L’infirmerie n’offrait jamais un sentiment d’apaisement. Elle ne lui était plus étrangère, mais gardait cette atmosphère stérile, peu vivante et dénuée d’affection. De plus, l’omniprésente odeur du tabac la dérangeait. Fréquemment, il fallait s’y résigner, accepter d’y crever de douleur en espérant que la potion annihile complètement la migraine — et non pas qu’elle ne fasse que l’atténuer — mais lorsque le maux n’était encore que bourgeon, et que par un hasard, dans les couloirs, elle rencontre ton regard en disant long sur tes intentions, elle préférait te suivre que de terminer dans cette maudite antre.

Sincèrement, elle ne saurait dire si elle t’appréciait : les rumeurs de comptoir disent que tu te perds dans trop de bras, que tu vis trop jusqu’à en oublier les saveurs élémentaires de ton existence. Parfois, ça glissait dans le creux de tes mots, ce grand néant qui t’habite, mais tu proliférais des réflexions intéressantes, tirées par les cheveux, et tu avais une rétorque vive à ses grandes questions poignantes.

Vous vous étiez rencontré une journée où le printemps s’amorce vers l’été, tu l’avais interpellée au lieu de simplement la laisser continuer son chemin, lui proposant un de tes vices qui, déjà, lui avait été donné de rencontrer. A la demande de son nom, elle répondit et vous découvrirent réunis par un lointain passé.

Et ne restait de votre besogne que des yeux, un peu rougis — toutes traces et odeurs effacées — perdus sur les étalages du bric-à-brac des adultes. La conscience anesthésiée, shootée à l’aise, Benhime se sentait bien — défendue de ses tortionnaires migraines.

Tu répétais son prénom en boule de neige, de manière si familière, elle s'en fichait presque — mieux valait l'affixe que le suffixe. Sur ta langue roule la tumeur maligne, récidivante au sein de chaque bouche, même la sienne. Ce satané dôme, au cœur de chaque discussion, il avait remplacé le mot terroriste de la bouche des gens. Il arrivait, qu'à sa pensée, des pleurs dévalent le long de joues, mais pas en ce jour. Aujourd'hui, elle se se foutait presque de tout. J'espère que non. et elle endossait à son tour le rôle dont son promis s'était vêtit pour elle, une semaine auparavant, de l'auditrice des vagues à l'âme dus à cette maudite sphère ?

Nous avons été crées pour vivre sous la lumière des cieux. sinon les dieux ne vous auraient point placé sur terre, ils vous avaient créés pour écumer les sols à perte de vue et dévorer les horizons de rêves. Nous finirons bien par retrouver notre place. Benhime se réconfortait de ses propres mots, enserrée par une douce défonce, une envie de flotter flotter flotter à travers ce dôme, au-delà des mers, retrouver son monde.

Sa foi ne bougeait pas — qu'ils immergent ou émergent — cette volonté ne revenait qu'aux dieux, voire au descendant du soleil, chef de vous, mortels. Il ne te reste plus beaucoup d'herbe, ne t'embête pas à détruire ses effets avec des pensées pareilles. parfois, il suffisait de simplement s'abandonner au moment.

Tenjin, l'entendait-il ?
Entendait-il les milles prières que le clan formulait à cet instant, l'implorant de libérer non seulement le siens — mais tout les enfants de l'île ? ou peut-être ne fallait-il pas, peut-être aviez vous été punis, mais de quoi ? Les réponses viendront, dans la vie ou la mort, mais sa foi ne s'ébranlera pas. Les Déités, l'Empereur, il n'y a qu'eux qui possèdent l'âme de Benhime. Un Sugawara naît pour eux et mourra pour eux, même exilés par ces derniers, ils ne s'empêcheront de chanter leur louange, leur divin, leur absoluité.

Un blizzard de questions assiègent tes esprits, Yuuki, préférable au précédent qui provoquait des avalanches dans ton cœur. Votre propre herbe, ah, quel doux rêve, mais le directeur vous laisserait-il seulement faire ? Benhime refusait de finir collée à vie, de recevoir une place attitrée aux heures d'arrêts, c'était trop bête — son temps lui était trop cher pour finir dans une geôle. Il me semble que les douzièmes années apprennent un sort qui permet d'accélérer la pousse. L'arête du nez grattée du doigt, l'esprit vaporeux tente d'invoquer d'autres idées, les bras se croisent au son d'un hmm et, au bout du compte, quelque chose lui revient Enquiers-toi auprès des jardiniers ?

Peut-être. Les pensées, elle les oublie. Du début d'une à son cheminement, le sujet se dissipe et les contemplations dévient. Les sens gentiment troublés, le fort intérieur ne s'ouvre qu'à de douces pensées, un peu poignantes. Si tu trouves- comment ne pas se- faire attraper. La phrase désarticulée, déboussolée par la défonce.

Grimace.
Envers toi qui la touche si facilement, habitué à vouloir ne faire qu'un avec les chairs. Ce contact créé une myriade d’embarras sous son thorax, la gêne enserrant son cou. Et toi, toi, tu ris juste à faire ce qui te paraît normal, mais Benhime, ça le contrarie d'être touchée avec tant de légèreté—quand sa chair n'a qu'en mémoire les caresses et le toucher d'un seul homme. Alors sa jambe s'enfuit de toi. Qui t'a permis de prendre tes aises ?

Le minois grognon, une moue serrée doublée de sourcils froncés, tu avais mis la pagaille dans son euphorie. Ne refais plus ça. les narines expulsent un soupir, le crâne se laisse un dégringoler en arrière et le regard se soumet au spectacle des hautes, si hautes étagères. Une immense collection de bibelots potentiellement dangereux, à quoi bon avoir peur—qu'eux ou le dôme s'écrase sur vous, qu'est-ce que cela changeait.

Tu ris, perdu dans ta petite bulle, barrière contre les maux prêts à transpercer ta chair au moindre pas dehors. Tu es étrange et bizarre, Yuuki, un personnage insolite — certainement différent sobre — et cette singularité si propre à toi est ce qui la captive et rebute. Il parait que certains Sugawara ont la même attitude que toi, mais elle n'en connaît que les rumeurs sur ces adultes. Je ne boude pas, je te dis juste de ne pas faire ça.

Proches en âge et néanmoins si différents, séparés par vos éducations et vos environnements. Tu n'es qu'un électron libre, Yuuki, tu n'as à te soucier des conséquences, libéré du collier de l'étiquette et du sang. Elle aussi est particulière, dissemblablement, parmi son rang. Pourtant, Benhime n'aimerait pas être toi et, sûrement, tu n'aimerais pas être elle — heureusement, sinon vous ne seriez capable de tenir dans la même pièce ensembles — mais quelque part il y a de l'envie. Toi avec ton caractère intéressant et surprenant, à agir sur tes envies et instincts.

Les yeux rivés vers le haut, le cœur se délecte de l'instant de silence.

Benhime ne savait faire sens de ta nécessité des intérieurs, à te planquer dans les entrailles du palais — le crépitement de ta phobie y résonne. Qu'est-ce qu'une peur réelle, matérielle quand les siennes, hyalines, empestent son esprit. Qu'est-ce qui te propulse à constamment mendier chaleur et moelleux des corps. Est-ce pareil à ses frayeurs d'inanité ou est-ce un tourment différent. La réserve n'avait aucun charme à ses yeux, si bon terrier soit-elle, mais tu haïssais la nature aqueuse de vos nouveaux cieux et il fallait s'y résigner. Au final, vos rencontres ne sont qu'un échange : ton herbe contre sa compagnie.
Les bons comptes font les bons amis.  

Le moment était de tout repos, quoi qu'il en soit. Accalmie de l'intellect, la machine en pause ne produisait de pensées, elles ne faisaient que s'évanouir dans les limbes ; le carpe diem se savourait. Le sternum pour reposoir des mains, l'énergie émolliente créée par les placides soulèvements de poitrine se diffusait en elle — bienheureuse, Benhime appréciait ce présent improductif. Cette lugubre réserve est devenue étrangement berçante. et le plafond se pare de formes imaginaires, auxquelles on ne donne aucune réalité. Elles ne font que défiler en songes ou abstraction ; peut-être ne sont-elles que mirages que du délassement

Compliqués ? Et sa gorge riote, le timbre altier, de ton reproche. Une commissure se relève un peu, les arcades sourcilières se haussent et les pupilles se glissent à leurs extrémités aux fins de réunir vos regards. Ils sont simples, ce n'est que la défonce qui les rend tarabiscotés. Elle se moquait gentiment de toi avec son grand adjectif hors d'usage, il te fallait concevoir que son environnement fit emmagasiné son vocabulaire en riches termes. Benhime aimait tordre le langage à sa guise, mais n'estimait guère les pompeux laïus, ignobles masturbations linguistiques pour ne rien dire et chercher victoire dans l'utilisation de beaux mots.

Et toi, Yuuki, tu réclames une rassurante confidence, une douillette allégation Oui, Yuuki, on s'amuse bien, toi et moi, dans cette obscure réserve. Outre le complément circonstanciel, ses propos ne contenaient nulle ironie ou supercherie — si aucun égard envers toi n'habitait ses émotions, sa silhouette se serait évaporée en même temps que l'incriminante fumée. Vous vous étiez fumigés les méninges, prescription personnelle contre vos afflictions, et profitiez d'une accalmie de votre anxieuse vie sous un dôme.

Tu te soucies constamment d'être aimé, elle voudrait te le blâmer, mais n'est-ce pas une variante de son immuable frousse ? Mais les sourcils se froncent, peu désireux de cogiter à cela, d'arracher une nouvelle fois la plaie et d'inutilement se saigner sans cure. Quoi qu'il en soit, elle s'assied, fatiguée de fixer le plafond. Ne sais-tu pas qu'à moins d'en être contrainte, jamais je ne passe du temps avec ceux qui m'insupportent ?

Les omoplates se roulent et se détendent sous leur craquement. La nuque en fait de même, la relâche se complète ; la carcasse, ramollie, s'époussette de ses milles raideurs. Sa piètre activité sportive n'aidait guère. Ta voix crâneuse l’extirpa de ses considérations sur sa forme physique, elle rigolerait presque à ta moue rechignée et tes sollicitations d'obtenir toujours plus. Tu pauses ta phrase, à perdre ton attention quelques instants, et renvoies une question. En partie, oui, mais- je pourrais le faire seule si je t'en achetais tout simplement.

Un genou se lève, les mains s'y pressent et forment un socle accueillant son menton. La gorge aspirait ses joues, signe d'une petite réflexion, le visage hochant un peu. En revanche, si je te méprisais, je ne voudrais même pas consommer une seule herbe qui t'appartienne. Benhime ne s’essoufflait point à haïr à tout va — trop exténuant — et préférait offrir le mur de son indifférence aux déplaisants. Un animal social comme un autre, son cœur n'avait rien du marbre composant par défaut ses airs, simplement un ressenti différent.
Elle aimait la solitude dans une certaine limite ; et aimait la compagnie des autres jusqu'à une certaine dose. Un équilibre qu'il fallait entretenir pour qu'il n'abuse d'une tendance à l'autre et que les flots de l'inconfort ne l'immergent.

Tout simplement.

Tu devrais essayer d'en manquer. Et te heurter au cru panorama du réel, lequel tes fumées ont métamorphosé dans une urgence de sécurité. Il paraît que ton âme se compense à travers les excès faisant froncer les morales — que tu as la débauche pour bouée de sauvetage. Le trop garnit tes vanités, gaves-toi de mirages ; le vrai visage du paysage demeure immuable. Mais, finalement, tu n'es qu'un parmi d'autres avec une méthode qui t'est propre.
Tous ne veulent qu'un échappatoire, même les soi-disant plus coriaces.

Si ta riante remarque en froisserait certains, Benhime l'accueille sans grande offense — elle nierait néanmoins sur la demi-mesure : son cœur ressent souventefois des tiédeurs. Si ardeur de l'érudition et froideur de ses failles se faisaient omniprésents dans ses cénesthésies, ils seraient un châtiment. Tout est éphémère, un va-et-vient d'oublis qui font surface ou d'obsessions qui font naufrage. Que je les méprise ou qu'ils m’indiffèrent, quelle différence, je ne côtoie que les personnes m'apportant quelque chose de concret ; je hais le superficiel. Elle n'aimait s'entourer que d'affection, rire, joie philosophies, un refrain que chacun connait.
Pourquoi s'éreinter sur des connections qui ne fonctionnent qu'avec force, elle déteste tant s'obliger à ce qui ne lui plaît pas. Feindre d'être, voilà tout ce que Benhime abhorre — si tourmentée d'exister qu'une vie est bien trop courte — particulièrement lorsque nul ne sait à quelle heure sonnera sa fin.