Pianoté sur ça

Elle était arrivée à peine en retard pour le dîner, mais assez pour rater le début de la soirée. Suzu avait pris le temps d'écrire un origami à Kiyoshi qui était absent depuis quelques jours déjà. Elle ne savait pas pourquoi et ne le saurait qu'à son retour. Elle avait longtemps hésité avant de lui écrire et à force de chercher les mots, elle avait perdu du temps. Trouverait-il ça bizarre ? Elle l'ignorait, mais elle espérait qu'il ne le prendrait pas mal. Depuis ces dernières semaines tout s'était accéléré et ils étaient devenus bien plus proches lorsque la jeune fille avait éclaté en sanglots et s'était confiée à lui. Le grand absent de ce soir, c'était Kiyoshi.

Sora s'était assis à côté d'elle peu après, tandis qu'elle reprenait son souffle et tentait de reprendre ses idées en place. Elle avait salué d'un sourire chaleureux Kagami qui lui faisait face et elle avait rempli son assiette comme il se devait, tant elle avait une faim de loup. Elle avait suivi les conversations et les heurts de loin, sans trop y faire attention, se concentrant essentiellement sur la seule chose qui comptait à ce moment-là : son estomac. Ce fut une toute autre paire de manches quand la situation tourna au vinaigre, que Yue commença à menacer un autre élève de sa baguette. Suzu s'était déjà levée, prête à intervenir, mais l'intervention du directeur fut plus rapide, plus efficace et surtout bien plus fédératrice de l'attention de chacun qu'elle n'aurait pu l'être.

Et enfin, des explications. Pas de vacances, pas de retour et pourquoi donc ? Suzu eut des explications, mais elles n'étaient pas celles qu'elle attendait de tout coeur. Elle qui était d'humeur si joyeuse, qui avait éclairé la table par ses sourires et son rire gai, s'était progressivement effondrée en silence. Son esprit se dissocia de son corps pendant un instant et tout ce qui était aux alentours lui parvint dans un brouhaha étouffé où plus aucune parole intelligible et sensée ne l'atteignit. Elle n'entendit même pas les dernières paroles du directeur. Il y avait juste elle, ses pensées et son envie irrépressible d'hurler. Des moldus, attaquer des sorciers.


Des moldus. Comme son père. Attaquer des sorciers. Les mots tournaient en boucle et au fur et à mesure qu'ils s'embrayaient, la jeune préfète en chef palissait à vue d’œil. Cela expliquait les origamis courts, brefs, sans plus d'informations de la part de sa mère et sans aucun rapport à son père. Elle se posait déjà des questions, elle se demandait déjà si lui en avait fait partie. Elle n'était pas la seule à mal recevoir l'annonce aussi éclatante : Aritsune venait littéralement d'écraser son verre entre ses mains. Les éclats tombaient, le sang coulait. Tout n'était qu'une succession d'images à ce moment-là et ce qui ramena Suzu à la réalité, ce fut la voix de Sora.

Tremblante et nauséeuse, elle ne répondit pas directement. Entre deux états divagant entre les larmes et les hurlements, la jeune sorcière était tout simplement tétanisée et sous le choc. Tout cela résonnait beaucoup trop avec ses propres problèmes. Elle essaya de se reprendre comme elle put, bredouillant une réponse à son co-préfet :

« Je... Oui, j'y vais tout de suite »

Elle se vit se lever, tandis que des images de son père lui revenaient en mémoire. Les parties de pêche, le jeu de go, l'appareil photo, les cache-cache et les contes lus le soir. Et puis, la froideur, le regard effrayé, honteux ou gêné, jusqu'à l'indifférence. Suzu se vit se lever pour aller chercher Okumura. A peine avait-elle repoussé sa chaise, ses jambes flageolantes avaient vite cédé sous le coup de l'émotion et elle avait trébuché. C'est sur Sora qu'elle se voyait chuter, sans qu'elle ne pouvait rien y faire.

Les émotions et les questions pleuvaient, l'embrouillaient. Les révélations lui avaient fait l'effet d'une comète filant droit dans l'espace.