Au final, le ciel maritime avait son charme. Les méduses devenues étoiles et les baleines nuages, il éveillerait l’âme des poètes soupirant des impossibles dans leurs tercets. Le dôme, lui aussi, séduit de sa manifeste mystique — tombeau ou bouclier — et elle imaginait les rôdeurs y coller leur tempe se morfondant des hasards qu’offraient la surface. Magnétique, inéluctable qu’il soit devenu cible des œillades vagabondes bourrées de désespoir, lui, bourreau du jugement dernier des habitants de Mahoutokoro.

L’ordinaire rythme des cours fût forcé, mais la mine décrépie des professeurs vendait leur esprit en symbiose à celui des élèves : à quoi bon. Une réflexion défaitiste qui suivait Benhime où qu’elle aille, quoi qu’elle fasse ; dans ses céréales, en cours, sur le plafond de sa chambre, même aux toilettes. Un jour, il fallait se précipiter de vivre, cristalliser les rêves, se réconforter dans des bras ou dans des draps, se perdre dans les petites joies. Le lendemain, il fallait préparer sa fin, zoner sans destination, mouiller son visage de larmes, s’engloutir dans l’abandon complet. Et aujourd’hui était l’un de ces jours où l’émoi ne savait se décider, mélangeant allégresse du solide maintenant à l’angoisse de l’abstrait imminent.

Demie somnolance contre le tronc du cerisier en repos, ni feuillage ni fleurs ne barraient ses yeux de l’aquarium inversé. Les paupières se rouvrirent, capitulèrent sous l’invasion des contemplations, l’esprit désormais sous leur occupation. Ouvertes, les iris n’avaient mieux à faire que de te regarder, à feuilleter ce qui apparaissait à ton air rembruni être une misérable lecture. Avec ta mâchoire serrée et ton regard trident, les doigts tapotant en vague la couverture, prêt à assassiner les lignes n’étant pas à ta hauteur. Benhime aimait ce genre d’image — parce qu’elle faisait tellement toi. Ses yeux quittèrent tes traits pour son ongle raclant les cuticules d’un autre, mais sa voix se porta à ton attention. Que comptes-tu faire, si ce dôme ne se volatilise jamais ? incertaine de la formulation de sa question, elle rajoute ou si nous ne remontons pas aussi vite à la surface qu’on l’espère ? Les prémolaires mordent l’intérieur de sa joue, signal qu’elle n’aurait repos qu’en atteignant les abysses de cette question.

Un délicat voile contemplatif habilla ses airs à la riposte, elle en appréciait le caractère certain et direct, l’assurance quant à l’inconnu dont les propos faisaient preuve. Un ultime passage contre le repli de l’ongle, les doigts jumelés préférant dorénavant se cambrer entre eux-mêmes que l’intervention de leurs opposés. Une œillade en ta direction, dans le lagon de tes yeux — ah il devrait être illégal d'être si beau — un roulement d'épaule, une caresse de la langue contre le palais Quotidien ? le rideau de cils s'abaissent un instant avec les iris et se relèvent accompagné d'un fin sourire.

Je vois que tu t'acclimates à merveille à une vie sous-marine, un vrai poisson dans l'eau. Quel homme fortuné tu es, immuable quoi qu'il arrive, elle te jalouserait presque ; mais tu es si solide que c'en est rassurant. Moi, je vivrais en me languissant éternellement de la surface, mais aurais-je autre choix que de faire avec ? La reconnaissance d'avoir été épargnée suffisait à la maintenir à travers ces temps abyssaux — quelle chance, de simplement être en vie — mais dans les profondeurs se réveillent milles obscures créatures et elle craint l'heure où sa résilience sera étranglée par une de leurs tentacules. Ah, si seulement elle était forte.

Mais ton renvoi de sa question lui revient, rien n'est à sens unique, encore moins une discussion et surtout lorsqu'elle est la première à avoir jeté la pierre et que tu n'as guère hésité à t'y mouiller. Coupée de mon rang, coupée de mon clan, serais-je obligée de convenir au statut de sang-pure si nous étions à jamais sous cette coupole ? Cette potentielle réalité paraissait si abstraite. Je doute arrêter de rendre hommages aux déités, mais m'est-il obligatoire de prospérer un sang si rien n'en dépend ? Nous sommes tous dans le même bain, prisonniers de l'océan, m'est-il bénéfique de maintenir cette différence si elle met en péril ma survie ? Et, pourtant, je pense qu'il serait difficile d'abandonner mon statut.

Sourire nacré et perspective rocailleuse.
Ton vocabulaire, d’année en année, s’exacerbait, mordoré d’hégémonie, persuadé de cette hiérarchie où tu siégeais, étincelant, en son sommet. Tu ne soupires la grandeur — elle t’est innée, tu ne fais que t’approprier un royaume qui t’a été promis — et jamais ne vrille ton regard du clinquant horizon des nantis. La taction de ta phalange cajoleuse contre sa peau est douce, et agréable, et transmettait à ses nerfs tes sentiments quiets. Avec attention, elle t’écoutait déposer à ses pieds ton avis, mais il ressemblait à ce qu’elle s’attendait de ta part ; des années que Benhime arpentait le fief de ta conscience, rares se faisaient tes pensées qui la surprenaient.

Tu invoquais son nom, voué à être capitulé au profit du tien, notais sa noblesse, berceau du problème  : perchée en haut du pinacle, quel autre choix que de regarder tout droit ou en bas. Et si tu n’aimais que les beaux horizons ; Benhime aimait regarder l’incohérence des alentours, tout ce qui était dépareillé et laid, ne jamais s'en éprendre, mais ne jamais le mettre de côté. Où se situe la frontière entre fierté et opiniâtreté ? Que ferais-tu s’il ne restait aucun sang-pur à épouser, serais-tu prêt à laisser ton nom se perdre à jamais par refus de te confondre avec nul autre que notre race ? Benhime, elle, chérissait plus son héritage que la pureté de son sang — même distillé dans une hémoglobine vulgaire, il ne perdrait son caractère sacré — nonobstant, cette position ne l’enflammait guère assez pour que, si le choix s’imposait entre une union à un sang égal ou inférieur au sien, elle privilégie le second au premier. Jamais conquis par l’amour, ne régnait que rationnel dans son cœur.

Toutefois, l’esprit, lui, aimait l’abracadabrant, les sujets choquants. Imagine-les et si, abstrais-toi de la logique du réel ; mêmes les chimères se doivent d’être considérées avec sérieux. Ses doigts se refermèrent sur ta main faisant sienne prisonnière, effleuraient ton épiderme, et elle regarda au loin les contrées tamisées par l’océan, l’obscurité bleue outremer du paysage. Cette longue nuit dans laquelle l’île vous avait plongé.

Ancré dans un vide, le regard n’avait au début défaillit de son point invisible, occupée à dévisager l’étriquée réalité du dôme ; mais l’écho de son prénom a rivé ses pupilles sur tes traits, à nouveau. Ils sont encore plus serrés que durant ta piteuse lecture, tes yeux assassinaient les lignes et, maintenant, ils étranglent les pensées qui t’horripilent. Quand ta voix s’habille de haine, quand tes lèvres soufflent de méprisants termes, et quand le tout est ponctué d’un rire mauvais, de ton emprise sur sa paume — ah, à ton égard une pointe d’inquiétude germe — peut-être est-ce aussi dû en parti à ton air creusé par la fatigue. Le contenu ne lui procure guère souci, s’y terre des doctrines auxquelles elle adhère, moins virulente, moins extrême ; ta fougueuse passion à abominer, cette aversion si personnelle qui t’embrase, Akshar, l’alarme un peu, parfois. Si réciter par cœur tes pensées est chose aisée, tes sentiments, eux, sont insondables car jamais ne cèdent les barricades de ton orgueil. Je crois le comprendre. Je n’en ai guère le besoin, effectivement, néanmoins j’ai envie de te comprendre. Il n’y a guère assez d’indifférence entre elle et toi pour que règne l’apathie. Comprendre ne m’oblige aucunement à partager tous tes avis et – un arrêt, sa main libre s’étire vers ta chevelure. Une brindille. puis se retire – et ce serait d’un ennui si nous étions identiques ou nous nous forcions à l’être, non ? et s’offre à toi un grand sourire.

D’ailleurs, je ne suis pas d’accord avec ton dernier point : le monde n’est pas à nous, nous sommes au monde. Vous n’êtes en mesure de l’ordonner, ni même de l’exiger : il vivrait sans vous, vous ne vivriez sans lui. Les déités mêmes n’ont dominance exclusive, l’Empereur même n’est qu’exécuteur d’une volonté suprême, d’où de simples mortels — aussi pur et de divine descendance soit leur sang — se targueraient-ils être en mesure de se l’approprier ?
Ridicule.

Au détriment de mon sang ? D’un éclair, l’ataraxie s’enténébra ulcérée par l'inexprimée possibilité tapie dans ton propos Oserais-tu imaginer que mon sang soit faible et qu’il ne prédomine guère face à un de moindre qualité. aussitôt éclaircie par une rhétorique de placide sonorité drapant le tempétueux message t’interdisant de dépasser par mégarde la chétive limite entre avis et ignominie. Un immortel devoir incombe mon clan, Akshar, et mon sang ne périrait qu’au trépas des kamis et du sang impérial. Le magma en ses veines se tempéra, car Benhime se savait de lignées éternelles et vassale d’impérissables maîtres; et s’il fallait se mêler afin que jamais elles ne faillissent à leur rôle, soit! Par trois fois son hémoglobine était divine et purifierait même les vermeils les plus putrides et vermineux, nul autre que l’Empereur n’était en mesure de se targuer d’un pedigree pareil.

À ton constat, sa bouche fît rupture momentanée et ne sût t’adresser riposte. Je sais. Et si ta dentition étincelle, ta jouvencelle n'y décèle que les desseins qui t'ensorcellent; désintéressée de faire front, indifférente à ton aspiration, elle te laissait naïvement espérer sa réalisation. Sa main se déroba à ta poigne, si chaude pour une âme si glaciale, et repoussa une mèche derrière son oreille, les bras enlacèrent ses genoux et s'y déposa sa joue. La lassitude, déjà, reprenait possession du terrain.

Tu jettes ta dernière carte et quittes la table, lui ôtant possibilité de reconquérir l'honneur réduit en poussière sous tes dents lors d'une manche suivante. Le rideau de ses cils tamisent l'ardente aigreur suscitées par tes dires, vos avis contradictoires n'ont aucune issue et tu esquives l'impasse ; soit, de toute manière, ses propos ne voulaient s'enrober dans la bile conquérant sa salive. Ni le murmure de ta promesse ni la sournoise caresse n'adoucissent le dépit renchérit par ton départ. Akshar, la main se tend et s'empare de la tienne je pars aussi fixer le ciel marin d'ici était l'assurance d'un torticolis et l'eau gentiment s'assombrissait, bientôt impossible de percer son obscurité. et aussi minable soit-elle, ne laisse pas ta lecture à la merci des yokaïs, elle est au programme. encore vexée, nulle œillade ne s'attardait sur toi le long du chemin, mais ses doigts ne rendirent libertés cependant aux tiens.