Nos deux coeurs seront deux vastes flambeaux (roku)
Tsugumi Tsugikuni
10 janvier 1998
Et pourtant, une envie de tendresse le hantait depuis qu’il était parti de l’école, mais le travail accumulé l’avait empêché de s’adonner à ses désirs durant deux bonnes heures, s’obligeant à finir avant de s’offrir un moment doucereux aux côtés de son petit-ami. Il venait régulièrement le week-end, ou bien durant les vacances, afin de profiter un maximum du temps qu’ils pouvaient passer ensembles. Amoureux de son poste, Tsugumi ne se voyait pas abandonner, même s’il rêvait de pouvoir se réveiller chaque matin avec la bouille endormie de son yakuza favori.
Lorsque fut terminé son rapport, libéré d’un poids, il s’élança hors du bureau pour rejoindre Roku. Un doucereux sourire décorant ses lèvres, ses bras venant enlacer sa taille, alors que son visage plongeait dans son cou, humant son odeur comme si elle était la plus délicate des drogues.
Le cœur lourd, il fermait les yeux pour se donner un peu de courage, conscient qu’il donnait le fouet pour se faire battre, Tsugumi était aussi confiant qu’angoissé. Il savait que Roku lui était totalement fidèle, cependant, il avait besoin de communiquer, d’être rassurer : qu’était-il face à lui ? Et cette question lui brûlait la gorge, lui déchirait l’âme.
Roku Yamaguchi
J’aspirais à une vie calme et équilibrée. Peut-être était-ce là la raison pour laquelle j’avais croisé son chemin durant une balade de ma vie : balancer ma tendance qu’on nommait « tranquillité ». Je devais admettre que sa présence dans certaines parties de mon quotidien le pimentait et lui donnait des saveurs exquises qui me semblaient nécessaires et dont les effets faisaient de moi un dépendant. Je ressentais le besoin de l’avoir à côté, je me délectais de sa présence, son odeur, ses bruits, son sourire; je contemplais ses yeux comme on admire un horizon marin dégagé; je les trouvais splendides en temps d’orage, pétillants en période chaude; j’appréciais les lignes de son corps, sa mâchoire et ses manies. Il m’était devenu précieux et adoré.
Ma plus grande malédiction peut-être avait été de naître homme pour ne pas pouvoir répondre à tous ces besoins. Par mon statut et ma nature, il savait - je lui avais dit - que je ne pouvais pleinement remplir mon rôle d’amant à la perfection. La vie sombre du secret avait ses charmes et ses horreurs, il m’était parfois insupportable de le savoir près de moi sans pouvoir le toucher, le frôler, l’embrasser; déposer mon nez dans sa nuque; lui dire tous les mots qui me passaient dans l’esprit. Et pourtant, il avait accès à mes appartements; il connaissait les recoins pour y venir; les astuces à utiliser pour passer à travers le regard parfois trop inquisiteur de certains; il savait tout un tas de choses qui faisaient de nos rencontres un moment de routine : rentrer à la maison. Le savoir chez moi - chez nous quand nous étions deux - avait le goût du paradis.
Ce jour là, il était entré chez-nous dans une tempête habituelle; ses lèvres sur les miennes s’étaient envolées trop vite pourtant et il avait disparu derrière les portes. Je suis resté suspendu au temps où il ressortirait, éclosion de mes plaisirs. Et j’avais beau être patient; j’étais parasité par le désir de l’enserrer alors je décidai de méditer sur mon impatience. Assis sur des tissus soyeux; je laisse écouler le temps qui me sépare de lui. J’attends qu’il me cueille de ses cheveux dans les miens, de ses mains autour de moi; et ce temps semble durer une éternité tout autant qu’une fraction de seconde dans une relativité à l’échelle du temps universel. Quel retour au présent m’offrait-il à chaque fois ? Le plus doux, le plus beau sans doute. Ses bras autour de moi et son amour qui m’enveloppe; j’avais le coeur lourd de bonheur. Je crois, d’aussi loin que je me souvienne, n’avoir jamais connu ces sentiments avant de le rencontrer. J’ai connu des moments d’extase, d’euphorie, de joie, de désir, peut-être pourrais-je même parler d’amour mais jamais rien de comparable à ce qu’il me faisait vivre. Je lui en serai pour toujours reconnaissant. À jamais gravé dans mes mémoires tendres, car je sais qu’il avalerait les larmes de joie qui rouleraient sur mes joues. Je me laisse étreindre tandis que mes mains placées sur les genoux se glissent jusqu’aux siennes; j’ai les yeux fermés et je profite de ce moment comme on savoure une douceur. Et puis mon nom qui tinte sur sa voix me donnait les frissons. Il n’avait jamais sonné pareil dans sa gorge que dans celle des autres; mon nom n’avait jamais eu des tonalités rondes et chaudes, pourtant lui, il arrivait à lui donner le goût de la tendresse. J’avais les mots doux pour lui, mais serais-je arrivé à leur donner le son de l’amour comme il le faisait ? « J’avais bientôt fini » Avais-je vraiment commencé quand je n’attendais que son retour ?
Je me retourne de moitié pour frôler sa mandibule gauche de mes lèvres et j’apercevais pourtant ses traits tirés. Avait-il eu une charge de travail si terrible pour en être préoccupé ? Fatigué ? Je pensais que son rôle d’assistant lui permettait d’être tranquille. Avait-il eu un ennui ? S’apprêtait-il à me faire une de ces farces ? Mais la position me tordait le dos, alors je retrouve ma position initiale avant de triturer ses doigts; les miens étaient froids d’immobilité, les siens brûlaient encore de ses devoirs; alors je les enlace, mes doigts serpents autour des siens tandis qu’il déverse le poison qui aurait pu avoir raison de mon coeur. Et je devais prendre le temps de digérer ces mots qui descendaient comme des kunai le long de ma trachée.
« Tsugumi… » dis-je doucement, pesant tous mes mots. « Je ne regrette qu’une chose : ne pas être un homme aussi libre de mes moeurs que tu le mérites. Je t’emprisonne de mes sentiments, peut-être que je ne te donne pas pleinement satisfaction, et je m’en excuse si tu le ressens. » Mes yeux se baissaient sur ses mains, essayant de décrypter par ses doigts, les pensées qui le traversaient. Ashihara Yamaguchi abritait une part de moi, j'abritais une part de lui. Il était un double, un frère dont les contours ne me ressemblaient pas mais que j'avais frôlé trop souvent pour ne pas en connaître les recoins. Il était un moteur à ma vie, mais Tsugumi était mon huile. « Mais approche toi, je vais te confier quelque chose. » Ma main se glisse en caresse jusqu’à l’arrière de sa tête et je me délecte de la sensation de ses cheveux sur ma paume; je les ai tirés tant de fois que j’en apprécie d’autant plus la douceur. Et mes lèvres se hissent à son oreille. « Je t’aime, pour la troisième fois. »
Tsugumi Tsugikuni
10 janvier 1998
Rassuré, un long soupir échappait à sa gorge, le palpitant plus léger aux sonates de sa voix peut-être légèrement rocailleuse.
Et bien que son sang ne soit guère des plus purs, il ne pouvait crier au monde combien il aimait cet homme, à quel point il voulait l’avoir à ses côtés jusqu’à sa mort, bien après encore, lier leurs âmes pour qu’un jour, ils se retrouvent encore.
Et son cœur sursauta de bonheur, un long frisson parcourant son échine, alors qu’il plantait son regard dans l’obsidienne de celui de Roku. Ses lippes se courbaient en un sourire superbe, les yeux étincelants d’un amour trop grand, débordant de l’océan de son âme. Il lâchait sa taille, et ses phalanges enlaçaient désormais son faciès, son front se collait au sien, avant qu’il ne laissa sa bouche fondre sur les lèvres du yakuza.
Imperceptiblement, il s’éloignait des lèvres tant désirées, plongeant ses orbes céruléens dans la nuit de son regard. Il sentait son pouls s’emballer, bêtement inquiet de l’idiotie qu’il s’apprêtait à dire.
Roku Yamaguchi
Il avait la capacité à voguer entre plusieurs émotions, et ce naturel surprenant était une des qualités que j’apprécie parmi toutes celles qu’il avait. Il était honnête, il était sincère là où mon quotidien était mu par le respect et la crainte que mon statut ou ma carrure pouvait inspirer, lui était vrai avec moi et je n’avais nulle crainte à l’appréhender. Depuis mon ascension à la puissance - juvénile lors de mes entrainements, adolescente quand j’effectuais mes premières missions, adulte quand mes mains gouttaient du sang; maintenant que je suis bras-droit - je voyais bien le regard des autres; membres du clan ou non, changer en ma présence; je n’étais plus comme eux, j’étais au-dessus d’eux; craint par mes actions. Je les dominais comme Ashihara me dominait nécessairement. Ses yeux à lui aussi étaient différents depuis un certain temps, les actions passées, les sentiments enfouis, avaient sans doute façonné les traits durs qui creusent ses orbites; parfois. Mais ceux de Tsugumi étaient toujours grands ouverts; prêts à être lus, car il ne taisait rien, pas même ses idioties. Il n’avait pas peur de moi, pas peur de me contrarier ni de m’émouvoir. Je l’aimais aussi pour cette raison.
Je l’aimais aussi pour ses gestes tendres qui partaient d’un désir que je lui provoquais, désir qu’il me provoquait également et lui sur moi, je fourrai mon visage contre son torse; cherchant la chaleur de ses poumons, le battement de son coeur et je m’en délectais comme du miel. Je le laissais s’installer sur moi, tendre chat que j’adorais caresser; le long de son dos, logé entre mes bras serrés; couvé de mes yeux amoureux. Mon regard aussi changeait en sa présence; il était noir attendri; voilé par les sentiments. S’il venait à me trahir, je ne sais pas, honnêtement, si je le verrais venir; trop confiant avec lui, je ne laissais la place à aucun doute. Pourtant la réalité était telle que je ne pouvais lui cacher la triste vérité de ma condition, la raison même de ma vie. « Tu sais, Tsugumi, si tu venais à me perdre, ce ne serait pas de ta faute; plutôt de la mienne. Tu sais qui je suis, tu sais ce que j’encours; ce que je risque. À vrai dire, jusqu’à présent je n’ai jamais eu à faire face à la Mort, je l’ai souvent épaulée, mais c’est une donnée que tu dois garder en tête : mon corps n’est pas éternel; arrivera un jour où nous rejoindrons d’autres affaires, d’autres temps. N’aies pas peur de me perdre dans le sens mortel mon oiseau; aies peur de ne pas me retrouver. » Je colle mes lèvres aux siennes alors que mes oreilles se noient dans ses mots; et je n’ai pas envie de reprendre mon souffle pour quitter l’océan d’amour dans lequel il me plonge mais j’étouffe sous les sentiments, je cherche son air, son air à lui alors je le serre; l’enserre, l’embrasse encore, encore et je lui fais perdre son souffle comme il m’a coupé le mien et je pourrais vivre en apnée avec lui; mais la douleur à ma poitrine m’ordonne de remonter à la surface; alors je me détache de lui un instant pour remplir mes poumons, les gorger d’air et continuer à vivre.
« Que veux-tu me demander, mon oiseau ? » Mon coeur se calme doucement après la noyade, mes mains logées sous ses étoffes, les paumes caressent le cuir de sa peau; je sens ses os, je les compte distraitement; il est si grand, je me demande s’il n’a pas une vertèbre de plus; j’ai le sourire vissé aux lèvres; il me donne le goût de la joie. Ses joues rouges, son air d’idiot transi; comment pouvais-je résister à tel tableau ? Il était peint des dieux, je pourrais l’idolâtrer, le vénérer, je crois que je pourrais bien me vouer à lui si j’en avais la possibilité, je voudrais le louer, l’encenser, inventer des rituels à sa beauté, me noyer dans l’océan à la recherche du bleu de ses yeux, je pourrais voler dans le ciel les couleurs qui le constituent, il y a le bleu, le blanc des nuages, le rose du coucher; il est si beau que j’en pleurerais. Mais je ne pleure pas, je le contemple, les yeux humides car je les ai gardés trop longtemps ouverts; je ne veux manquer aucun coup de pinceau, aucun trait, aucune craquelure.
« Marrions-nous »
Mais les tableaux n’étaient pas faits pour parler. Généralement, ils s’exprimaient par leur apparence; venait-il de briser le chef-d’oeuvre que je m’en faisais ? Il me sortait de ma contemplation avec la plus surprenante des propositions. Était-il encore en train de plaisanter; ses satanées blagues qui parfois me fâchaient ? Était-il sérieux comme lorsqu’il préparait ses breuvages mystiques ? Mes yeux mi-clos s’ouvraient alors sur des pupilles figées; des yeux noirs ronds étonnés. « Tu…tu veux vraiment de moi ? » Jamais je n’avais envisagé une telle hérésie me concernant; je pensais suivre les chemins des mentors qui m’avaient formés, recueillir un enfant; façonner sa vie, en faire mon digne successeur sans l’aide ou l’implication d’une femme; vivre d’amour caché secret; taire mes sentiments, jamais lier les deux et le voilà qui voulait que je lui appartienne et inversement. Je le voulais à moi, je ne savais pas encore à quel point un anneau au doigt était plaisant; flamboyant signe d’appartenance; fantastique parure d’amour. Mais était-il sérieux, allais-je l’appeler mon mari, mon amour; allais-je pouvoir garder mes secrets heureux quand la plus belle offre venait sonner à mes oreilles. « Si c’est encore une blague… » Je plante mes ongles courts dans son dos. « Tu le regretteras. »
Tsugumi Tsugikuni
10 janvier 1998
Il se souvenait l’avoir trouvé fascinant, d’un charisme attirant, et son calme l’avait tant amusé qu’il s’était approché pour décorer son visage d’expression qu’il s’imaginait. Son manège lui avait paru habituel, et pourtant, des sentiments nouveaux avaient fleuris en son cœur, jusqu’à finir par entourer son cou de ses bras dans d’humides échanges.
Il voulait de lui, tant qu’il ne saurait l’exprimer. Seul un sourire vint orner ses traits, ses orbes azurs plantés dans l’ébène des siens, ses phalanges effleurant sa peau, la caressant avec une tendresse propre à son désir imminent. Tsugumi avait ce besoin d’être proche de son amant, de l’aimer comme il ne pouvait le faire une fois à l’extérieur, de profiter de ce week-end, comme s’il était le dernier : car chaque jour était précieux à ses côtés. Et la sensation de ses ongles écorchant légèrement sa peau le faisait sourire d’amusement, nullement gêné par le léger picotement qui les symbolisait le long de son échine. Tsugumi ne pouvait que se montrer compréhensif, conscient qu’il pouvait sembler dire une idiotie parmi tant d’autres, qui d’autre qu’un imbécile pourrait demander une telle chose aussi sérieusement : personne.
Il savait qu’un véritable mariage n’était guère possible, il avait simplement ce désir se lier à jamais à lui. Une demande étrange, aussi imprévisible qu’il l’avait toujours été, évidemment qu’il aurait voulu d’une cérémonie – peut-être était-ce possible, en petit comité, entre eux.
Roku Yamaguchi
Qu’il était tendre de se laisser happer par les belles sensations amoureuses. Ces ressentis étaient nouveaux pour moi et j’avais toujours de le découvrir; source inépuisable de surprise, Tsugumi était un fleuve duquel j’espérais être l’océan, source. Me concernant, je puisais en lui les fluides qui faisaient de ma vie un cours d’eau : jamais véritablement calme, jamais pleinement ravageur. Il était d’un naturel que j’appréciais plus les années s’écoulaient. Ses différents mouvements, je les imprégnais en moi comme on s’abreuve d’eau pour vivre, je les marquais dans ma mémoire pour ne jamais l’oublier. Il nous arrivait de ne pas nous voir pendant plusieurs jours, semaines tout au plus; et pourtant il trônait dans ma tête et mes entrailles; je rentrai pour le retrouver, je revenais pour continuer à le voir, sentir le creux de son cou, couvrir ses oreilles de baisers.
Et malgré nos années passées ensemble, il me surprenait toujours. Il était un fleuve intarissable dont je ne voyais pas le fond couvert d’épaves de son passé. Sa niaiserie était délicieuse. Lui qui clamait sa position, le voilà aussi tendre qu’un mochi et si j’avais en horreur les sucreries, je pouvais le considérer grivoisement comme la plus mielleuse. Je me léchais les doigts. Superbe amant, je lui rendis son baiser sur sa joue rosée avant de la caler un peu mieux autour de mes cuisses. « Alors, tu es sacrément sérieux, Tsugumi oh ! » Et mon rire se déploie dans la gorge, j’en fermais les yeux - les miens n’étaient pas très grands à l’opposé des occidentaux et des siens, ils étaient en amande, tirés dans les traits de mon visage, remontés vers les tempes - alors que mes dents reflétaient dans leur ivoire les lumières tamisées de mon appartement. « Tu es si kawai ce soir ! Par Bouddha ! »
Je ne savais pas si c’était l’angoisse d’une blague ou la bonne nouvelle, mais à ce moment précis, je ne pus m’arrêter de rire. Je pense, après coup, que c’était l’euphorie d’imaginer telle situation qui m’avait fait m’écrouler en arrière, sur le dos, entraînant mon bien-aimé, rire heureux. Je n’étais pas du genre à m’épancher sur les sentiments, à vrai dire, je trouvais les déclarations magnifiques lorsqu’elles étaient concises, mais c’était sans doute là une déformation professionnelle ou juste le fruit de mon éducation, car je n’avais pas le temps de répéter les mêmes amoureuseries pendant des heures, peut-être était-ce aussi une crainte de fondre et oublier l’essentiel d’une vie au présent si je m’absentais dans une bulle à deux. Je l’adorais, mais j’étais quelqu’un d’avare en mots; je préférais cent fois le contempler ou le toucher, il y avait dans mon silence, une totale adoration. Je lui laissais les mots, il était bien mieux doué de sa langue que moi de la mienne. J’en savais quelque chose.
Les larmes perlaient sur mes joues et je reprenais doucement mon souffle alors que je me redressais sur les coudes à la recherche du sien pour me calmer. « Sois sûr d’une chose, mon amour (je le chuchotais), je te retrouverai toujours, nulle crainte. Maintenant voyons voir… » Je posais les mains sur sa taille, elles épousaient l’ossature de ses courbes discrètes. « On prévoira un karaoke, dis ? Je voudrais chanter Ride on Time de Tatsuro Yamashita, pour toi. Tu sais pourquoi ? » Je me redressai entièrement pour le basculer sur le dos; une main dans ses reins pour freiner l’impact; et tandis que je me plaçai par dessus lui, mes cheveux glissaient jusqu’à ses joues. « Parce-que ce soir, you ride on me. »
Et je ris encore, une main sur son torse. « Enfin, j’attends que tu me fasses ta proposition en bonne et due forme, avant de songer à cette cérémonie. Ici ou plus tard, mais si plus tard, tu as intérêt à sortir le grand jeu, emmène moi quelque part et fais moi une belle déclaration. » Je me penchai pour lui embrasser le front. « Veux-tu sortir ce soir ou m’en vais-je sortir le sake ? »
* Ride on Me - Tatsuro Yamashita
Tsugumi Tsugikuni
10 janvier 1998
Une moue boudeuse se formait sur ses traits, les mains posées sur ses épaules alors qu’il portait son regard à son visage rieur.
Il n’en savait rien et n’avait, sans mentir, aucune envie de se questionner plus que nécessaire. Roku, tout comme Akihiro et d’autres, était un pilier de son existence. Et Tsugumi avait ce besoin de croire qu’ils seraient toujours là, qu’ils étaient des âmes-sœurs, destinées à se retrouver dans chacune de leurs nombreuses vies. Le corps renversé, désormais sur le dos, ses mains s’enroulaient avec possession autour de son cou.
Dans sa poitrine, son cœur semblait prêt à exploser de bonheur. Tsugumi se disait souvent que c’était là une sensation bien étrange et pourtant si agréable. Il avait la sensation d’être sous l’emprise d’une drogue, peut-être était-ce là un peu la vérité, l’amour n’était-il pas similaire dans le fond. Un rire lui échappait, alors qu’il se redressait, poussant son presque fiancé à s’allonger. Lentement, il se penchait au-dessus de lui, murmurant tendrement.
Roku Yamaguchi
Roku d’âge fait en pierre, trapu comme une bête, colosse comme un massif, j’avais les os comme la roche et le roc de roku n’était qu’un pillier des 6 branches naturelles qui constituaient mon corps. J’étais ainsi, un tas de muscles sous lequel battait un coeur à la fois tendre et sincère; et froid et dur comme la pierre. Rien n’était incompatible. Et je n’avais pas avoir le sang superbe, j’avais la couronne de ronce sur le crâne, vissé, enfoncé, et les coups pour ceux qui comptent ne sont que des caresses.
Mon sang a coulé, coule, coulera.
Du sang a coulé, coule, coulera sur mes doigts.
Et je peindrai, à la fin de ma vie, la fresque de mon existence avec, et Tsugumi fera partie des protagonistes principaux car il l’aura chauffé, fait bouillir. J’ai senti des fourmis dans le bout de mes membres et c’était peut-être la manifestation du bonheur ou de l’amour, mais j’ai su qu’enfin, je n’étais pas qu’une machine à déchirer, briser, mordre, déchiqueter, tuer, dépécer; j’étais aussi un humain capable de ressentir les belles choses que les sentiments apportent. Enfin les larmes n’avaient plus le goût de sel. Enfin mes phalanges serraient une gorge pour autre chose que la haine, la frustration, la mort. Enfin je n’avais plus à usurper la Mort et enfin je n’avais plus à être qu’un bourreau. Il était arrivé comme un orage; et depuis je guette la tempête dans mon désert.
Son rire revient à mes oreilles, ses lèvres m’harponnent à la réalité. Il est beau, si vivant. « Je ne suis pas gentil, dit-on. Tu le penses aussi ? » dis-je doucement. Je ne sais pas si le ton était sorti comme plaintif, un peu triste. Je n’en avais cure que de renvoyer cette image, après tout j’étais le cerbère de cette famille, je n’avais pas à avoir le rôle tendre des insouciants, mais je pensais être autre chose que catégorisé méchant ou gentil; un système manichéen bien simple et faible, mais enfin. « Je ne mourrai pas, Tsugumi. Je ne mourrai jamais, toi non plus. Je te retrouverai même si tu étais dans le corps d’une coccinnelle ou d’un poisson rouge, je te retrouverai et nous marcherons dans nos nouvelles vies ensemble; encore, toujours. »
Mes yeux se ferment un instant pour apprécier l’étreinte, mes bras autour de lui; son corps svelte était une douceur que j’avais du mal à quitter et pourtant le présent était à la fois magnifique et terrible. En réalité, j’en venais à penser qu’il n’y avait pas de présent, il passe si vite, l’instant suivant est déjà le présent, ce que j’ai vécu est déjà passé, ses baisers laissent un goût d’amour mais ne durent pas; je voudrais pouvoir le garder toujours et pourtant, son étreinte était déjà passée.
« Etalon hm… Je ne suis pourtant pas un pur-sang, ahah. »
Ses baisers dévorent mon âme je crois qu’il les aspire et je lui donnerai tout mon être mais la soirée ne fait que commencer et je m’abandonnerai à sa respiration quand Morphée viendra nous faucher. Alors je l’écarte et me redresse. Le quitter me peine, je sais que j’y retournerai vite. Alors d’un pas lent, le kimono lâche, je m’approche d’un cabinet simple, sobre mais splendide. Une création d’un artisan sculpteur; une offrande pour être exact. Le bois était brillant, profond, les détails magnifiques. Ce cabinet renferme les liqueurs qui délectent mon palais ou attisent les sens. Il ne s’ouvre que par magie pour la simple et bonne raison qu’il renferme ce qui peut signer ma fin. Non pas que je sois porté sur l’alcool mais lorsque l’on dispose de si bons brevages, la tentation d’en consommer est plus forte et les langues sont faibles.
Les bouteilles sont rangées méticulusement tout autant que les verres. Chaque alcool avait son contenant alors je tire ceux propres au saké. Et je m’arrête un instant pour choisir le sake approprié. Une trop bonne bouteille était tentante mais inadéquate, il m’avait proposé de nous fiancer, mais il ne m'avait pas à proprement proposé. Je m’arrête finalement sur le Dassai « Au delà » très délicat. Il était assez cher pour l’occasion, assez poétique pour être romantique, assez complexe pour apprécier ses lèvres parfumées.
Je reviens alors vers lui, bouteille en main, verres de l’autre et je m’asseois, la cuisse contre la sienne. « A quoi buvons-nous, (mon amour) ? A ta future demande ou alors à ta capitulation sur toi qui me montes ? Ahahahah »
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