée d’affronter directement les dirigeants, heureusement.
La porte de la cuisine était ouverte, il en sortait des coupelles précieusement conservées dans des bulles accompagnées d’origami, le tout ensorcelé pour gagner les chambres d’adolescents dont il barrait le nom sur son petit carnet. Chaque préférence qu’on lui avait soufflée, il l’avait noté pour prévenir de chagrin en tout genre et la situation lui avait semblée plus qu’appropriée. Une petite voix se faufile dans la pièce et se hisse à sa hauteur. Il sourit derrière le masque et acquiesce en lui apportant une chaise d’un geste de sa baguette. « Bien sûr, n’hésite pas » n’hésite jamais, aurait-il voulu dire, mais peut-être que sa gentillesse aurait été mal interprétée. Il balaya l’idée d’un battement de cil, observant le jeune homme dont il avait couvert les yeux et les oreilles pour minimiser les dégâts psychologiques causés par le ministère. Cette peine effectuée à titre d’exemple contre les non-ministères n’était pas nécessaire et pourtant c’était toujours la voie empruntée qu’il s’agisse de moldu ou de sorciers, les hommes étaient les pires des animaux.
« Oh… c’est gentil. J’aurais préféré qu’aucun élève, même en dernière année n’y assiste » le remerciement sonnait une fois encore comme un échec pour l’employé de l’école qui se sentait parfaitement inutile. Il pouvait temporiser, mais jamais écarter définitivement les dangers qui se dressaient sur la route de toute une génération de sorciers. Il se dirigea vers l’étagère et revint avec une part de gâteau qu’il tendit à l’adolescent. « C’est peu, mais, mais je serais toujours là, même lorsque vos études seront terminées si le besoin se fait sentir de me rendre visite pour quelle que raison que ce soit » ce qui impliquait indirectement qu’il pouvait parler librement et que ça ne s’appliquait pas seulement dans le cadre de ses fonctions ou de leurs statuts respectifs de membre du personnel et d’étudiant. Il n’ajouta rien, laissant le jeune homme prendre la parole pour exprimer ce qu’il avait sur le cœur si l’envie lui disait et il se doutait qu’il le ferait pour être venu dans cette cuisine le trouver lui.
Je fixais la part de gâteau qu'il m'avait offert. Cependant, je ne me sentais pas apte à manger là, maintenant, tout de suite. Non, mon estomac était toujours retourné par les événements de la journée. Je pris une petite fourchette pour pouvoir au moins essayer de faire honneur à la pâtisserie, coupais un petit morceau, mais jouais avec plus qu'autre chose.
-C'est quand même pas normal de faire subir ça autant aux victimes qu'aux "spectateurs". Ils n'ont absolument pas pris en compte nos témoignages. C'est comme nous dire qu'on avait menti. Pourtant on n'a pas subi d’hallucinations collectives. Ce serait un peu trop gros ? Puis devoir garder le silence et subir toute cette mascarade... C'est tellement frustrant ! On ne m'avait pas vendu une telle justice.
Le petit morceau coupé était devenu charpie. En me taisant, je m'en rendis compte. J'eu soudainement honte de l'avoir rendu ainsi, alors que le cuisinier l'avait sans doute fait avec dévotion ou amour ou autre sentiment positif ou que sais-je. Je rassemblais les miettes sur la fourchette et portais cette dernière à ma bouche. Essayer de manger, ça pouvait peut-être passer.
La colère, la frustration et le dégoût s'étaient fait sentir dans ma voix.
-Ils nous prennent à ce point pour des débiles ? Est-ce qu'on peut vraiment faire quelque chose ?
Je relevais la tête vers l'homme. Mes questions étaient plus rhétorique qu'autre chose... Mais... cette réunion où nous avions été environ 10 jours plus tôt et où j'avais bien vu le cuisinier y être, est-ce qu'on pourrait vraiment faire changer les choses juste en parlant ?
La fourchette écrase les morceaux dans le plat et le bruit des couverts hypnotisent le cuisinier qui ne prête guère attention à l’état du met préparé. Chacun en fait ce qu’il souhaitait, ce n’était pas de leur fait s’ils recevaient en masse de quoi se sustenter. Aucun sourire ne transparaissait au travers du masque ni même par l’aspect souvent mutin que ses yeux prenaient dans ses ruses hasardeuses. Il acquiesce, stoppant ses gestes, bras croisés à son tour. « C’est en effet une mascarade. Une mise en scène qui sert un discours tout autre que la justice espérée » si subjective était-elle, il faisait généralement l’effort de la comprendre, mais sans avoir pris de recul il lui était impossible de faire cet effort. « Je ne saurais te dire quels sont les desseins du ministère, mais il est certain qu’ils cherchent à instaurer de nouvelles règles au détriment de la vérité » et quelle raison pouvait bien pousser un conseil à se proclamer main d’un empereur sans l’avoir consulté ? Un frisson fait danser son échine tandis qu’il serre les dents un peu plus aux idées noires qui se profilent dans le fond de son esprit.
Il déglutit et masse sa nuque pour détendre les muscles douloureux et mis à mal par sa colère contenue. « Ils refusent de croire ce qu’ils ont entendu, je ne sais pas encore pourquoi, mais nous le saurons bien vite. Ce que nous pouvons faire c’est ce que nous avons déjà fait. Faire entendre notre voix et attendre qu’on y réponde » il n’y avait bien entendu pas que cela à faire pour l’ancien yatagarasu qui caresse du bout de l’index son menton, prenant pour point à fixer la fourchette récoltant les miettes d’un gâteau délaissé. Le plat ne tardera sans doute pas à se poser sur son comptoir et lui se serre de sa baguette pour leur servir du thé. « Je sais à quel point il est frustrant de se sentir impuissant face à de telles entités » qu’il s’agisse de créatures comme de mage à pouvoir, les monstres portent tous le même nom, peu importe leur raisonnement tant qu’ils préconisent la mort. « Du reste, il faudra se préparer à d’autres dérapages sur le site de Mahoutokoro. Je n’encouragerais personne à une révolte, mais à la prudence et à de nouvelles maîtrises » également à découvrir ou inventer des issues qu’eux seuls connaissaient sans en parler au préalable à d’autres. « Il est d’autant plus inconcevable qu’un gouvernement délaisse sa jeunesse, aussi s’ils ont conscience du danger même en le réfutant, il y aura des mesures pour renforcer la sécurité de l’établissement et la vôtre. Nous risquons d’être pris entre deux feux avec pour seuls alliés ceux qui ont déjà trop subis… » au plus profond de son âme, le déplaisir d’être épié par les esprits convaincu d’un complot rendait le cuisinier furieux. Il appliquerait ses propres conseils de ne pas précipiter sa chute, préférant l’imaginer à défendre plutôt qu’à prier pour son salut.
- Il n'y a pas que face à eux que je me sens impuissant...
Je partais en complainte, mais j'avais comme un besoin de lâcher tout ce que j'avais sur le coeur.
J'avais été inutile à la dernière attaque, juste un sort lancé parce que le professeur Nakagawa l'avait mentionné. J'avais juste été saisi par la peur, sans réussir à prendre d'initiative. Bien avant, c'était une mauvaise décision qui m'avait valu de perdre des amis proches...
- Finalement, on ne peut compter que sur nous-mêmes, non ?
Encore une fourchette et le gâteau disparaissait progressivement.
- Je n'avais pas su comment réagir lors de l'attaque... Sans le professeur Oikaze et Nakagawa...
Je ne finis pas la phrase.
- La seule fuite aisée possible était la fenêtre, sauf que je suis incapable de voler... C'est idiot, n'est-ce pas...
Être dans la maison d'un oiseau et ne pas savoir voler... Un comble...
Par ses mots, le cuisinier avait su au moins rassurer l’étudiant sur son point de vue. Si ça n’avait pas été clair, il était tout autant révolté que lui, mais l’affichait différemment. Cependant, en Ritsuka, il voyait une version plus sage de lui à son époque et fut lui-même apaisé de savoir qu’il était capable de trouver les bons mots. Parfois, il est difficile de se mettre à la place de l’autre, même avec un vécu similaire. L’homme s’accoutume vite de sa situation en oubliant qu’il n’était pas si différent et c’est ce qu’Akihiro ne veut pas reproduire. Il fut soulagé de le voir manger un peu malgré les évènements et écouta attentivement.
Malgré la confiance qu’ils pouvaient s’accorder, les mots justes du yatagarasu firent acquiescer le cuisinier. « Il vaut mieux, en effet. Même si tu sais que tu peux compter sur moi et pour avoir étudié ici même en présence de certains de vos professeurs et membres du personnel, je sais que je confierais ma vie à certains d’entre eux » il était question d’une très grande majorité d’entre eux, quant aux sangs purs qu’il ne connaissait que de noms et ceux plus âgés, pour une partie il les avait eus en tant que professeur déjà à l’époque et pour une autre, il ne pouvait se prononcer.
« Tu n’y es pour rien. Nous avons tous été pris au dépourvu et l’important reste à mes yeux cette cohésion pour vous protéger les uns les autres » leur priorité en tant qu’adulte avait été de les défendre coute que coute. Celle des étudiants de s’enfuir, même si pour cela ils devaient abandonner leurs camarades… chacun ses principes et dans la fuite, il est difficile de reprocher le comportement, même le plus lâche. « Vous avez la permission de transplaner en cas d’urgence. En espérant qu’il n’y ait pas de prochaine fois… il vaudrait tout de même mieux en toucher deux mots au directeur et aux professeurs » afin que cette pratique soit autorisée d’eux au moins en cas de problèmes, car le ministère était visiblement déterminé à réfuter cette hypothèse, quitte à renvoyer des élèves pour avoir sauvés leurs vies.
« Si vous êtes en présence d’un adulte, demandez-le, n’hésitez pas » si tenté que ce dernier soit de son côté, mais il lui avait semblé qu’aucune personne en ces lieux n’avait déshonoré sa profession et ses responsabilités. « Ça a dû être terrible, je suis désolé pour vous » désolé de n’avoir pu faire plus, malgré sa présence… il n’était qu’un sorcier au même titre que tous.
Le gâteau disparu, je laisse l’assiette et la petite fourchette sur le plan de travail face à moi.
-Je ne souhaite plus être protégé constamment. Je voudrais pouvoir protéger aussi. Pas seulement être un boulet, pas seulement devoir prendre la fuite.
Mais mes seules armes sont ma jeunesse et ma fougue naissante. Il ne restait qu’à aiguiser mes sens, je présume ?
-Ne vous excusez pas, vous n’y êtes pour rien et au final, j’ai la chance d’aller bien.
Un sourire, un peu triste à la pensée de ceux qui avaient souffert bien davantage et ceux qui dorénavant ne souffraient plus du tout...
-Je pense que je vais vous laisser… Dormir me permettra de remettre les choses en ordre…
Normalement. N’était-ce pas l’un des buts du sommeil ?
-Encore merci pour ce moment avec vous, ça m’a fait du bien de parler.
Un sourire franc, cette fois, car c’était la vérité. Dire ce que j’avais sur le coeur par rapport a mon impuissance face aux troubles actuels m’avait fait du bien. Je me préparais donc à m’en aller et remonter jusqu’à mon dortoir.
Dans le regard déterminé du garçon, il décèle cette même volonté brûlant au creux de son ventre. Il a en horreur la violence, mais ne peut se résoudre à répondre calmement face aux coups et il déplore que certains en aient besoin pour comprendre. L’expression remettre ses idées en place était appropriée dans tous les cas, se disait-il et ça le débectait, mais il avait appris le maniement du sabre et le taijutsu pour des raisons similaires. Il se contente d’acquiescer et de passer ses mains sous l’eau avec un peu de savon, essuyant ensuite de façon magique avant de passer ses doigts entre les boucles du garçon. « Je sais bien. Tu n’en es pas un, c’est simplement difficile d’apprendre sur le tas comment chacun réagit. Et quelque part, tu ne peux que progresser »
Le cuisinier était touché par les mots de l’étudiant, aussi peu crédible dans son rôle à son sens que dans la façon qu’il avait de rassurer l’adolescent. Bien qu’il lui exprime toute sa confiance et soit incroyablement réaliste quant à la chance dont ils avaient tous deux été bénis. « Nous en avons eu oui » contrairement à d’autres. « Avant que tu ne partes, je réitère simplement ma proposition, n’hésite pas à venir parler ou à m’envoyer des origamis, je serais toujours là pour soutenir les étudiants en priorité » et c’était bien là son souhait le plus probant, protéger ceux qui en avaient le plus besoin. Aussi doués soient-ils, ils restaient des enfants à ses yeux. « Merci à toi d’être passé, passe une bonne nuit tout de même » bien qu’il soit adulte et encaissait mieux autant qu’il observait la mort le lorgner de loin, Akihiro avait eu un peu de compagnie et chérissait particulièrement ce fait. Sans cela, peut-être aurait-il été différent ? Au fond, sans cette place de choix à Mahoutokoro et sans ses amis, peut-être aurait-il été moins sensible, voire moins à même d’accomplir ce devoir qu’il pensait avoir à peine rempli.
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