it's not gay if you say no homo

La perspective de retourner au château l’avait gorgé d’un irrésistible bonheur - à la fuite du domaine familial (du père), Ange avait déversé dans les latrines une partie de son repas, sous l’excitation et l’overdose de cachetons entre ses crocs. C’était une routine à laquelle il se surprenait à s’habituer, mais pouvoir enfin la briser crevait son coeur de tant d’appréhension que d’engouement.
Le changement des chambres, quant à lui, avait mêlé la hâte au bouleversement - il s’accaparait Nael et toi, mais perdait Yuichi et Rin. Satisfait et écoeuré, il se consolait en cerclant régulièrement leurs tailles de ses bras maigrelets, se lamentait de ne plus pouvoir dormir à leurs côtés et plaquait d’humides baisers contre leur nuque, conscient qu’on le haïssait chaque fois qu’il s’y mettait.

Ce soir, pourtant, nul chagrin pour assombrir son ciel. Angelot battait paresseusement des ailes à tes côtés, hissé sur un nuage de coton et d’anesthésie - les insomnies cédaient leur place à une quiète torpeur, un stade d’ébriété qu’il subissait chaque fois que l’alcool se faufilait dans son organisme. Quelques verres, la fatigue et puis, d’un coup, l’envol. La poussière de fée n’endormissait jamais que ses sens, et encore ; elle le poussait à croire qu’il était plus grand, plus fort, plus puissant. Sous son influence, Ange ne voyait pas la moindre limite - l’alcool, de son côté, délaçait ses épaules et ourlait sa lippe d’un sourire mièvre.

Verre soulevé dans ta direction, il vide le sien et savoure l’aigreur, la brûlure de sa gorge et l’engourdissement de ses membres. C’était vraiment la meilleure idée. Ce semestre Masa, il sera pas comme les autres. Un soupir, et l’adolescent s’échouait à tes côtés - ou, plus précisément, laissait sa tête tomber contre ta cuisse. J’vais bouffer les étoiles. Il divague, et son esprit à mille lieues de son corps rongeait des rêves qu’il n’osait encore nommer. Dis-moi à quoi tu penses. J’ai pas entendu tes conneries pendant un mois, c’était trop. Le shot rempli, et puis vide - à défaut de la voie lactée, il s’abreuvait de trop de saké.

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Si tu bouffes les étoiles, dis-moi si la lune a un goût de fromage. Les yeux clignaient, à moitié aveugles. C’est stupide comme théorie. Y a pas que le gruyère qui a des trous… Y a aussi, euh, la lune. Et la Terre, un peu. Mais la lune - la lune goûte le bonbon. Genre, une couille de Mammouth immense, qu’on finirait jamais tout seul. Et les trous, c’est ceux qui ont tenté de tricher. Soupir, le regard tourné vers un ciel que le toit obstrue - il le fixait, désespéré de l’annihiler de la force seule de ses iris. On croque pas dans une boule de Mammouth sans s’y casser les dents.
Peu lui importait le goût de Sélène, si tant était qu’elle lavait de sa bouche l’amertume de n’avoir pu dire la vérité à Clovis.

C’était l’appel de l’oubli, en un sens ; l’idée qu’à la moindre poussée, Ange ploirait en roseau trop flexible, emporté dans la brise que t’avais jeté sur lui. Et c’était l’influence facile, se dire qu’il avait acheté cette bouteille pour toi, qu’il la vidait pour te faire plaisir - quand, en toute franchise, l’inverse paraissait plus plausible.
Tu déblatérais quelque débilité et lui ricanait dans un acquiescement absent, le crâne saturé de trop de brouillard pour grappiller les mots compliqués de tes discours anarchistes. Oui oui, tyrannique académie, quelle horreur oulala Masa nous sauvera-t-il de notre mort ? Dans sa tête, en cet instant, t’avais des allures de super-héros. On fera un film sur toi, et il aura quatre suites plus minables les unes que les autres. Mais le premier, l’original - il allait être beau. me teindre les cheveux et… finir ivre. Deux bons objectifs. Le second va être vite vu, et le premier… Fais-le. j’peux t’aider, si tu veux. J’ai jamais teint quoique ce soit, mais j’suis sûr qu’un sort fera l’affaire !

Ton verre rempli et sa baguette déjà dégainée dans un éclair de génie, le sourire trop large pour avoir l’air rassurant. Je pense à… te teindre les cheveux, et écouter de la musique. Mais ce putain de château me casse trop les couilles pour ça, et je crois que mes doigts sont trop gros pour jouer du ukulele. Il tirait un filet rouge vif du bout de bois, la magie s’en écoulant si paisiblement qu’elle l’émerveilla un court (trop long) instant. Il enchaînait les verres sans réellement faire attention, et hoquetait déjà. Je sais pas si je trouve ça bon ou pas. C’est sec, comment un liquide peut être sec Masa ? L’alcool a zéro putain de logique. Le monde tournait trop vite et Ange trop lentement - c’était une sensation à laquelle il était trop peur habitué, ses muscles frémissant dans une tentative mort-née de se redresser complètement. Eh. Tu crois qu’on sera comment, dans dix ans ? Moi j’pense que tu seras un paysan. Genre, avec le chapeau, et les, euh, les champs de riz là- comment ça s’appelle- riveraies ? je sais plus. Mais tu seras ça, et tu m’accueilleras chez toi quand j’en aurai marre de la célébrité qui me tend les bras. Pas vrai ?

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J’aime pas le fromage. C’était murmuré comme une confession, et il roulait sur le ventre après un verre pour s’écraser la tête dans un oreiller. Clovis aurait pas été fier, il se dit un instant - faux frère n’appréciait même pas la spécialité de son beau pays. Enfin, le fromage à trous, là- gru quelque chose. Celui qui aurait le goût de la lune, sûrement. Soupir déçu, l’idée qu’elle ait une saveur aussi répugnante étouffait ses rêves dans l’oeuf. Et j’pense que j’aimerais mieux les étoiles, t’sais. C’est petit, ça brûle, ça doit avoir le goût d’un piment, ou d’un pizza roll qui sort du four. Merde, il avait faim. Merde, j’ai faim.

Désolé, Ange, mais je pense que si tu m’aides, je vais finir métamorphosé en canard. Tu riais et sa lèvre inférieure s’imposait dans une moue puérile, à moitié camouflée par son coussin rose pâle. Pff, au moins ça changerait du connard que t’es ! Et la langue était tirée, à l’apothéose de la maturité Ange n’osait même pas soulever son majeur sur un doigt d’honneur. Les limites entre taquinerie et méchanceté semblaient brouillées, dans toute la fumée que l’alcool créait sous son crâne.

Des plaintes, encore - et puis sa situation étalée sur le tapis, avec la délicatesse de quelqu’un qui n’a pas toutes les cartes en jeu. Ange rit, fébrilement. Non, plus maintenant. Je peux pas changer aujourd’hui, ni demain. Enfin, c’est pas moi qui décide. C’était aux vitamines de trancher ; il se réveillait chaque jour avec l’allure de Martin Matin, toujours la même gueule mais des détails changés. Cheveux métamorphosés, le grain de peau légèrement plus sombre ou foncé, les yeux qui oscillaient d’un bout à l’autre du spectre - sans maîtrise, il se contentait de voir des trucs qui n’existaient qu’au fond de sa tête.
Alors, on passait à autre chose.

Ton oncle est peut-être débile. Sans vouloir être méchant, qu’il ricanait déjà. Dix-sept ans, c’est déjà trop grand. Tu devrais arrêter de grandir, attendre que je te rattrape, et là, on verra. Et c’était antithétique - lui n’aspirait qu’à remonter le temps, à couper l’herbe sous le pied de Chronos pour l’empêcher d’ajouter des rides à son visage de poupée. Enfin, non. J’ai pas envie de grandir, ça a l’air chiant d’être adulte. Surtout si on dit des trucs aussi cons que ce que t’a dit ton oncle, hmpf. Le verre vidé, encore. La bouteille commençait à souffrir de votre assaut, et sa vision lui paraissait mouillée. Est-ce que je suis en train de pleurer ? Pensée balancée tout haut, mais une main à la joue confirmait que non, y avait pas de sanglot pour gâcher la soirée - juste un sourire, benêt.

Oui, paysan. Tu sais ce que c’est, hein ? Est-ce que t’es devenu stupide, Masa ? Il attrapait déjà son instrument, maudissant ses doigts à l’allure trop boudinés. Je suis un putain de virtu- vurti- vitruose ? Bref, c’est moi, ça. Picasso, t’sais. Genre, celui qui était sourd, et qui a composé quand même ! Ou alors c’est Mozart ? Ah, je sais plus. Ces étrangers, ils sont compliqués. Wolfgang Amadeus Mozart - t’imagines t’appeler comme ça ? Quoi que, Masashige Shigemori, bah. C’est pas fou non plus. Le rictus tordait la lippe de sa vicieuse courbe, et l’angelot s’attelait déjà à gratter tendrement les cordes de son doux ukulélé. Tes rêves déballés sur le lit, en cascade qu’il gobait distraitement ; il riait, lui aussi.

Un soupir, léger. Bel esprit. Si on avait les deux, on pourrait jouer à la 64 ici - le nouveau mario, j’ai toujours pas pu y toucher, ça m’soûle. On pourrait montrer aux sang-purs comment c’est cool, les trucs moldus, et ils arrêteraient de nous casser les couilles avec leurs conneries sur le sang. Tu sais que mon père est un cracmol ? C’est un sang-pur, et il a moins de pouvoir que- que genre, Rin ! Et pourtant, il était là, à louer la filiation pure de sa lignée après l’avoir entichée d’un sang-mêlé. Hypocrites, qu’Ange soupirait piteusement. Et soudain - une idée. On devrait changer le monde, Masa. Toi, et moi, et Nael, et Mikado, et même Yuichi. A nous cinq on peut faire quelque chose, non ? Genre, un coup d’état - j’suis sûr que les sorciers, ils ont pas beaucoup de force. Trop occupés à jouer avec leur baguette, un bras plus épais que l’autre. Grimace dégoûtée, et puis, on essaye de voir qui boit le plus, le plus vite ? J’parie que j’te bats trop facilement.

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Comme tu le sens, reste un gamin, mais viens pas te plaindre quand Yume et moi ont ira au bar puis en club sans toi, ah ah. L’inspiration sèche, souffle coupé par l’ampleur de la trahison - non, vous oserez pas ! Enfin, Yume, il me laissera pas ! Et en le disant, au final, le soulagement. Ouais, il le fera pas. Il m’aime trop pour ça, avec un sourire de demeuré. Puis d’abord, j’ai de quoi m’amuser.. m’amuser mieux que tes clubs à la con. Demi-mensonge ; c’était pas à lui, et ça n’allait pas l’être. C’était aux adultes, aux Ueda qui s’assuraient un avenir là où lui dévorait le présent comme un charognard.

Ton oncle est nul, Masa. Mais c’est pas grave, parce qu’un jour t’épouseras un de mes cousins, et t’auras mon oncle à la place. Et lui, il est trop cool ! La tête se hochait pensivement, comme si ça coulait de source - et puis, tu sais, Masashige Ueda, c’est toujours mieux que ce que tu te traînes là. Rictus de chacal, les crocs dévoilés avant un nouveau verre vidé.

Nous aussi, on passe notre temps à se masturber. On est pas plus différents, hein. Et là, il décrochait. Reste du discours noyé sur une pulsion, son attention déviée en ricochet sur le lac de vos pensées ; Masashige. Je rêve, ou tu viens de sous-entendre que tu check combien de fois on se masturbe. Comment il aurait pu savoir que vous le faisiez aussi souvent que les sang-purs, autrement ? Plutôt que de s’offusquer, Ange rampa jusqu’à toi dans une allure qu’il voulait lascive - mais qui, entrelacée de l’ivre maladresse, paraissait surtout fatiguée - et laissa sur ses lèvres se peindre le plus vicelard de ses sourires. Fallait le dire plus tôt, si c’était ça qui te chauffait. C’est pour ça qu’on boit, avoue-le ! T’essayes de détendre l’atmosphère… Ricanement animal, les mains posées sur tes genoux pour se hisser à ta hauteur - il songeait à s’y installer. Je suis choqué, sale pervers. Et j’ai pas écouté la fin de c’que t’as dit, c’était pas intéressant. Du coup tu bois, ou t’abandonnes ?

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Tu dis ça seulement parce que tu n’es jamais allé en club. Pincement de lèvres. Non. Je dis ça parce que j’ai pas envie que t’y ailles. Il gonfle les joues, croise les bras - y a que des moches là-bas, et dangereux en plus ! Quelques cousins ont chuchoté leurs aventures comme des histoires d’horreur, et puis, comment t’épouseras une Ueda si tu te fais kidnapper dans un bar ? Et insulte pas mon nom sinon je vais espérer que les fantômes de mes ancêtres viennent te hanter.

Il soupire, échoue, chaque fois. Je dis juste, le mien t’irait clairement mieux. Masashige Ueda, c’est joli. Enfin, Shigemori aussi, je suppose. Mais il t’éloigne de moi... Geignement ridicule, Ange s’enfonce - tant pis. Ah, misère, mon hobby secret a été percé. C’était pas comme ça qu’il voulait que ça se passe, et à son statut virginal, ses cheveux s’embrasent. Aucune réponse.

Tu sais que je vais te mettre une raclée si tu tiens vraiment à faire cette compétition ? Pour une fois - bancale - il réfléchit, et hoche la tête, recule un peu. C’est vrai, et j’ai pas envie de perdre, sinon tu vas t’en vanter tout le reste de l’année. Et celle d’après. Pourtant, il boit ; à chaque verre le saké paraît meilleur, à chaque gorgée sa trachée pleure un peu moins. Mais du coup, si on fait pas ça, on fait quoi ?

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Plus tard j’te dirai que je savais pas ce que je faisais, que c’était l’alcool et que ce soir t’avais l’air un peu plus beau que d’habitude. J’te le dirai un sourire aux lèvres parce que c’est pas un mauvais souvenir—c’est même plutôt tendre quand on y pense et derrière y a que de l’affection et un peu de tension (mais là c’est pas ma faute, c’est celle de ton rire).

Pour l’heure je regarde ta pomme d’Adam quand tu déglutis autour d’une gorgée d’alcool, quand tu parles de mon “envie de t’épouser” et que sur l’instant, elle paraît presque juste. Pour l’heure y a ta main dans mes cheveux et un mauvais sourire sur tes lèvres (j’ai envie de le défaire avec les miennes). Alors je me redresse et je sens que Machiavel repeint mon visage, et tu sais quand ils pensent aux kitsune ils oublient souvent que c’est des renards parce qu’on est mignons et qu’on a l’air aussi vulnérable qu’on est en réalité invincibles—mais toi Masa, est-ce que t’oublies, ou est-ce que tu me laisses faire ?

Parce qu’aujourd’hui c’est moi le prédateur quand j’ai les crocs dévoilés dans un rire et que je grimpe sur tes genoux, que je vais le plus vite possible pour t’empêcher de m’arrêter ; j’ai noyé la raison dans un verre, et celui que je vide d’un trait finit de m’encourager. T’as peut-être pas tort. Tu m’épouserais ? Mais je veux pas entendre de refus ce soir alors y a une main à ton menton et l'autre qui tire tes cheveux qui t'incline à ma guise et mon souffle à ta joue et—enfin, quand l'air s'électrifie un instant—ma bouche contre la tienne.