L'organe avait raté un battement, puis deux, puis trois. Et peut-être que la peur avait fait trembler tes jambes, et tu t'étais enfermé dans les toilettes, et tu t'étais laissé tomber au sol.

Tremblant.
Désespérant.

Tu l'avais entendu au détour d'un couloir, et tout semblait s'être volatilisé comme une traînée de poudre. Et pourtant, pourtant tu savais qu'il ne fallait qu'une claquement pour y mettre feu. Les rumeurs allaient de bon train, dans l'école. Tu ne sais combien tu en as entendue ici et là, mais ça... ça semblait beaucoup trop grave pour ne pas que ce soit vrai. Alors la panique avait pris possession de toi, et tu ne pouvais penser qu'à une seule chose, Yori, Yori, Yori. Après tout, il était le seul à te calmer lorsque tu étais dans cet état. Il t'avait fallu de longues minutes, trop longues, peut-être même plus que des minutes, qui sait, pour te calmer, pour pouvoir respirer.

Et puis tu avais pris la direction de l'infirmerie.

On t'avait expressément demandé de partir quand le couvre-feu s'était rapproché, et quand les cours avaient commencés le lendemain, puis de nouveau le couvre-feu, mais toute la journée du samedi, tu l'avais passé à ses côtés, attendant qu'il se réveille.

Et le temps s'écoule, s'écoule et s'écoule encore, sans que tu ne saches quoi faire à part attendre. Une inspiration, une expiration. Tu commences à me faire peur, lui avais-tu lâché la veille. Et pourtant, ça ne l'avait pas aidé, ça ne l'avait pas réveillé. Et désormais, tu attends, Jian, le cœur au bord des lèvres, en espérant juste qu'il s'éveille.

Hé, hé hé... ce n'est que moi, murmures-tu en te redressant, quittant ta chaise pour te rapprocher de lui alors qu'il semble paniqué un court instant. Yori respire, Yori tente de se calmer, et tu ne peux que lier tes doigts aux siens, comme pour le raccrocher à la réalité. Puis il veut savoir, te demande ce qu'il s'est passé, mais que lui répondre, Jian, toi-même tu ne sais pas vraiment. Les rumeurs vont déjà de bon train, mais toi... toi tu savais que Yori ne s'était pas juste évanoui comme ça, pendant deux jours. Il y avait forcément quelque chose d'autre. Et même si tu ne voulais pas croire à une attaque dans l'enceinte même de Mahoutokoro, dans les murs de l'école... il fallait se rendre compte de l'évidence.

Yori ne pouvait pas juste s'évanouir.
Et rester inconscient deux jours.
C'était impossible.

Tu étais dans la grande salle et... tu t'es évanoui, d'un coup. T'es resté inconscient deux jours. Deux jours entiers. Deux jours terriblement longs. Beaucoup trop longs. Tu te racles la gorge, tes doigts pressent les siens un peu plus fort. Certains disent juste que tu t'es évanoui à cause de la fatigue, mais d'autres... d'autres disent qu'ils ont vu une ombre ? Un soupir. Je sais pas, je suis désolé. Il était accompagné d'Akina, quand il s'est évanoui, et même après votre discussion, tu doutes que la jeune fille ait pu lui jeter un sort. De plus, cette hypothèse avait du être directement étudiée par les professeurs.

Dans tous les cas, Yori était en vie.
Yori allait bien.
Yori devait aller bien.  

Yori a toujours été la constante de ta vie. Yori a toujours été présent, a toujours pris les décisions, a toujours été à tes côtés quelque soit l'épreuve. C'est désormais à toi d'être là pour lui, Jian, mais t'es tout simplement terrifié à l'idée de le perdre. Il réfléchit, parle, te répond, et pourtant, la seule chose à laquelle tu penses c'est que, s'il s'est vraiment fait attaquer alors... alors tout aurait pu être plus grave encore.

Tes dents viennent mordiller tes lèvres et tu t'installes un peu mieux sur le lit, tu t'assois, une jambe repliée sous l'autre et tes doigts serrent un peu plus les siens. Tu laisses de côté l'attaque, tu ne veux pas vraiment y croire, et, après tout, si c'est vraiment important, on vous tiendra au courant. Tu espères vraiment qu'on vous tiendra au courant. Si vous n'étiez pas en sécurité dans l'école alors... alors à quoi bon rester ici ? Comment tu te sens ? demandes-tu alors, la voix basse, après ce qu'il te semble une éternité de silence.

Tu vous revois, il y a un peu plus de deux semaines, à vous promettre de disparaître loin d'ici, de partir, de vous échapper. Tu aimerais partir à l'instant. Une profonde inspiration, une expiration, et ton front vient se poser contre le sien. Tu fermes les yeux.

Respire, Jian, respire. J'aimerais qu'on puisse partir maintenant. Lui et toi. Récupérer vos affaires et partir, ne plus jamais vous retourner. Vivre votre vie comme vous l'entendez.  

Un mauvais rêve. Un cauchemar. Quelque chose qui est venu lui faire du mal à l'intérieur même de son sommeil, loin de toi, loin de ta protection. Tu t'en veux beaucoup, Jian. A se croire intouchable, vous voilà en train de dégringoler de votre piédestal.

Il continue. Il sait. Oui, il sait que tu aimerais partir maintenant avec lui, il sait que tu t'inquiètes, que c'est pour ça que tu aimerais t'enfuir. Il sait. Yori sait. Yori a toujours su. Et pourtant, il ne voit pas ce qui saute aux yeux. Une inspiration, un peu plus profonde que les autres. Tu ne sais pas quoi dire, Jian. Peut-être devrais-tu aller chercher l'infirmier ? Ou alors le premier professeur qui passe ? Est-ce qu'il aura des séquelles ? Il semble normal, mais...

Un baiser.
Plus une caresse.

Tes pensées noires d'abandonnent et tu fermes les yeux pour apprécier le contact, pour lui rendre cette douce pression. Vous franchissez toujours un peu plus les limites, et si tu ne voulais vraiment pas perdre ce que vous aviez trouvé deux semaines auparavant, des tonnes de questions vont et viennent dans ton esprit. Plus les même que tout à l'heure, en tout cas. Mais qu'importe. Est-ce que c'était vraiment important, de se poser des questions ? Non. Non, du tout.

Ta main libre vient se glisser contre sa joue, une façon de plus pour le garder près de toi, pour approfondir ce baiser que tu romps à peine quelques instants plus tard. Vous jouez avec le feu, Jian. Bientôt, vous allez vous brûler les ailes et vous noyer. C'est rare,, murmures-tu sans t'en rendre compte. Parce que oui, c'est rare, que le premier pas vienne de lui, sauf quand tu n'allais pas bien... puis un léger rire t'échappe. Non, en fait, il te rassure, Jian, alors c'est normal. J'ai rien dit.

Ta main glisse de sa joue à ses cheveux, tes doigts s'emmêlent dans ses mèches un instant avant que tu ne te recules, ta main retrouvant les draps, alors que l'autre serre toujours ses doigts entre les tiens.

Et maintenant, Jian ? C'était le moment où tu devais lancer une blague et partir. T'en as juste pas envie... et maintenant, Jian, qu'est-ce que tu fais ?  

Tu l'as dit. Tu ne peux pas retirer tes mots. C'est trop tard. Ton cœur se serre. Tu as l'impression d'étouffer soudain. Tu as tout foutu en l'air d'une seule parole.

Et le voilà qu'il se redresse, qu'il repousse les couvertures, qu'il s'assoit comme pour sortir du lit et tu te mets sur tes deux jambes, juste devant lui. Tes doigts lâchent les siens et tes mains viennent se poser sur ses épaules. Quoi ? Non. Tu te reposes, tu n'as même pas encore été ausculté ! Peut-être un peu brutalement, tu le rallonges sur le lit, lui tenant fermement les épaules. Tes sourcils se froncent et tu le maintiens un moment. Oh, il pourrait se dégager facilement, ta prise n'est pas si forte, mais tout de même, c'est rare, venant de toi, tout ça. Tu crois quoi ? Que tu vas partir à la chasse à l'homme sans savoir ce qu'il s'est passé ou comment tu vas vraiment ? Mais t'es malade ou quoi ? Et tu comptes faire ça tout seul, en plus ? Pourquoi doit-il toujours dire je ? Pourquoi ne te compte-t-il pas avec lui dans ses recherches ? Pourquoi te met-il toujours de côté, loin de lui, comme si tu lui étais inutile ?

Tu lâches ses épaules, te recules légèrement et tes bras viennent se croiser sur ton torse. Tes doigts pincent et repincent la peau de ton avant-bras dans un geste nerveux. Tu es si inquiet, Jian. Pourquoi tu dois toujours faire tout tout seul ? Pourquoi te laisse-t-il autant de côté, hein, Jian ? 

Il s'énerve. Ses poings et sa mâchoire se serrent, il se tend et toi aussi, Jian, tu te tends. Tu es sur la défensive, prêt à attaquer, comme il l'est aussi. Oh c'est si rare, venant de vous. Ça ne vous est jamais arrivé. Pas comme ça ; parce que lui comme toi, vous ne leviez pas le ton l'un sur l'autre. C'était interdit, proscrit, un peu comme un serment inviolable. Et pourtant, vous voilà en train de le violer, sans hésiter.

Mais c'est toi, qui as commencé.
Mais c'est lui, qui veut s'échapper.

Il parle de coupable. Il parle d'attaque, et tu es à deux doigts de le secouer dans tous les sens pour lui dire de regarder la réalité en face. Si c'était vraiment une attaque, n'était-ce pas une raison pour ne pas se jeter dans la gueule du loup ? Tu as envie de lui dire, d'essayer de lui faire comprendre que tu t'inquiètes, c'est tout, et pourtant... pourtant, une seule phrase vient mettre un poids sur tes épaules, compresser ta poitrine. Tu as du mal à déglutir. C'est toi et moi, Yori. Ça a toujours été toi et moi. Lui et toi contre les adultes. Lui et toi contre votre société bien trop fermée. Lui et toi contre les autres. Lui et toi contre le monde. Lui et toi envers et contre tout.

Un soupir t'échappe, ta main vient frotter le bras à l'opposé et ton regard divague. Pourquoi tu veux pas comprendre que c'est toi et moi ? Pourquoi tu veux pas comprendre que ça a toujours été toi ? 

Je sais. Et ton cœur se serre et se recroqueville, comme soudain enfermé dans une cage bien trop petite. Je sais. Sa solution à tous ses problèmes, à tous ses maux. Je sais. Comme si toi tu ne savais pas, comme si toi, tu ne pouvais pas comprendre. Je sais. Une façon de te dire que ça ne changera pas, qu'il ne changera pas. Je sais contre je ne sais pas, et ton cœur palpite douloureusement.

Et tu aimerais lui crier que ce n'est pas ça, que ce n'est pas qu'il ne sait pas, mais c'est qu'il a peur, qu'il ne veut pas, qu'il a trop peur, qu'il est terrifié à l'idée de te laisser l'approcher. Et tu le comprends tellement, parce que tu sais, tu sais, Jian, à quel point c'est douloureux, à quel point vous n'êtes pas fait pour ça. Lui comme toi êtes destinés à autre chose, vous l'aviez toujours été. Et si toi tu as abandonné ton rôle dans ta famille, qu'au fond de toi, tu sais que jamais, jamais tu ne deviendras ce fils idéal, ce gendre pour tu ne sais qu'elle demoiselle que tu n'as jamais croisé, tu as si mal, tellement mal à l'idée de tout laisser derrière, de tout abandonner.

Définitivement.

Tu passes une main dans tes cheveux, les emmêles avant que ta main attrape de nouveau ton coude. Tu déglutis, prends une grande inspiration avant de soupirer. Alors essaie au moins de comprendre que... pour moi, c'est toi et moi, d'accord ? Tu détournes le regard, te recules encore un peu et cherches ici et là. Tu n'aperçois pas l'infirmier, mais peut-être vous laisse-t-il un peu d'intimité. Je vais voir si je peux trouver monsieur Okumura. Ce ne sera pas aujourd'hui, Jian, qu'il comprendra. Et peut-être que toi non plus, jamais tu n'oseras.  

Il ne dit rien, ne te répond pas. Et tu comprends. Tu comprends vraiment. Pourtant, tu aurais espéré plus. Plus de complicité, plus de confiance, plus d'intimité. Alors tu te détournes, vas pour aller chercher l'infirmier quand il ouvre la porte avant même que tu ne le fasses toi. Une question, à laquelle tu n'as pas le temps de répondre, parce que le voici déjà en train de se diriger vers Yori.

Et tu restes là.

Tu ne sais pas si tu dois partir ou rester. S'il y avait quelque chose à annoncer, il ne le ferait sûrement pas devant toi, alors peut-être devrais-tu partir. Et puis, tu trouves que Yori a été plutôt clair sur ce qu'il souhaitait actuellement : être seul. Tu ne te sens pas capable de partir, pas encore. Tu n'en as pas envie non plus. Une inspiration, une expiration, et tes doigts pincent toujours la peau de ton avant-bras, puis de ton coude, ton avant-bras encore. Tu vas finir avec des marques.

L'auscultation semble durer des heures et des heures. Et rien ne vient, rien ne semble aller mal et tes doigts lâchent enfin ta peau rougie, bientôt bleuie. On a encore le droit de s'inquiéter à ce que je sache, marmonnes-tu en détournant les yeux. Pourquoi faisait-il comme si vous n'en aviez pas le droit ? Comme s'il n'était pas important ? Comme si il n'était pas important ?

Tu attends, sans bouger, à côté de la porte. Il n'est pas question que Yori reste seul s'il sort de l'infirmerie, alors tu attends simplement que monsieur Okumura lui dise quoi faire. En espérant que Yori fasse ce qu'on lui demande.

hrp : kuro omg tu peux pas dire ça comme ça je jglerjglregjl