Il a brillé par son absence. Du moins, tu l'as vu briller par son absence, toi qui observes toujours où sont tes proches, toi qui les surveillerais presque, tellement tu les observes, tellement tu veux te rassurer qu'ils vont bien, toujours bien, comme si tu pouvais lire dans leurs pensées juste en plongeant ton regard dans le leur.

Un échange d'origami plus tard, te voilà en train de t'échapper de ta salle commune, vérifiant qu'aucun préfet ou professeur ne traîne dans les parages. L'heure du couvre-feu presque dépassé, tu t'échappes du château pour rejoindre la rivière. Il te faut un moment tout de même pour apercevoir Yori, quelques instants à peine pour le rejoindre et, à peine arrivé qu'il te taquine.

Tes joues se gonflent comme celles d'un enfant avant que tu ne te laisses tomber à côté de lui. J'peux partir, si tu préfères. Un regard vers lui avant que tes doigts ne viennent jouer avec les brins d'herbe. Tu demandes alors, curieux, et un peu inquiet quand même : Comment ça se fait que tu préfères l'herbe à ton lit ? Parce que finalement, Jian, t'es réellement inquiet pour ton ami.

C'est sa tête qui vient rejoindre tes genoux. Tes doigts viennent immédiatement jouer avec les mèches claires, glissant dans la chevelure, déposant quelques pressions ici et là, comme un léger massage crânien. Comme pour le détendre, essayer de le comprendre. Tu ne réponds pas à cette perche qu'il te tend, tu te contentes de sourire légèrement, à peine. Parce que s'il préfère te voir sourire, Jian, tu sourirais.

Il te répond alors. Ce n'était pas prévu. Et heureusement, as-tu envie de lâcher en riant, mais tu te retiens, tes doigts allant et venant toujours dans ses cheveux, dans une caresse tendre et douce. Kyoto est soufflé comme un secret, comme une confidence, et tu viens te mordre le bout de la langue, réfléchissant à quoi dire. T'es pas doué pour les mots, Jian, tu ne l'avais jamais été, toi, t'étais dans l'excès, dans les gestes, dans les grandes paroles et les grands discours pour motiver les troupes... mais pour réconforter les gens ? Tu avais l'impression de te retrouver face à ton propre reflet, et tu n'es pas certain de savoir quoi faire. T'sais, dans le pire des cas, tu peux venir squatter ma chambre. Je sais que t'es préfet blablabla, mais c'est pas comme si les kitsune allaient dire quelque chose.

Un sourire. Tu arrêtes ta main dans ses cheveux, plonges ton regard dans le sien, le regard soudain plus sérieux : Tu veux en parler, de Kyoto ? Tu ne sais pas s'il veut en parler, tu ne penses pas, Yori n'est pas du genre à parler des choses qui le dérangent véritablement, des choses qui lui font du mal. Il se tait, garde sa colère, sa tristesse, sa peine, tout au fond de lui, comme toi. Vous cachez tout dans un coffre avant de le lancer au fond du lac de vos émotions et de vos sentiments, caché aux yeux de tous. Je suis là, tu sais. Tu espères qu'il ne l'a pas oublié.

Un rire tendre qui s'échappe de tes lèvres, alors que tes doigts vont et viennent dans ses mèches longues et claires. Il a les cheveux doux, Yori, ça en est presque surprenant. Tu te perds un peu dans la contemplation de tes doigts, glissant dans la chevelure, disparaissant, remontant, s'échappant, plongeant. Qui sait. Peut-être. Pas vraiment. Tu n'avais jamais réellement cherché à le mettre dans ton lit. C'était plus... c'était différent, avec Yori.

Tu te contentes de hausser les épaules quand il parle de son cousin, refusant. Et il continue, Yori, de refuser. Tout le monde parle de ça. Plus ou moins. Pas vraiment. C'est comme si personne n'osait vraiment. On en parlait, mais jamais trop fort, jamais trop souvent, jamais trop longtemps. Sait-on jamais ce que ça pourrait apporter. Mais tu hoches la tête, tu acquiesces, Jian, parce que c'est ton rôle de le faire. Tu acceptes ce qu'il te demande. Et c'est vers toi que la conversation se tourne, parce que Yori ne parle pas de lui, très rarement, quasi jamais.

Tes doigts vagabondent toujours dans ses cheveux alors que tu te contentes d'un simple Mh mh. plus ou moins joyeux. Ce n'est pas comme si tu avais grand chose à raconter, dans tous les cas. J'ai pas de nouvelles de mes parents, ce qui est, en soit, une bonne nouvelle. Une excellente nouvelle, même. J'ai un peu baissé en métamorphoses, mais c'est pas un soucis, je me rattraperai la prochaine fois. Je sais toujours pas ce que je fais une fois que je quitterai l'école et... et c'est tout. Y'a pas grand chose à raconter de mon côté, tu sais. Ton regard se plonge vers le sien, et tu lui souris tendrement. Non, il n'y avait pas grand chose à raconter de ton côté, Jian. 

Tes provocations, les siennes. Tes doigts enserrent un peu plus ses cheveux, tirent vers l'arrière le crâne alors que tu abaisses ton visage vers lui, sourire supérieur aux lèvres, beaucoup trop proche. Trop proche. Un sourire, un souffle, et tu recules déjà, comme oubliant les taquineries, le jeu.

Et c'est à lui, de prendre la parole. Il n'a pas hâte de partir, et tu comprends, Jian. Tu voudrais pour toujours rester un enfant. Et tu n'as jamais pensé à l'après, parce que tu espères que tout va te tomber dessus. Tu hésites à te laisser porter par la vie, par tes parents, par le futur qu'ils veulent pour toi. Parce que t'avais été créé pour ça, Jian, perpétuer le nom. T'en avais tout simplement pas envie.

Puis un chuchotement, une nouvelle confidence et tes doigts qui allaient et venaient dans sa chevelure s'arrêtent. Ton regard se plonge dans le sien, et tu lui souris doucement : T'arriveras à vivre sans moi ? Taquin et tendre. Finalement, tu ne sais pas à qui la question s'adresse vraiment. Parce que toi, Jian, t'arriverais à vivre sans lui ?

Tu n'avais pas envie de parler de ton départ. Ton départ signifiait beaucoup trop de choses. Ton départ signifiait tes responsabilités, signifiait un futur mariage dont tu ne voulais pas, signifiait une voie à suivre toute tracée par tes parents, signifiait la fin de ta vie comme tu l'entendais, comme tu le souhaitais au fond de toi, libre.

Et toi ?

Non. Non tu n'y arriverais pas, ce serait trop compliqué, de vivre sans lui, Jian. Ce serait si dur, lui qui a toujours été là pour toi, lui qui a été cette personne la plus présente dans ta vie, lui qui... qui est si spécial. Si spécial, Jian, que t'aurais du mal à vivre sans lui, si loin de lui. T'y arriverais peut-être pas.

J'ai l'habitude de devoir vivre sans les personnes dont j'ai besoin.

Toi aussi, tu as besoin de lui, tellement besoin de lui. C'est lui, qui a calmé toutes tes crises ou presque. C'est lui qui a été celui vers qui tu te tournais, qu'importe l'heure du jour ou de la nuit. C'est lui qui a fait battre ton cœur un peu plus vite, un peu plus fort, pour la première fois. Alors non, non tu n'arriverais pas, tu n'arriveras pas à vivre sans lui. Ton cœur ne le supporterait pas.

Tes doigts viennent se glisser contre sa joue, pour que vos regards se rencontrent, pour qu'il ne te lâche pas des yeux, pour qu'il te voie, comme tu le vois. Tu souris légèrement, tristement. Tu sais très bien que j'arriverai jamais à vraiment vivre sans toi. Non, tu n'y arriveras pas, il est trop important, et tu es trop dépendant de lui. Beaucoup trop. On s'écrira tous les jours. Et on se verra pendant les vacances. On sera jamais vraiment séparé, dans tous les cas.

Tu ne vous laisseras pas le choix, de toutes façons.

Il ne te répond pas, pas immédiatement du moins, et seul une larme salée qui vient s'écouler sur sa joue est ta réponse à ta semi-déclaration. Et il se redresse, te fait dos pour chasser cette perle salée. Et t'as les tiennes qui viennent humidifier tes jolies perles noisettes. Yori qui pleure, c'est un peu comme la fin du monde. Quelque chose qu'on a jamais vu, qu'on ne veut pas voir, et qu'on désire repousser le plus possible. Yori... Et tu as la voix pleine de larmes, Jian, pleine d'inquiétude et d'émotions négatives soudain, parce que tu es si soucieux, presque affolé de cet état dans lequel il est.

Tes doigts trouvent, s'enlacent et s'entrelacent aux siens et ta main libre, peut-être un peu tremblante, glisse contre sa joue, comme tout à l'heure. Et tu l'obliges à te regarder, tu l'obliges à t'observer, tu l'obliges, Jian, à te faire face, toi, cet enfant, cet adolescent, cet homme qui l'a vu grandir, mûrir, cet enfant qui lui doit tant. C'est que moi. Parle-moi...

Et ton pouce caresse sa joue alors que ton front vient se poser contre le sien. Parle-moi. Un baiser sur ses lèvres, un baiser tendre, peut-être trop, presque amoureux. Parle-moi, Yori. Et un autre, un peu plus appuyé, qui recherche le contact, la tendresse, l'amour, l'amitié. Parle-moi.

Il s'effondre dans tes bras, Yori, se laisse aller aux larmes et à la douleur, et ton cœur se serre si fort que tu as l'impression qu'il va imploser sous la pression. Il te balance tout, Jian. Il te raconte Kazami, Ishan, Nanami, ses parents. Et tu sais qu'il y en a d'autres, d'autres dont il ne te parle pas, qu'il ne te parlera sûrement pas aujourd'hui.

T'as le cœur qui se serre. Tes parents sont déjà beaucoup trop présents dans ta vie, là où ils brillaient par leur absence, ce n'est plus le cas maintenant. Et tu sais que ça va se passer de la même façon pour Yori, et ça te brise le cœur, ça te rend faible, ça te donne envie de hurler contre le monde, de pleurer, de t'échapper, si loin, terriblement loin. Et en même temps... pourquoi ne pas se laisser porter comme toutes les générations précédentes l'ont fait ? Il en a marre, il en a assez, et tu le comprends tellement, tu le comprends si bien... Tes doigts glissent le long de son visage, viennent se perdre dans sa chevelure et ton front vient se poser contre le sien.

T'as le cœur qui bat à mille à l'heure.

Pars avec moi.

Et d'une seule façon, à l'aide de quelques petits mots, voilà que tu scelles ton destin, Jian. Tu partiras, tu t'échapperas. De tes responsabilités, de ta famille, du Japon tout entier. Pars avec moi, Yori, après l'école. On part, tous les deux, où tu veux. Loin de tout et loin de tous. Rien que vous deux contre le monde, à travers le monde. Un peu comme deux amoureux.

Il te regarde, il te regarde avec tout ce sérieux qui le définit tant, qui l'a toujours défini. Il te regarde, Jian, comme s'il espérait que tu ne mentes pas, comme s'il pensait que tu pouvais te rétracter. Mais tu ne te rétracteras pas, Jian. Non, plus maintenant. Et finalement, t'as si peur qu'il te refuse. Si peur qu'il se refuse à toi, finalement, qu'il te dise que non, il ne peut pas, qu'il ne veut pas. Pas avec toi.

Et alors, un tout petit mot, une toute petite réponse. Et tu n'y crois pas réellement, sur le coup. Parce que c'est Yori, parce que tu le voyais plus te répondre qu'il avait besoin de réfléchir, que c'était beaucoup, que c'était important, comme décision. Mais non, comme toi, sur un coup de tête, il accepte, lie son destin au tien sans hésiter réellement. Et c'est par un baiser qu'il scelle votre promesse, et il t'enlace, t'embrasse de nouveau, et tu l'enlaces plus fort encore. De nouveau, il répète, il accepte, encore, comme pour te rassurer, et tu ne peux que hocher la tête contre la sienne. Oui. On va où tu veux, Yori. Où tu veux. Parce qu'il avait toujours été celui qui prenait les décisions. Celui qui t'aidait, celui qui calmait les océans tumultueux. J'veux juste voir l'océan, ou la mer, c'est pareil. Pas vraiment, mais tu ne pouvais pas vivre très loin de l'eau, t'étais fait pour y plonger, après tout.

Ton front vient se poser contre le sien et tu fermes les yeux un moment, tes lèvres proches des siennes.  On va s'enfuir tous les deux. Je t'attendrai. Tu quitterais le Japon après l'école, tu ne pourrais pas rester, sinon, tes parents trouveraient un moyen de t'enfermer dans un mariage que tu détesteras. Alors tu devras partir, immédiatement, par voie moldue, sûrement. Et Yori te rejoindra. Et vous communiqueriez par lettres en attendant. Oui. Oui, vous feriez ça.

Et ensuite, plus rien ne vous atteindra.
Ce ne sera, que lui et toi.