7 juin 1964. C’est le jour de ta naissance. Celui où ton regard a croisé celui de ta mère pour la première fois, dévoilant les rubis qui illuminait tes yeux. Ta maman les a trouvés magnifique, tes yeux. Les voisins et autres inconnus qui t’ont découvert les jours suivants on dit qu’ils étaient effrayants, cette couleur leur rappelant celle du sang et du malheur.

Toute ton enfance s’est déroulée sur ce contraste d’opinion, entre ta mère et les autres. Elle te disait que tu étais son ange ; les autres te voyaient comme un démon.

Ce n’était pas spécialement de ta faute, si les gens pensaient ainsi. Tes parents étaient une famille de sorcier, vivant à proximité d’un village moldu. Ton père était tombé amoureux du calme et de la tranquillité du lieu. Il n’en avait pas profité longtemps malheureusement. Tu ne l’as pas connu, il est mort quelques mois avant ta naissance. C’était un inventeur ton papa, il travaillait sur des objets magiques. Une de ses inventions a mal tournée, il n’en a pas réchappé.
Ta maman aimait te dire à quel point c’était un homme extraordinaire. Elle te contait ses histoires, mais elle était très triste de se rappeler tous ces souvenirs. Tu ne supportais pas de la voir pleurer, alors vous avez décidés de ne plus en parler.

Ta maman ne travaillait pas, elle avait arrêté pour s’occuper de toi. Heureusement, les inventions de ton père avaient rapporté assez pour subvenir à vos besoins durant plusieurs années. Elle a repris le travail quand tu fus assez grand pour rester un peu seul à la maison. Vous n’aviez pas de famille à proximité et elle ne voulait pas que les gens du village vous viennent en aide. Ils n’avaient jamais eu confiance en ces inconnus qui s’étaient installés près de chez eux. Certains disaient que votre maison était hantée, d’autres que ta mère était une sorcière – sans savoir à quel point ils avaient raison. Toi, tu étais le démon, parce que si ta maman était une sorcière, alors son fruit ne pouvait qu’être démoniaque. Les personnes qui s’approchaient de chez vous entendez de bruits étranges et voyaient des objets bouger seuls, d’après ce qu’ils disaient. C’était vrai, bien sûr. Vous cachiez au mieux votre existence de sorcier, mais vous ne pouviez pas toujours prévoir que les gens viennent surveiller votre vie par une fenêtre entrouverte.

Si ta mère te confiait à eux, elle craignait que tu fasses sauter votre couverture.
Si tu as été un bébé particulièrement calme, tu t’es rattrapé par ta turbulence durant ton enfance. Ta magie t’échappait souvent, mettant à mal votre discrétion.

Nous n’avons toujours pas abordé ton prénom, Azrael. Lui aussi marque le contraste sur lequel tu as grandi. Dans certaines légendes, Azrael est un ange de la mort. Celui qui marque le passage de la mort physique à un état spirituel. Celui qui aide les personnes à surmonter leur deuil. Tu as aidé ta mère à survivre au deuil de ton père, l’homme qu’elle a tant aimé. Malencontreusement, si cet ange est une figure réconfortante dans ses légendes, d’autres ne le voient que comme symbole de la mort qui nous menace tous. Comme l’être qui nous prend cette vie qui nous est si chère.


20 août 1970. C’est le jour où ta mère et toi avaient fait vos valises pour quitter le village dans lequel tu as grandis. Vous l’avez fait précipitamment et êtes parti en pleine nuit, comme des voleurs. Vous êtes parti vivre chez tes grands-parents, loin de l’endroit que tu connaissais.

La raison de votre départ, c’est cet accident qui a fait la une des journaux à ce moment-là. Un enfant de 6 ans qui avait poussé une fillette de son âge du haut d’une falaise. La jeune fille avait heureusement survécu, mais au prix de nombreuses factures et d’un long séjour à l’hôpital.
L’article ne relatait pas l’entière vérité, seulement vous ne pouviez pas le justifier. Vous ne pouviez pas expliquer que tu n’avais pas poussé cette enfant. Que tu avais seulement perdu le contrôle de ta magie sous un coup de colère, parce qu’elle s’était moquée de toi et de ta famille. Qu’un soudain coup de vent lui avait fait perdre l’équilibre et qu’elle était tombée. Vous ne pouviez certainement pas faire croire qu’un vent violent c’était levé d’un coup, alors qu’il s’agissait d’une belle journée ensoleiller d’été et dépourvu de la moindre brise.

Alors vous avez fuis, avant de subir les foudres déjà trop menaçantes des villageois.


1er mars 1971. Tes grands-parents vivaient une ville relativement calme, elle aussi. Proche du monde de la magie, mais proche des non-mages aussi. Un juste milieu qui vous permet d’être plus à votre aise que vous ne l’avez été durant les dernières années.

Ce jour marque aussi ton entrée à l’école des sorciers. Tu es élève à Mahoutokoro désormais et tu découvres ta place parmi les tiens. Tu n’as pas eu beaucoup d’ami durant ton enfance, même si tu as eu l’occasion de t’en faire quelques-uns depuis ton déménagement, alors tu profites de la nouveauté. Tu t’amuses comme un petit fou et tu te découvres une véritable passion pour la magie, maintenant que tu apprends à la contrôler et que tu es libre de pouvoir l’utiliser sans craindre de te faire remarquer.

Au fur et à mesure des années, tu t’intéresses plus particulièrement aux sortilèges et te débrouilles réellement bien dans cette matière. Pourtant, rien ne te prédestinait à devenir professeur. En tout cas, c’était loin de tes idées et motivations. Tu n’y aurais même pas songé, trop insouciant et frivole pour t’engager dans ce genre de responsabilité.


Aout 1982. Tu es amoureux. Tu as envie de le dire au monde entier et, surtout, à la principale concernée ; c’est la première fois que tu te sens aussi heureux avec quelqu’un. Enfin, il y a ta maman, bien sûr, mais c’est différent. C’est pas les même sentiments.

La principale concernée, tu la connais depuis quelques temps déjà, mais tu n’avais encore jamais pris la peine de vraiment la connaître. Elle habite près de chez toi, sauf que tu n’y passes désormais que deux mois par an, alors tu ne la vois pas tellement.
Ce mois-ci pourtant, vous vous êtes rapprochés, allez savoir pourquoi. La vie suit son cours sans qu’on en comprenne toujours les enjeux. Ce dont tu es sûr désormais, c’est qu’elle t’attire, vraiment. Et pas seulement.

La seule chose qui te trouble dans ton euphorie, c’est qu’elle est moldue. Si vos différents de race t’es égale, tu sais parfaitement à quel point votre cohabitation peut être compliquée, pour l’avoir suffisamment subi dans ton enfance. Néanmoins, tu essaies de ne pas y penser. Tu essaies de profiter.


18 février 1983. Cette nuit, tu es devenu un homme, comme on dit. Officiellement, tu es en couple, depuis quelques jours déjà, avec la jeune femme dont tu es tombé amoureux il y a plusieurs mois. Vous n’avez pas cessé d’échanger des mots durant ton absence et quand vous vous êtes retrouvés à l’occasion des vacances, les choses se sont faites naturellement.

Vous avez finalement passé cette nuit ensemble et ton cœur te pèse un peu, de songer que bientôt, vous serez de nouveau séparé. Son ressenti doit être le même, parce que vous décidez de profiter le mieux que vous pouvez des jours suivants.


Août 1983. Tu ne sais plus quoi penser, tu es perdu. Dois-tu te réjouir, avoir peur, refuser la vérité ou l’affronter ? Tu as essayé d’oublier, au cours des derniers mois, mais tu ne peux plus y échapper. Celle que tu considères comme ta chère et tendre se tient devant toi, à ton retour d’école et personne ne peut nier en la voyant qu’une autre vie s’est formée en elle.

Elle te l’a dit, un mois après ton départ, en découvrant les premières modifications de son corps. Vous étiez aussi étonnés l’un que l’autre, comme si cette éventualité ne vous étiez jamais venu à l’esprit. Vous aviez pourtant pris vos précautions. Les accidents existent, cependant et tu ne sais pas comment réagir face à cette annonce. Tu ne pensais absolument pas devenir père aussi tôt.

Elle a fait le choix de le garder. De les garder, en fait, parce qu’elle vient de t’expliquer qu’il y en a deux, finalement. Que ce n’est pas si étonnant, il y a eu plusieurs fois des jumeaux dans sa famille. C’est le genre de détail auquel tu n’avais pas prêté attention jusqu’à aujourd’hui. Bref, tu vas être papa, à 19 ans seulement et de deux bambins, qui plus est. Tu ne seras pas là à leur naissance ; tu seras à l’école. Tu ne sais même pas si tu en es déçu ou non, c’est encore trop compliqué dans ton esprit.


13 novembre 1983. Ils sont nés. Leur mère t’a envoyé une lettre pour te prévenir. Le deuxième a fait une frayeur au personnel médical, il est plus fragile et ne respirait pas à sa naissance. Heureusement, ils sont parvenus à le récupérer. Ils sont désormais tous deux en bonne santé et c’est le plus important.


Avril 1988. Tu as tout foutu en l’air, Azrael.
Pourquoi ce bond dans le temps ? Surement parce que tu n’es pas très fier de ces dernières années. Ni des suivantes, mais nous n’y sommes pas encore.

A la fin de tes études, tu as rejoint ta nouvelle famille. Tu as fait ton choix quant à ton avenir : t’occuper des tes enfants et de la femme que tu aimes. Par chance, elle est plus mature que toi et te materne quand tu en as besoin. C’est comme si elle avait trois enfants, au lieu de deux. Vous passez du bon temps malgré tout.

Seulement, tu commence à culpabiliser et à t’inquiéter. Elle ne sait pas que tu es un sorcier, tu ne lui as jamais dit. Tu protégeais votre secret ; les moldus ne doivent pas savoir que vous existez. Votre relation était trop récente et par la suite, tu as eu peur des conséquences si elle l’apprenait. Sauf que vous êtes parents et qu’un jour, elle finira bien par le découvrir. Tu ne veux pas qu’elle le découvre en se questionnant sur les événements étranges qui se dérouleront autour des jumeaux.

Comme tu ne savais pas quoi faire après l’école et que tu as voulu garder ta couverture de non sorcier, tu as choisi de vivre comme eux. Durant ces trois années, tu as travaillé en tant que banal serveur, pour faire vivre ta famille. Ta bien aimée travaillait aussi, mais vous deviez souvent prendre congé pour rester à la maison vous occuper de l’enfant cadet, donc la santé était restée fragile.

Devoir cacher ta magie te pesait, toi qui aimais tant l’utiliser. Alors, tu as fini par craquer et tu lui as tout révélé.
Ce n’est pas tant l’annonce qui la choqué – même si, bien sûr, ça a joué – mais surtout le fait que tu lui as menti durant toutes ces années. Vous vous êtes beaucoup disputé et votre couple a fini par exploser. Il était déjà fragile, soyons honnête : même si vous vous aimiez, vous n’étiez pas prêts à construire une famille ensemble aussi tôt. Vous n’avez même pas eu le temps de vous construire en tant que couple.

Tu es parti.
Vous vous êtes mis d’accord : elle était prête à assumer vos enfants, pas toi. Tu en as honte, mais tu ne t’es jamais senti aussi libre que quand tu as pris ton envol, loin des êtres que tu aimais pourtant. Loin des responsabilités qui t’incombaient.

Tu étais encore jeune, Azra.
Tu ne te sentais pas prêt. Tu ne voulais pas de responsabilités.
Tu n’avais même pas encore fini de te construire. Tu n’avais jamais eu de père sur lequel prendre exemple, tu avais peur de les détruire.
Tu voulais être libre.

Décembre 1992. Tu as passé les dernières années à vadrouiller, à errer.

Tu vois tes enfants deux mois par an, c’est l’arrangement que vous aviez, leur mère et toi. Ils ont neuf ans désormais et c’est leur deuxième année à Mahoutokoro. Tu les vois durant leurs vacances. Le reste du temps, ils vivent avec leur mère et toi tu continues ta vie solitaire.

Tu as repris le goût de la magie, durant ces dernières années. Tu as profité, comme tu sais si bien le faire. Tu t’es lancé dans les duels de sorcier et tu y as montré un certain talent. A tel point que tu as fini par te faire connaître dans ce domaine. Ta réussite t’as permis de gagner ta vie durant ce temps, participant aux divers tournois organisés.

Et tu en es là, finalement. Tu approches de la trentaine, tu as eu l’euphorie de la réussite et de la célébrité, mais maintenant tu as l’envie de te poser. Tu ne peux pas faire toute ta vie sur un succès éphémère. Tu regardes en arrière et tu te rends compte de tout ce que tu as loupé. De tout ce que tu as foutu en l’air parce que t’étais pas prêt à assumer. Maintenant tu l’es, mais tu ne peux pas revenir en arrière.

Tu as pris une nouvelle décision, celle que tu n’avais jamais imaginé jusqu’à ce jour : tu as envie de devenir professeur. D’apprendre la magie, celle que tu aimes tant, à d’autres personne. De donner le goût des sorts aux enfants. D’être là pour tes enfants, aussi.


Février 1994. Tu l’as fait. Tu es officiellement professeur dans cette école que tu as quitté il y a dix ans. Tu débuteras ta nouvelle carrière le mois prochain.

Ton fils se réjouit à l’idée de te voir tous les jours. Ton fils, oui, le plus jeune. L’ainé est un peu plus réservé sur ses sentiments. A vrai dire, tu sais qu’il t’en veut ; qu’il s’est senti abandonné, quand tu es parti. Tu comprends presque davantage sa réaction que celle du second, même si cela t’attriste.

Et nous en arrivons finalement à cette année. 1996. Deux ans que tu es professeur de sortilège. Deux ans que tu prends plaisir à torturer – rien qu’un peu – tes élèves. Tu penses avoir trouvé ta voie désormais, réellement.