SWEET HEARTS

Chaque été semblait apporter un adolescent supplémentaire dans cette maison. Lorsqu’il réalisait qu’un an, déjà, s’était écoulé depuis l’arrivé d’Ashe – depuis la mort de ses amis – Azrael ne parvenait à déterminer si cette date lui paraissait cruellement proche ou, à l’inverse, particulièrement lointaine.
Tant de choses avaient eu lieux, depuis.

Mise à part le manque qu’il avait de ses proches, qu’il avait aimé comme des membres de sa famille – d’une certaine façon, il lui semblait avoir perdu un fils, lui aussi, en portant le deuil de Kai – c’est comme si Ashe avait toujours été son enfant. Dès l’instant où il en avait eu le besoin, il avait déjà gagné sa place parmi les siens et son nouveau tuteur avait même vu sa mère l’accepter comme un petit fils, dès leur rencontre.

Une année s’était donc écoulée et, peu après son réveil, le professeur de sortilège s’était retenu d’aller frapper à la porte de son fils aîné pour s’assurer que sa nuit s’était bien passée. Déjà, parce qu’Ashe, comme les jumeaux, n’étaient plus des enfants dont il pouvait troubler l’intimité sans crainte de les froisser ; ensuite, parce qu’il n’était pas seul. Et s’il y avait bien une chose dont il était certain, c’est qu’il valait mieux ne pas se risquer à déranger un couple d’adolescent.

Azrael s’était donc installé à la table du salon, une tasse de café fraichement préparé entre ses mains et le récent journal ouvert sous ses yeux. Il se faisait l’effet d’un adulte ; ce qu’il était, bien sûr, mais cette habitude lui donnait la sensation d’appartenir à une personne bien plus âgé qu’il ne l’était – ce qui n’était pas pour le rassurer, depuis qu’il remarquait les quelques rides gagnées par l’excès de stress. S’informer des actualités, pourtant, s’avérait plus important que jamais.

Seiwa et Kaisei n’étaient pas encore réveillés – du moins, s’ils l’étaient, ils ne s’étaient pas encore montrés. Quand des bruits de pas se rapprochèrent, il devina instantanément qu’il devait s’agir d’Ashe et de Ritsuka – une seule porte s’était refermée, après tout. Ses tartines profitèrent du moment pour sauter du toaster et il les rattrapa au vol, d’un coup de baguette, pour les amener jusqu’à lui.

« Bonjour, les garçons. »

Il agissait avec habitude, ses toasts se beurrant déjà d’eux-mêmes, pendant qu’il repliait son journal. Il se tourna enfin vers les jeunes garçons, avec un sourire.

« J’espère que vous avez passé une bonne nuit. »

SWEET HEARTS

L’innocence enfantine lui manquait. Tant la sienne, passée, que celle de ses fils, gâchée par les tragédies survenues. La candeur perdue ne se retrouvait guère, mais la tranquillité d’une si calme matinée lui rappelait les époques les plus douces, où il n’avait pas à s’inquiéter de la sécurité immédiate de ses enfants. Il se souciait déjà de savoir prochainement les jumeaux chez leur mère, la distance le préoccupant bien plus qu’auparavant. Il ne devait les empêcher de vivre comme avant, pourtant, au risque de les alarmer plus encore qu’ils ne l’étaient. Alors, résigné, il se convainquait qu’ils y seraient en sécurité, sa propre mère y veillerait – sans compter qu’il lui suffirait de se transplaner, pour aller les retrouver.

Loin de ses préoccupations, un sourire s’accrocha à ses lèvres lorsqu’Azrael aperçu les mains liées des plus jeunes, à leur entrée dans la pièce. La délicatesse d’une pureté adolescente rappelait à son esprit les joies d'un amour de jeunesse, tandis qu’il s’accordait une gorgée de son café.

On a couché ensemble, je ne pensais pas que ça aiderait autant à s’endormir. Ashe termine à peine sa phrase, que son père en recrache le liquide qu’il n’a pas eu le temps d’avaler, laissant suivre une quinte de toux. Vous– Mmh… avec un raclement de gorge, il reprit contenance, nettoyant chemise et nappe d’un sortilège informulé.

Ashe. Se levant pour ranger le journal au coin d’un meuble, il donnait l’air de ne pas avoir manqué de s’étouffer, quelques secondes auparavant. Préviens simplement, avant de lancer ce genre de révélation.

Ritsuka – je peux t’appeler par ton prénom ? N’ai pas l’air de vouloir rentrer dans le sol. Déjà, parce que tu ne peux pas ; ensuite, parce que bien que je comprenne la gêne occasionnée, tu n’as pas à en être mal à l’aise. Avec un soupire, il revint s’assoir à la table, les regardant avec sérieux autant qu’avec indulgence. Ce n’est pas tout à fait un sujet de conversation auquel je m’attendais de bon matin, mais enfin… l’important est que ça vous convienne à tous les deux. Et malgré les questionnements lui restant avec cette relation, il ne souhaitait pas les brusquer.

SWEET HEARTS

Ce n’était pas bienséance qu’Ashe ignorait. Davantage le tact et la pudeur avec lesquels certains sujets nécessitaient d’être traités. Si Ritsuka possédait une notion plus accrue de cet intimité, il la voyait malheureusement être dévoilée, avec toute la gêne dont son amant se trouvait dénué.

Face aux interrogations de l’adolescent, Azrael secoua sa main, d’un signe lui signifiant de laisser tomber. Il était trop tôt pour partir dans un long exposé des limites à instaurer et du pourquoi elles étaient nécessaires – il avait, par ailleurs, miraculeusement échappé à cette part de l’éducation de ses fils et pensait ne jamais avoir besoin d'y revenir ; malheureusement, il n’y échapperait visiblement pas pour celui-ci.

Ne souhaitant pas savoir de quels bruits Ashe pouvait bien parler – mais les supposant, malgré lui – l’adulte se racla la gorge, laissant échapper, avec dérision, un simple : Eh bien, oui, je suppose. destiné à clore cette part de conversation.

Béni fut alors le journal, interrompant momentanément le sujet. Béni soit, aussi, cette tendance à la distraction, qui détournait si simplement son attention. Le top 3, donc ; bien sûr qu’il avait remarqué. Je ne manque pas de le voir ! Je vous félicite tous les deux. Et je suis tout autant fier de vos progrès dans ma matière. Un clin d’œil ponctua ses compliments.

Allons, je ne vais pas vous affamer. Installez-vous ! Leur désignant la table, il y amena les divers mets dont il disposait, de quelques coups de baguette. Ritsuka, fais donc comme chez toi. Ah, il ne savait si la formule était adapté, lorsqu’il s’adressait à un sang-pur. Ce n’était pas le cas de tous, mais il devinait que certaines grandes familles ne devaient pas avoir le même mode de vie que d’autres foyers, plus conviviaux. A défaut, il rectifia : Fais comme bon te semble, plutôt.

Professeur ? Sa tasse de café, à nouveau entre ses mains, Azrael se méfia, cette fois, avant de décider d’en boire une nouvelle gorgée. Vous n’êtes pas contre notre relation ? Il se détendit. Pourquoi le serai-je ? Par cette question, il traduisait toute sa sincérité, pour l’acceptation de cet amour naissant. Vous êtes aussi libres de vos choix, que d’aimer qui vous le souhaitez. Son regard recouvra alors son sérieux, sans se départir, pour autant, de sa douceur. Néanmoins, je suis conscient des responsabilités, voir des obligations, que certains clans font peser sur les sang-purs.

Dans un silence, il s’accorda de boire un peu du contenu de sa tasse, sans craindre de le recracher. Il me semble que tu es déjà fiancé, asséna le professeur, qui n’était en cet instant qu’un père. Il n’y avait, cependant, pas l’ombre d’un reproche dans sa voix. Seulement une préoccupation sincère. Cela peut ne rien vouloir dire. Mais cela peut aussi avoir de nombreuses conséquences. Je veux seulement que vous en soyez conscient et que vous preniez en considération les risques ; mais aussi les bénéfices. Il souhaitait seulement leur éviter des blessures, s’il était possible.

L’amour valait ses risques.
La passion méritait d’être vécue.
Que jeunesse se fasse, mais qu’ils soient préparés aux menaces de la vie.

SWEET HEARTS

Ah bon ? Azrael retint un soupir, face à l’étonnement si innocent de son fils, quant à l’inconvenance de leur sujet de conversation. Ashe. Je trouve important que nous puissions discuter de tout, ne te méprends pas, mais nous reverrons quels sujets peuvent être… gênants, en société. Que cela reste entre eux ne le dérangeait pas réellement – bien qu’il souhaite se garder de connaître les détails de sa vie privé – mais en public, l’absence de réserve de l’adolescent pourrait lui porter préjudice.

Leur petit-déjeuner redevint calme, cependant et l’adulte s’aperçu, avec satisfaction, que Ritsuka parvenait à trouver ses aises. Un calme de courte durée, pourtant, mais avec Ashe il fallait s’y attendre.
Tel père tel fils, dit l’adage, mais ce dernier n’avait pas su le préparer au jet de jus d’orange qu’Ashe venait de cracher. Il comprit alors son erreur, devant l’incrédulité du concerné. Eh bien, je pensais aussi que tu étais au courant– Ce n’était probablement pas les meilleures circonstances pour l’apprendre ; s’il avait su, il aurait laissé la possibilité à Ritsuka pour le lui dire.

Un mariage arrangé, des obligations et un lésion secrète, l’engouement du premier amour pouvait donner la sensation de pouvoir tout affronter, mais il s’agissait là de poids conséquents sur d’aussi jeunes épaules. Et en amour, l’accumulation des plus petites frustrations, au fil des années, pouvait devenir fatal, même pour les sentiments les plus purs.
Les concessions, les sacrifices, même s’ils les acceptaient avec bonne volonté, rien ne pouvait les assurer qu’ils les supportent éternellement.
Azrael en avait fait l’expérience.

Ce qui est primordial, c’est que vous soyez d’accord sur ce qui vous convient. Communiquez ; n’hésitez jamais à dire ce que vous avez sur le cœur, c’est la seule manière de ne pas installer de gêne ou de rancœur. C’était ce dont il avait le plus manqué, lui-même. Et puisque je viens de lâcher la bombe – il adressa un signe d’excuse, en direction du plus âgé – je pense que vous avez justement besoin d’en discuter entre vous.

Prenant une tartine et sa tasse, il se leva. A plus tard.