Ton refus n'écorchera pas ma détermination
Tu observes Benhime se frayer un chemin dans le couloir bondé de cette fin de matinée. C’est la fin des cours, tout le monde se rue déjà jusqu’au réfectoire pour prendre une pause bien méritée et surtout : se sustenter. Toi, ce n’est pas ta priorité pour le moment, te nourrir n’est jamais ta première préoccupation. On aurait pu penser que ne sauter aucun repas serait l’adage d’un hypocondriaque mais, il n’en est rien. Tu n’es pas toujours en appétit et tu as parfois tendance à croire que sauter quelques repas sera bien plus bénéfique pour ta santé que de n’en oublier aucun. Et puis aussi, il y a aussi les fois où tu arrives trop tard pour manger. A cause de quoi ? Oh, du monde. Des gens qui ont continué de se paquer entre les murs sans bouger, t’empêchant d’accéder au saint graal.
Alors, quand cela arrive, tu t’introduis dans les cuisines quand tu le peux et que les cuisiniers se sont plus là, pour subtiliser un peu de nourriture et ne pas tomber en hypoglycémie. Il y a d’ailleurs dans ta chambre, dans une malle bien fermée et cachée sous ton lit, de quoi manger : bonbons, fruits, fruits secs et autres choses qui ne sont pas périmables. Tu sais que ce n’est pas bien de voler, mais tu sais aussi que ce n’est pas bien d’empêcher les gens de manger et c’est ce que font tes camarades en s’agglutinant dans les couloirs. A croire qu’ils se sont tous ligués contre toi… Aujourd’hui, les gens semblent tous décidés à aller déjeuner en même temps, laissant un couloir presque vide, et une Benhime au milieu, que tu peux approcher sans crainte.
Tu as perdu le compte du nombre de fois où tu l’as interpellé, comme tu viens de le faire, où tu lui as supplié de te laisser entrer dans la chambre de ta sœur, comme tu t’apprêtes à le faire, et être outré de son manque de considération et de compassion envers toi. Tu ne te questionnes pas vraiment quant à son ressentit de te voir encore et encore la harceler pour qu’elle change sa décision et ça ne t’intéresse pas. Tu estimes que tu devrais avoir le droit de voir ta sœur quand tu le veux, surtout lorsque ce sont pour des sujets aussi graves qu’une maladie qui t’aurais pris en pleine nuit sans que tu ne la vois venir.
-Benhime.
Tu l’interpelles de cette intonation monotone qui te caractérise si bien. Tu ne sais pas si tu as parlé assez fort pour qu’elle t’entende et tu n’oses pas vraiment crier. Tu ne veux pas qu’on se retourne sur toi. Alors, tu te rapproches d’elle, mains dans les poches et épaules voutées, comme si tu voulais disparaître aux yeux du monde. Paradoxal quand on sait que tu te destines à une carrière de joueur professionnel. Mais voler te protège du feu des projecteurs.
-Benhime, je voulais savoir si tu avais pris le temps de réfléchir à ma demande.
Tu dis, ne parlant pas distinctement à cause de ton masque. Tu jettes des regards un peu autour de toi, pour être sûr que personne ne vous regarde. Tu n’aimes vraiment pas quand on te remarque.
-Pour te faire plaisir, j’ai noté les horaires où je serais susceptible de passer pour voir Himawari. Bien sûr, je peux aussi venir à l’improviste en cas d’urgence.
Tu sors de ta poche un papier chiffonné que tu tiens entre tes mains abimées, dont des morceaux de peaux s’effilochent à cause de la tonne de gel nettoyant que tu t’appliques sur les mains. Quand elle le prend, tu t’empresses de sortir ton flacon et tu t’en badigeonne les mains, braquant ton regard dans celui de Benhime.
-C’est bon ?
Sur le papier, il y a les horaires que tu as griffonné, un véritable emploi-du-temps que tu as pris soin de faire pour rassurer Benhime et la préparer à tes visites : Lundi à dimanche de 7h à 8h / 20h à 22h. Sans compter les moments où tu arriverais à cause d’une urgence… Ce sont des horaires plutôt corrects, selon toi.
couleur • détermination.
Ce long quart d’heure lui aurait apparu infernal si elle ne sût déceler en l’aimable professeur de botanique une fougueuse sincérité et qu’une réjouissance inavouée d’être félicitée ne se tapissait derrière son plexus cardiaque. Il finit par lui-même se rendre compte de l’heure et la pressa de partir, précisant qu’il avait un rendez-vous très important, mettant fin à cette inopinée entrevue. Ne restât qu’à se coltiner la marche séparant serre de l’école, le pas rapide encouragé par le pressant instinct qu’est la faim. Elle l’éleva comme unique but à court-terme de son existence, telle une échappatoire aux milles damnations de ce monde et les envahissantes cogitations allant avec ; même si le dégoût encore subsistait en elle d’avoir reçu un origami de la part de ce maudit traître qu’est Seimei. Même purifiée, elle se sentit polluée — ainsi ses pensées se dirigèrent vers son vénéré chef du clan et un apaisement instantanée couvrit ses épaules.
La placidité fût de courte durée ; si proche du but, l’oiseau se voyait embusquée par un membre de sa maison. Et, ô à son grand damne, ce dernier s’avérait être toi, corbeau borné, refusant ses moult refus et sa parole autoritaire. Sa voix s’élève, au premier son, elle te reprit déjà. Sugawara elle siffla Sugawara-senpai. mécontente d’être adressée avec telle désinvolture. Oui, je l’ai étudié, Awataguchi-kun. La décision ne nécessita grandes réflexions : le non était une évidence. Néanmoins, avant qu’elle ne pût abattre son verdict, tes mains fourrèrent un papier entre les siennes et l’exaspération évita d’un cheveu de la saisir par la gorge à sa lecture accompagnée de ton explication orale ; preuve de la maturité amassée au cours de cette tumultueuse année. Et pourrais-tu m’éclairer sur ce que tu considères être une «urgence» ? Oh, à peine la dernière syllabe échappée de ses lippes, le regret d’avoir donné suite à ce marchandage à sens unique l’anima ; ah, elle voulait juste profiter de sa pause déjeuner.
Ton refus n'écorchera pas ma détermination
Tu te fais reprendre sur la politesse, tu l’as encore appelée par son prénom sans même t’en rendre compte. Tu as toujours trouvé ça difficile et inutile d’appeler tes camarades de classe par leur nom de famille. S’ils ont un prénom, c’est bien pour quelque chose, non ? Alors bon… Certains ont même ton âge et pourtant, tu dois les nommer par leur nom de famille, alors que parfois, ils sont 10 à tourner la tête vers toi. C’est ennuyant, c’est épuisant, c’est une perte de temps. Alors, de nouveau, ça passe à la trappe. Tu ne retiendras pas, tu n’y penseras plus.
-J’oublierai.
Tu réponds en haussant les épaules.
-Je te l’ai déjà dit.
Tu souffle, n’ayant toujours pas compris qu’il faut toujours que tu parles un peu plus fort pour que l’on t’entende avec ton masque. Il n’est donc pas rare que tu doives élever la voix pour te faire comprendre, et que l’on te fasse répéter, écorchant ainsi la patience de tes interlocuteurs. Tandis que toi, elle reste intacte.
-C’est quand quelque chose ne va pas, que j’ai mal quelque part, ou que je me sens malade. Elle a dit que je pouvais venir en cas d’urgence…
Tu te tritures les mains, te retenant d’y badigeonner à nouveau du gel hydroalcoolique. D’un coup d’œil, tu remarques que quelqu’un arrive et déjà, tu te décales en faisant un grand arc de cercle pour le laisser passer. Tu ne veux pas prendre le risque qu’il te touche par mégarde, ça te dégoûterait trop. Une fois qu’il est passé, tu inspires et reprends ta place devant Behime.
-Himawari a dit oui. Pourquoi est-ce que tu continues de dire non ? Arrête de dire non.
Tu martèles presque, un peu épuisé d’entendre constamment la même réponse sortir de sa bouche, comme si elle ne savait pas dire autre chose que ça.
-J’ai une santé fragile.
Arrête de continuer à me refuser ça, alors que tu sais que je suis dans mon droit. C'est à ma soeur de décider si elle me veut dans sa chambre ou non.
-T’appeler par ton prénom ne m’empêche pas de te respecter.
Tu laisses échapper à l’égard de ton aîné, tout juste après qu’elle a terminé ta phrase. Tu n’as jamais daigné avoir de filtre, tu dis toujours tout ce qui te passe par la tête, sans même te demander si ça pourrait blesser ou agacer une personne. A vrai dire, tu ne dis jamais le fond de ta pensée dans le but de faire mal, tu es comme un automate à qui on demanderait de parler sans lui dire stop. Tu inspires profondément, commençant à tordre tes doigts sous les mots de Benhime. Physiquement, tu ne fais pas montre de ta perte de patience, tu arbores toujours ce même visage impassible, comme s’il t’étais impossible de faire preuve de la moindre émotion. Pourtant, extérieurement, tu commences à t’impatienter. Elle t’agace à constamment te dire non. Ce n’est pas comme si tu étais un étranger qui demandait l’accès à la chambre d’une fille, c’est pour ta sœur que tu demandes. Par chance, tu ne bénéficies pas de la même sévérité au domaine. C’est ta sœur, il n’y a pas moyen de refuser cela.
-Je suis sujet à des crises d’angoisses et il n’y a que Himawari qui est capable de les apaiser.
Une vérité à moitié transformée. Ce n’est pas faux que tu fais parfois des crises de panique, notamment lorsque l’on t’éternue dessus, ou que l’on t’oppresse trop. Et il est vrai que Himawari est capable de calmer tes émois brutaux. Néanmoins, tu es aussi en mesure de t’apaiser seul, en t’isolant. En revanche, Benhime n’est pas forcément obligée de le savoir.
-Himawari ne dit pas oui parce que je l’agace, il s’agit de ma sœur… Et entre frère et sœur, on est toujours sincère. Je ne me verrais pas mentir à un membre de ma famille, c’est contraire à mes valeurs. Donc elle ne peut pas avoir dit oui pour que j’arrête de l’agacer.
Et sur cela, tu ne mens pas. Tu n’as pas souvenir d’avoir un jour volontairement menti à ton clan, et tu as toujours assumé ce que tu es.
-Je ne t’ai pas montré mon carnet de santé.
Tu réponds en levant les yeux vers elle.
-Et si tu t’inquiète que je vous observe vous changer, n’ai crainte, vos corps me dégoûtent.
Tu ajoutes, trop naturellement pour que l’on comprenne que tu préférerais mourir d’un cancer plutôt que de toucher un autre corps humain.
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