YAMI NO UNO : LE PRÉLUDE DES ENFERS

Depuis septembre, le défi lancé par Takeo lui était sorti de la tête à de multiples reprises, sans qu’il n’en transgresse les modalités pour autant. Il avait sauvé une gamine d’un empoisonnement – dont elle était elle-même la cause – et constaté le suicide d’un élève, avec la même indifférence qui lui était habituelle. Le botaniste n’avait pas fait part d’un éventuel écart, lui non plus et Natsuo avait choisi de le croire lorsqu’il lui avait affirmé faire preuve de fairplay – pour ne pas dire que ça lui était, en réalité, bien égal.

Les derniers événements de janvier, en revanche, étaient parvenus à troubler ces réussites. Condamné à choisir entre ses propres envies – retrouver un ancêtre ressuscité pour lui imposer une revanche – et la vie d’un jardinier, il s’était résolu à faire ce que son métier lui imposait. Takeo, quant à lui, si l’infirmier n’avait pu veiller sur ses actes ce jour-là, semblait considérer avoir été le premier à se préoccuper de la situation. L’histoire du UNO lui était alors revenu à l’esprit, en même temps qu’il lui avait proposé (imposé) de se retrouver pour la fameuse partie de ce jeu.

Il existe des jeux bien plus excitant que des parties de cartes, songeait-il ; mais Natsuo n’est que victime – approximativement consentante – des fantaisies de son partenaires.  

Sans heure précise à laquelle le rejoindre – depuis le temps, il ne s’attendait plus à ce que Takeo ne plus en donne une, encore moins à ce qu’il la respecte – il s’était rendu directement dans ses appartements ; dans lesquels lui ne se trouvait, évidemment, pas. A croire que même lorsqu’il se rendait chez lui, il se trouvait destiné à devoir l’attendre.

Confortablement installé, avec la sensation – moins confortable – d’être encerclé par un nombre improbable de plantes, Natsuo s’attend à voir son camarade rentrer, mais pas à ce qu’il soit accompagné. Pour un peu, il pourrait craindre – si tant est qu’il en soit capable – le pire, seulement le visage de l’arrivant est loin de lui être inconnu.

« Salut. »

Il aurait pu hausser les épaules que l’effet serait certainement le même, mais il se sentait intriguer. Non pas sur le pourquoi Takeo avait choisi d’embarquer Fuyuki dans ses frasques – son esprit fantasque n’est pas à comprendre – plutôt sur sa présence en elle-même.

« Café, pour moi. »

Il regretta la rapidité de sa réponse, dès que son ami réclama un saké, lui lançant un regard qui aurait pu être digne du confused blinking gif s’il avait su y mettre plus d’émotion. Un sentiment qui ne le quitta pas, au contraire, quand le blond le laissa face à une tasse dont le contenu lui semblait soudainement insipide.

« C’est moche ce que tu fais, Fuyuki. »

Il comprenait parfaitement, en réalité, mais la frustration de voir de l’alcool à porter de main sans pouvoir y accéder lui apparaissait tel le supplice de Tantale. A deux doigts de gémir intérieurement d’apitoiement, lorsque le breuvage disparu entre ses lèvres, l’aîné des trois porta finalement son attention sur le jeu.

D'ailleurs. On met quoi en jeu ? La boisson, aimerait-il répondre, instinctivement. Est-ce que la mettre en jeu fonctionnerait, seulement ?

« Le vainqueur donne un gage aux perdants. »

Si côtoyer Takeo lui avait donner l’habitude de ces paris idiots, il n’en était pas devenu meilleur pour trouver des enjeux. L’inspiration leur viendrait probablement avec la partie.

Observant sa main et les premières cartes placées, Natsuo constata que le bleu manquait désespérément à son jeu. Il plaça alors la seule carte qu’il pouvait, terminer le premier tour comme il se devait : avec un +4.

« Je préférais le jaune. »

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Définitivement entouré par deux alcooliques, Natsuo se résigne à être le seul dispensé de coupe de saké – Fuyuki a beau affirmer, avec raison, prendre soin de sa santé ; c’est son bien être qu’ils maltraitent. Et s’il sait que Takeo n’a pas besoin de raison particulière pour sourire comme un imbécile, il ne peut pourtant s’empêcher de se sentir viser par son rictus quand le botaniste se sert son verre.

Ce dernier relève, d’ailleurs, son choix maladroit de mot, au gré d’une plaisanterie douteuse. Natsuo n’éprouve, en réalité, pas plus d’affecte pour les couleurs que pour autre chose – même moins – le jaune aurait d’ailleurs plutôt tendance à lui faire mal aux yeux. En revanche, si l’infirmier était disposé d’un peu plus de répartie, il lui répondrait que c’est lui qui le saoule.
A défaut, il se contente d’un haussement d’épaule à l’affirmation de Fuyuki ; pour être honnête, il n’a pas la moindre certitude quant à sa victoire.

La pénalité se fait ressentir, dès la fin du premier tour, lorsque son joker oblige le susnommé à piocher quatre cartes supplémentaires. C’est sans compter sur la théâtralité de Takeo qui, comme à son habitude, s’évertue à faire beaucoup de bruit pour pas grand-chose. Le brun contemple alors la carte retournée, sans savoir s’il doit s’en préoccuper, avant que le troisième participant ne décide d’intervenir, modifiant le sens de la partie. Impuissant face à la tournure du jeu, le professeur ne peut donc que se résoudre à piocher et céder son tour.

Natsuo, de son flegme habituel, ajouta un sept jaune à la petite pile de carte se formant, bouclant ainsi son tour. Flegme qu’un haussement de sourcil vient troubler, quand l’ébéniste lui proposa une alliance avec, pour récompense : un verre – sous-entendant, de l’alcool.

« J’y compte bien. »

Et ainsi se scella l’avenir – proche – de Takeo, menacé par ses deux comparses.

« Permets-moi d’en prendre un maintenant, je serai d’autant plus efficace. »

Il ne peut s’empêcher, malgré tout, de marchander.

YAMI NO UNO : LE PRÉLUDE DES ENFERS

Fuyuki se résigne au marchandage – pour lequel Natsuo ne demandait, finalement, pas tant son avis – et l’infirmier accapare alors un verre, suivi de la bouteille, afin de se servir le liquide démoniaque.
Un simple écart ne suffira pas à lui faire du mal, se défendra-t-il si on l’y obliger ; tout en sachant pertinemment que, si, il n’en faut pas davantage pour repousser quelqu’un dans ses anciens vices. Mais déjà, l’alcool trouve son chemin entre ses lèvres et l’homme se repait de son goût âpre, contre ses papilles.

La gorgée – qui s’étend à finir le récipient d’une traite – lui semble plus magique que n’importe quel sortilège appris au cours de sa vie. Déjà, Takeo, alors qu’il reprend des discours n’ayant de sens que pour lui, paraît soudainement moins stupide.
C’est au gré de ces rares instants que Natsuo découvre que la joie rend chaque chose plus plaisante ; et ainsi, la compagnie des autres lui est moins insupportable.

Pas que Fuyuki ou Takeo ne soient de mauvaise compagnie, en temps normal.
Ces deux-là font exception dans sa maigre vie sociale.

Mes amis sont ma force, lance le professeur de botanique et le brun se retient de demander de quels amis il parle – la question serait probablement déplacée. C’est à peine s’il tente de saisir où il veut en venir ; il a abandonné l’idée de le comprendre, depuis longtemps.
Ce qu’il comprend, néanmoins, c’est qu’il est condamné à piocher, quand le +4 s’abat sur la pile de carte jouées.  

Natsuo balaie les excuses du blond d’un haussement d’épaule, tandis qu’il récupère les quatre cartes composant nouvellement sa main.

« N’agite pas ainsi ta baguette, Takeo ; tu vas crever un œil à quelqu’un – le tien, probablement. »

Du rouge, donc ?
Il ne disposait que d’une seule carte convenant à cette exigence : un sens interdit, condamnant Fuyuki à passer son tour – ça n’était, malheureusement, pas bénéfique à leur alliance, mais ce n’est pas comme si son deck lui en laissait le choix.

« J’imagine que c’est mon tour de m’excuser. »

Pas qu’il n’ait l’air désolé, mais…
Il se servit un nouveau verre ; voilà une raison d’être désolé.