Ridicule, tout cela était juste ridicule. Aveuglé par la colère qui me rongeait, j’avais quitté Yori, Ayumi et les autres. Cette vérité faisait mal, pas pour ce qu’elle était, mais pour ce qu’elle impliquait. Pourquoi mon père me rabaissait-il sans cesse et me frappait de ses mots injustes si lui-même était un incapable ? C’était absolument ridicule ! Au moins n’avait-il pas menti au sujet de la famille, je crois.

C’était en courant que je quittais l’école. Trouver refuge dans la maison de thé n’était plus possible, puisque Hajime avait finalement déménagé et quitté l’île. Et c’est sur la plage, essoufflé que je me retrouvais. Au moins, une partie de la rage sourde qui avait été sur le point d’exploser avait disparu. Restait l’amertume de la découverte.

-FAIT CHIER !!

Un cri, une demi-libération. Je me saisis d’un coquillage et le lançais dans l’océan. Son plouf ridicule, comme la situation, m’exaspéra. Je frappais du pied le sable, regrettant que ce ne soit pas des galets, car si cela avait été le cas, le lancer aurait pu soulager davantage. Finalement, je m’assis par terre, les genoux contre mon torse et les bras les entourant. Mes pensées s’entrechoquaient dans ma tête et je n’arrivais pas à y mettre de l’ordre, tout me ramenait à l’absurdité de la situation. Je voulais rester seul, je ne voulais pas retourner dans ma chambre et y retrouver Naël, Naël qui savait maintenant lui aussi. Et s’il me faisait vivre en enfer pire, maintenant qu’il savait ? Je n’avais pas à payer pour l’infortune malchanceuse de mon père. Je payais déjà suffisamment ses ressentiments quant à son statut.

Mon nom était dit avec la douceur de sa voix et pourtant j'enserrais un peu plus fort mes genoux contre moi, posant mon front contre eux. Est-ce que je voulais en parler ? Je ne savais pas. Je ne savais pas quoi dire. Je ne savais pas quoi faire. J'étais juste en colère, déçu, dégouté. Et tant d'autres sentiments dont je n'arrivais pas à mettre un nom dessus. Je restais silencieux un instant. Elle en profita pour s'asseoir à mes côtés et m'enlacer. J'ai eu envie de la repousser, de ne pas être cajolé comme un enfant. Une léger mouvement de recul s'était fait sentir avant que je n'accepte d'aller contre elle.

Je finis par retrouver un semblant de calme et fermais les yeux alors que je passais mes bras autour d'elle.

-Je sais pas quoi dire.

Ma voix s'était élevée en un murmure étouffé.

-Je le déteste encore plus, je crois...

Je ne voulais pas parler de lui, c'était trop pour aujourd'hui. Mais c'était peut-être une nécessité ? Ayumi savait-elle à quel point j'étais blessé ? Elle avait sûrement du entendre les propos de notre père lorsqu'il me rabaissait, mais... En parler restait difficile.

Après avoir voulu la repousser, j'avais finalement fondu dans ses bras, libérant les larmes qui me piquaient les yeux. J'avais mal à cause de la vérité. J'avais mal à cause de la perte de maman. J'avais mal à cause des souffrances devenues habituelles et venant de la part de personnes qui devaient être mes camarades et même ma famille (cc Naël).
Les mots de ma soeur étaient apaisant. Je n'étais pas seul et elle aussi ressentait des émotions similaires aux miennes. Elle était simplement plus mature que moi et les laissait moins transparaitre. Je l'enviais pour être si forte. Si elle venait à disparaître elle aussi, ce serait tout mon univers et ma stabilité qui s'effondreraient.
Lentement, je reprenais contenance.

-Je le déteste ! Il... Il n'arrête pas de me rabaisser alors qu'au final, il est encore plus mauvais que moi ! Alors pourquoi il se permet d'être si méchant ? C'est lui qui aurait du mourir. Pas maman. Et puis, pourquoi la magie ne permet pas à ce qu'il ait des pouvoir magique comme le reste de sa famille ? C'est trop nul ! Je sais pas si il aurait fait le mal. Mais... Mais au moins, il aurait été différent ! Il nous aurait peut-être encouragé ?

Puis Naël me revint en mémoire. Une similitude entre les deux. Les mots de Yori également se rappelèrent à moi, la manière dont il avait qualifié sa propre famille...

-Ou pas...

Je venais de nier mes propres paroles.

-Il est comme Naël. Ils sont pareils. À toujours rabaisser les autres pour paraître mieux, pour avoir flatter leur égaux. Ils sont horribles.

Pourquoi j'avais tant voulu savoir ? Pourquoi je n'avais finalement pas écouté Yori et cessé de vouloir tant connaître la vérité. Tout ça pour connaître mes origines ? Pour me dire que je pouvais avoir une partie de la famille meilleure que l'était mon père ? Qu'avais-je gagné au final ?

Juste de l'amertume.

Dans ses bras, il y avait le réconfort. Je restais ainsi un moment et une fois plus calme, elle me donna cette écharpe qui maintenant se trouvait autour de mon cou. Je la touchais d'une main, trouvant le tissus agréablement doux. J'hochais la tête en guise d'acceptation. Encore et encore, à chaque "d'accord ?". Je ne trouvais pas de mots à répondre, je me sentais fatigué par les nouvelles, par la course pour arriver ici, par les émotions qui m'avaient traversé. Elle me gêna avec son baiser sur mon front et ses compliments, mais ils me rassurèrent aussi. Cela fait du bien, tout simplement.
Je quittais ses bras et regardais l'eau. Je fis alors une grimace.

-Désolé que tu sois venue ici... avec l'eau...

Je me relevais et me mis entre elle et la vision de la mer.

-On peut rentrer. Je me sens un peu mieux. Et puis... on n'est pas obligé de se presser de toute façon.

Il y eut une esquisse de sourire avant de le perdre et que je ne baisse la tête.

-Tu penses que j'ai bien fait de demander si souvent à Yori de nous dire la vérité ?

Est-ce que c'est "bien" qu'on sache maintenant ? Même si c'est trop tard pour se poser la question. Je ne savais pas si j'avais bien fait. Tout ce que j'avais voulu, c'était comprendre. Et on ne peut pas comprendre si on ne nous dit rien, si on nous cache la vérité. Là, je ne pouvais toujours pas appréhender le pourquoi du comment, et peut-être que je ne pourrais jamais. Alors je voulais juste savoir si il y avait du positif dans cette démarche, au final. J'avais voulu en apprendre plus sur ma famille pour me rattacher à quelqu'un d'autre, avoir une autre image, une quête identitaire qui semblait donc être un échec.

Les mots de ma soeur étaient rassurant, autant pour cette grande étendue d'eau qui se trouvait autour de nous que pour la légitimité de mes questions incessantes posées à Yori pendant de si longs mois. Ayumi avait raison aussi sur le fait que maintenant, savoir la vérité ne changeait pas grand chose. Cela nous donnait le pourquoi du comment de ce que nous subissions, même si j'ignorais ce que ma grande soeur subissait en réalité. Savoir était un pas vers l'avant, non ? Même si cela faisait mal. Peut-être qu'avec ça, j'avais appris que toute vérité n'était pas bonne à entendre et à rechercher, mais rien n'était moins sûr, puisque je restais encore un enfant naïf et têtu.

La promesse formulée me fit sourire. Oui, peut-être que nous pourrions les intégrer. C'était un rêve d'enfant, encore, que de pouvoir être dans une famille. Ou plutôt : d'en retrouver une. Si la possibilité de retourner dans le passé pouvait m'être offerte, sans aucun doute j'y retournerai, pour voir maman, pour voir les sourires sur nos visages, quand tout allait bien, quand on était heureux. Si seulement, cela était possible...

"Un jour, nous pourrons réellement intégrer les Hayashi, je t’en fais la promesse."

Je gravais te mots dans ma mémoire, dans cet espoir d'avenir que tu m'offrais, répondait à un rêve d'enfant. Mon sourire s'étira de plus belle. L'appel de la nourriture et le défi qu'elle venait de me proposer, comment pourrais-je refuser ? Je m'élançais à sa poursuite.

-AYUUUUU !! C'est de la triche, t'es partie en première !

Et la tristesse fut oubliée pour un temps, je partais dans un éclat de rire en courant derrière elle. Le bonheur, aussi fugace soit-il, était retrouvé.