Les nuits devenues douloureuses, les souvenirs cauchemardesques nouveaux conquérants à mesure que la quiétude de ton somme s'évanouissait. Une torture, de ces repos éreintants qui pavaient d'antan ton rythme—ne les avais-tu jamais revécu ici jusqu'à présent ?
Sept foutus mois, sept foutus mois depuis l'échec de la sortie scolaire, sept foutus mois de tragédies enchaînées, sept foutus mois pour que l'île se métamorphose en enfer, sanctuaire des peurs et des craintes de ne jamais connaître lendemain.

Rien n'allait, alors la nuque s'abandonnait au dos du sofa—la vue du plafond barrée par les paumes se pressant aux paupières. A attraper avec psychose chaque répit, quand les pensées débarrassent le plancher et ne s'installe qu'un vide. Épuisée, à t'en demander la pertinence de ta présence, rongée par les événements, pressée par les incidents.
Une voix brise la torpeur—grand mot pour traduire le désir d'oubli—et un rictus force tes lèvres a lâché un rire, amer, sans que les mains ne se décollent. Ils prendront ça pour une attaque et feront une crise cardiaque. un petit silence Quoi qu'on fasse, ils nous en voudront, alors souris juste, Azrael. et elles glissent, quittent le visage pour dévoiler le petit regard exténué et un sourire voulu rassurant, le sien faisait écho au tien alors tu relances Tu as une mine aussi pitoyable que la mienne, avant de lancer des sorts, on devrait peut-être arranger nos têtes ?

Je crois que je suis fatiguée de sourire. Le visage criblé de crampes rassurantes, tes batteries à plat, l'esprit brouillé de milles préoccupations. J'aimerais qu'ils soient vrais et non artificiels. Tout devient un peu difficile, toi, tu saurais survivre—mais les élèves et leur mental encore candide, pourraient-ils ? Se coucheront-ils, chaque nuit, pour le restant de leur vie, avec le souvenir cauchemardesque de cette année ? Comment vos prédécesseurs auraient-ils gérer tout ça—mal, sûrement, les sentiments n'ont jamais compté par le passé.

A sa proposition, un ah! amusé s'échappe. J'aimerais être sur une plage, un cocktail dans la main, vidée de toutes contraintes. Ton regard se tourne sur Azrael lorsqu'il prend place à tes côtés Mais je suppose qu'avec les événements récents, ce serait difficile de juste profiter de l'instant. et le corps s'affaisse un peu plus contre le sofa communal, conscient de la triste situation dans laquelle vous vous retrouvez.

Des solutions—vous en rêvez. Des lendemains où tout n'était qu'un mauvais rêve—vous les priez. Néanmoins, la réalité et ses responsabilités se tiennent à vos côtés à chaque réveil. Le cruel manque de confiance porté à votre égard par les élèves, leurs milles incompréhension auxquelles vous n'êtes guère en mesure de répondre. Tous les professeurs me paraissaient si vieux quand j'étais étudiante; maintenant, je comprends pourquoi. Tentative de plaisanterie mélangée à une nostalgie haïe. Qu'importe, tu te perds dans tes émotions ces derniers temps.

J'ai l'impression d'avoir pris dix ans. cocasse, venant d'une propriétaire d'un visage immortel—l'âme, en revanche, se ride à grande vitesse. Je crois que la cause de leur vieillesse était leurs idéaux arriérés. et les vôtres, ont-ils à peine progressé des générations précédentes. La situation aurait pu être différente si les pensées se modernisaient, mais au vu de certains de vos élèves, discours pareils à ceux de vos maîtres crochés aux lèvres, tu redoutes la lenteur du changement, voire sa stagnation.

Tu as oublié les factures et la gueule de bois. déblatéré avec beaucoup de sérieux, sans te rendre compte de la consonance comique de tes propos. L'ongle racle l'intersection du pouce et de l'index, les conversations t'échappent, mais tu n'es pas du genre à combler les blancs. Vidée, tu fixes un point invisible, un instant d'égarement—de délivrance des pensées qui assiègent.  

Tu as oublié à quoi ressemble le calme, le quotidien dénué de méfiance—l'avantage qu'offrait la profession d'enseignant à contrario des aurors—où l'on se lève curieux du déroulement qu'apportent les nouveaux jours. Les jours tranquilles derrière vous, voguant sur une mer incertaine, vous rêvez de reposer pied sur la terre infaillible. Une décision ne passe pas le palier de tes lèvres, croulant sous les doutes. Alors tu tournes simplement la tête, offres un sourire à Azrael.

Changer.
Si simple à prononcer, si simple à espérer—et si difficile à effectuer. Il était rare qu'on se repentisse, rare qu'on avoue ses torts, rare qu'on décide de se transformer pour le meilleur. Le meilleur—ah qu'il fait peur—terrifiant que de bondir vers l'inconnu qui promet le bonheur. Tu as changé, Kaede, un peu. Tu as choisi un monde étranger au détriment de celui t'ayant mise au monde, tu as ravalé les séquelles et accepté de donner une seconde chance aux sang-purs ainsi qu'à Mahoutokoro. Notre génération peut rajouter sa pierre à l'édifice, mais le changement nécessite du temps.

Azrael, empli de malice, a rebondit sur ta remarque et tu ris, un peu. Ils s'étaient fait sporadiques sans disparaître complétement. Cette proposition me séduit énormément. Un homme plein d'idées brillantes aux moments opportuns, aussi morose soit-il, il trouvait un remontant, de quoi verser un peu d'allégresse dans les détresses. Je vais chercher de quoi réaliser cela. et quittes momentanément la pièce.

De retour, eau-de-vie sous le bras, des verres glacés pincés par les doigts. Le corps reprend place sur le sofa, tu sers un verre à ton collègue—et ami—puis un pour toi. Les yeux plantés dans le sien, le breuvage levé, tu sonnes le départ A la tienne.