Les nuits sont longues, et noires. Trop sombres pour que tu puisses t'allonger et fermer les yeux sansa voir l'impression de sombrer. Tu préférais quand tes insomnies étaient causées par le souvenir des lèvres contre les tiennes, d'un visage pâle et des cheveux blancs dégoulinants d'eau froide, d'un regard trop profond, qui venait de vriller les entrailles. Tu détestais les nuits blanches quand elles avaient son visage, mais désormais, tu ferais tout pour les retrouver.

C'est les membres tremblants à cause d'un cauchemar que tu quittes ton lit, Yukio te suivant immédiatement après quelques miaulements mécontents. Tu récupères une veste trop grande que tu enfiles, puis tu quittes ta chambre, ton chat glissant entre tes jambes. Il se dirige de lui-même vers la salle commune, sûrement déjà installé sur un des nombreux fauteuils ou canapés. Puis c'est à ton tour de rejoindre la pièce plongée dans une lumière à peine tamisée. Mais tu te stoppes en plein milieu de la salle commune, reconnaissant la silhouette de Takashi. Tokoyami.

Tes bras entourent ton corps sans même t'en rendre compte, mais tu ne veux pas faire demi-tour, tu étouffes dans ta chambre. Alors tu le rejoins sur le canapé, t'installes à côté de lui. Assise en tailleur, tu ajustes la veste à capuche sur tes épaules alors que Yukio vient s'installer dans le creux de tes jambes. Tes doigts glissent dans son pelage gris et blanc et le voilà déjà en train de ronronner.

Tu laisses le silence s'installer quelques secondes avant de murmurer, comme si tu avais peur de réveiller quelqu'un : Du mal à dormir ? Peut-être aurais-tu du simplement t'asseoir un peu plus loin, finalement. Après tout, Sawa, tu l'évites depuis cette fameuse journée au lac.

Parce qu'il avait gagné.
Tu avais baissé les armes.
Et il t'avait conquise.

hrp : je mets ça le 12 septembre dans la chrono ? j'espère que ça te va glrejhgreh des bisous tout plein d'amour

Tu comprends son regard, ses réactions, tu avais eu les mêmes, pendant longtemps. Tu aurais du avoir les mêmes. Mais quelque chose au fond de toi s'agite, te force à aller vers lui. Tu détestes ça. Pourtant, il te répond. Froidement, mais il te répond. Il te montre son livre et tes lèvres lâchent un léger : Oh. Désolée. Tu n'avais pas envie de le déranger dans ses études. A vrai dire, tu détestais être dérangée dans tes études, et si tu avais fait un peu plus attention, tu ne l'aurais pas approché.

Tes doigts continuent leurs allées et venues sur le pelage de Yukio, s'arrêtent quand il reprend la parole. Tu ne pensais pas qu'il allait continuer la conversation. Tu ne pensais pas que tu allais la commencer non plus. Alors tu mets un sourire un peu hautain, un peu supérieur, un peu joueur sur tes lèvres et tu lui jettes un regard en coin : Mais parce que je ne pense qu'à toi, voyons. Ça sonne si faux, même à tes oreilles.

Tu détournes ce visage que tu n'arrives pas à garder de marbre. Pourquoi n'arrivais-tu pas à le garder de marbre ? Tu avais été si douée jusqu'ici. Mais avec ce qu'il s'était passé à Kyoto avec Rin. Ce qu'il s'était passé dans l'école en juillet. Et encore une fois ce qu'il s'était passé le weekend dernier, tes nuits devenaient de plus en plus sombres.

Tu pousses Yukio de tes jambes, te lèves et reprends : Désolée de t'avoir dérangé en pleines révisions. Je vais retourner dans ma chambre. Bonne nuit, Takashi. Tu ne le regardes pas, tu n'oses pas vraiment. Tu ne t'attends même pas à ce qu'il t'arrête, pas avec ce qu'il s'est passé, pas avec la façon dont tu l'as évité depuis cette journée au lac.

Tu te sens faible, Sawa.
Tu n'as pas envie qu'il te voie dans cet état.

Yukio s'est installé plus loin, sur un fauteuil, et tu le regardes s'étirer, tourner en rond un instant, se poser. Takashi reprend la parole, te parle, t'interroge. Tu te crispes un peu, tout ton corps se tend, et tes ongles viennent s'enfoncer dans ta paume. Tu te retournes alors, pour lui faire face, pour l'observer. Takashi est comme toi. Froid. Distant. Tu passes une main dans tes cheveux, les rejettes en arrière sans vraiment y penser, dans un geste nerveux, peut-être, sûrement. Tu étais rarement nerveuse ou gênée. Ce qu'il se passe à l'école. C'est ce qui m'empêche de dormir. Tu es toujours debout, alors qu'au fond, tu aimerais juste savoir comment réagir à tout ça, comprendre pourquoi tu ne peux pas y faire abstraction comme tu l'avais fait auparavant, comme tu avais réussi à le faire pendant les vacances.

Ton regard se perd sur le bras de Takashi, sur les doigts mécaniques. Tu te souviens de les avoir enlacé, la semaine précédente, et tes joues en rougiraient presque. Presque. Maintenant que tu y penses, tu n'arrives pas à dormir alors que tu n'as même pas été touchée personnellement par les attaques. Tu te sens mal de la façon dont tu t'es comportée avec lui, maintenant. Ce n'était clairement pas la bonne façon de le faire réagir. Tu avais eu une réaction, mais tu n'aurais pas du, surtout sans le connaître.

Tu serais de ceux qui auraient besoin d'être secoué. Mais lui... lui tu ne le connaissais pas, tu ne le connais toujours pas, à vrai dire. Tu soupires, passes de nouveau une main dans ta chevelure avant de te laisser tomber de nouveau sur le canapé. Ta nuque vient se caler sur l'appuie-tête et tu regardes le plafond sans rien faire pendant un moment. Hésitante. Tu ne l'as jamais été. Un soupir, encore. Je crois... je crois que je me suis noyée. Et tu fais tout, tout pour ne pas le regarder.

Il ne répond pas immédiatement, les secondes s'écoulent avant qu'il ne le fasse. Takashi se veut rassurant. Takashi. Son prénom dans tes pensées ravivent à chaque fois des souvenirs que tu aimerais oublier. Parce que tu ne peux pas penser à ça, pas comme ça, pas maintenant. Parce que tu ne regrettes pas ces baisers partagés, ce jeu, mais tu regrettes la façon dont il s'est terminé, dont tu l'as terminé.

Je ne sais pas ce qui est le pire entre être spectateur ou la subir.

Et c'est un rire qui t'échappe, un peu violent, un peu brutal, un peu moqueur, beaucoup, aussi. Et ton visage se tourne vers lui, quelques mèches de cheveux viennent te barrer le visage et tu réponds, d'un sourire ironique : Ne sois pas si humble. La subir est bien pire. Mais tu lui es reconnaissante d'essayer de te mettre en avant, et de ne pas te mettre en avant lui. Tu lui es reconnaissante de ne pas t'enfoncer plus bas que tu ne l'es déjà, de ne pas te secouer en cette soirée qui pourrait être agréable.

Tes yeux se perdent plus bas, vers son bras qui est posé là, tout proche de toi. Tu n'as qu'à bouger tes doigts pour effleurer ceux métalliques, étirer un peu ta main pour les lier ensemble. Tu t’es noyée ? Et ton cœur palpite. Tu aurais aimé qu'il oublie cette partie-là, qu'il reste sur celle où tu n'arrivais pas à dormir, celle qui pourrait te montrer faible, mais pas tant que ça, juste humaine.

Tes doigts effleurent les siens.
Et tu les retires aussi.

Tu t'es noyée, Sawa, et t'as juste envie de recommencer. L'idée te déplaît autant qu'elle vient faire pulser ton sang plus vite dans tes veines, échauffer ton corps et tes envies. Tu enfonces de nouveau ta nuque sur l'appui-tête, observes le plafond avant de lâcher dans une voix que tu veux taquine : Les métaphores sont trop compliquées pour toi, Tokoyami ? Et tu ne sais pas, si tu es prête à replonger dans le jeu, sans ne plus hésiter.

Et c'est le silence qui s'installe. Et tu restes concentré sur ses derniers mots. Oui, c’est pire, je ne le sais que trop bien. Evidemment, qu'il le sait. Evidemment, que tu le sais. Et te voilà à te plaindre à lui, lui qui a perdu un bras, lui qui a perdu une partie de lui-même, une partie qu'il ne retrouvera jamais. Et ton état, tes insomnies... les vivait-il encore ? Est-ce qu'il faisait des cauchemars ? Est-ce que son bras lui faisait mal ? Est-ce qu'il arrivait à respirer dans un endroit où tu avais l'impression d'étouffer ?

Tu sais, qu'il faudrait que tu t'excuses. Tu le sais, mais tu n'en as pas la force. Accepter tes torts est une chose, le montrer aux autres en est une autre. Et ton regard se perd de nouveau sur le plafond, sans que tu ne puisses y faire grand chose. Tu y es arrivé, avec Rin. Tu as réussi à te montrer faible, à montrer que tu tenais à lui. Alors peut-être faut-il que tu lui montres que tu peux être humaine, Sawa, et pas simplement cette impétueuse et horrible personne. Tu n'es pas si horrible, en réalité.

Ton regard voyage sur son bras métallique, encore, puis tu te redresses en soupirant, abandonnant le dossier du fauteuil avant de te tourner vers lui. Assise en tailleur sur le canapé, en face de lui, le dossier sur le côté, ta main se pose sur la sienne, et tes doigts serrent les siens. Tu cherches les mots. Tu aimerais lui présenter tes excuses, lui dire que tu es désolée d'avoir agi si brutalement, d'avoir été si violente avec lui. Tu aimerais lui dire que tu n'aurais pas du, mais c'est dur, de trouver les mots sans passer pour la faible petite personne que tu es.

Tu détestes ça.

Tu observes vos doigts que tu as liés. Une inspiration profonde, avant que ton regard ne parte à la recherche du sien, le trouve. Je ne m'excuserai pas pour ce que je suis. Tu ne t'excuseras pas d'être violente, brutale, froide. Non, tu ne t'excuseras pas de ça, Sawa. Mais je sais quand j'ai fait des erreurs. Et je n'aurais pas du agir de cette façon. Je ne demande pas pardon pour avoir fait ce que j'ai fait, je dis juste que j'aurais du le faire différemment. Et je suis désolée pour ça. Tu n'avais pas besoin de ça. Et tes doigts lâchent les siens, ton regard se détourne et tu retournes t'affaler à l'autre bout du canapé, le dossier sur le côté, là où tu cales ta tête, l'accoudoir dans ton dos. Et tu instaures une distance, Sawa, entre lui et toi.

Et c'est peut-être mieux comme ça.

Il accepte tes excuses bancales, et ce serait mentir que de dire qu'un poids ne se libère pas de ta poitrine, lorsqu'il le fait. Tes iris le détaillent, et tu restes silencieuse. Tu ne bouges pas pendant de longues secondes, seule ta poitrine monte et descend au rythme de ta respiration calme. Une mèche de cheveux vient barrer ton visage, mais tu ne prends pas la peine de la rejeter en arrière. Tu le regardes, lui, cet adolescent qui semble avoir tout vécu, dont la dépression t'a rendue malade.

Si tu étais honnête avec toi-même, Sawa, tu dirais que c'est ton empathie, qui t'a contrôlée, c'est ton empathie, qui t'a faite aller vers lui. Mais tu ne sais pas comment parler aux gens sans être hautaine, sans te sentir supérieure, sans les regarder de haut. Et tu te sens faible, ce soir. Et tu aimerais retrouver l'étreinte d'il y a plusieurs jours en arrière. Et tu aimerais retrouver la chaleur de son corps. Et tu aimerais retrouver la violence de ses lèvres. Tu te sens faible, ce soir, Sawa, et tu n'aimes pas ça.

Tu t'es noyée.
Seule.
Tu t'es noyée.
Sans qu'il ne se noie avec toi.

Tu te redresses soudainement, abandonnant le canapé, appelant Yukio pour retourner dans ta chambre. Ton chat te suit, et une fois dans ta chambre, tu récupères une veste un peu plus épaisse. Tu laisses Yukio s'allonger sur ton lit avant de repartir dans la salle commune. Veste sur les épaules, tu te mets face à lui, lui tends la main et lâches : J'ai faim, un tour aux cuisines t'intéresse ? Et tu ne sais pas, Sawa, s'il va prendre ta main. S'il ne la prend pas, tant pis pour toi, tant pis pour lui. Tu continueras ta route seule. Avec un peu de chance, tu arriveras à remonter à la surface avant de couler totalement.