Bercé par la pluie et ses ombres aux fenêtres, un cuisinier s’était endormi sur le plan de travail inondé d’une lumière feutrée. Les lampions magiques qui flottaient de part et d’autre de la pièce ne réchauffaient pas le cœur d’Akihiro. Pas plus que les assiettes ensorcelées qui avaient apporté une part de gâteau à chaque chambre de l’établissement. C’est le bruit de ces plats qui revenaient et s’empilaient pour une vaisselle programmée qui le sorti de ses pensées. Lentement ses yeux s’ouvrent sur son lieu de travail, un deuxième refuge qu’il se décide à quitter en passant une main paresseuse dans ses cheveux blancs. Couvert de farine, chocolat et autres indices de ses activités, l’ancien yatagarasu se contente de parcourir les couloirs et de laisser ses pas le guider jusqu’à l’entrée. Ce n’est qu’une pluie fine qui au mieux réussira à dompter les nombreux épis au sommet de sa tête. Le pire n’était rien en comparaison de ce qui attendait les abandonnés de cette école. Au-delà de la mise à mort d’innocent, il y voyait l’incompétence et l’ignorance du ministère face aux dangers ayant frappé Mahoutokoro à de si nombreuses reprises. Lui ne les laisserait pas tomber, pour le peu que son implication valait, une goutte d’eau dans un océan terrifiant.
Au-delà du masque, il mord sa lèvre, contrarié et indécis sur comment réagir entre la violence d’une colère ravageuse et celle du réconfort nécessaire à la tristesse ressentie. La prédominance de couleurs froides dans son champ de vision le conduisait au calme et à la morosité des tragédies humaines. Il aurait aimé pouvoir écouter les étoiles chuchoter l’avenir et tous les chemins qu’il était possible d’emprunter pour parvenir à un meilleur dénouement. Mais il en était incapable, manquant de ce don précieux et cruel de connaître l’histoire. Il pourra au moins y participer et voir grandir ce qu’il aura semé sans garanti de floraison.
Le désert d’une plage de sable se dessinait dans l’obscurité avec pour seule compagne les sphères lumineuses semblables à des lucioles qu’il préfère largement à l’indiscrétion d’un lumos. Sa progression s’arrête lorsqu’il rencontre un autre insomniaque et la pluie cessa à mesure qu’il approchait jusqu’à n’être plus qu’un souvenir. Malgré l’eau qui ruisselait de quelques mèches visées, il esquissa un sourire, inclinant respectueusement son corps aux muscles endoloris par épuisement. Puis il observa l’horizon d’une mer calme à peine ondulée. Les mots refusaient de passer le seuil de ses lèvres demeurant entrouvertes. Si le masque n’était en rien lié à l’aspect de son porteur, il était heureux que ce soit le cas à cet instant.
Il s'est réfugié sur cette île, sa nouvelle maison, dans son atelier fermé pour la journée. Il avait besoin de s'isoler, se retrouver. Il s'attarda le reste de sa journée à la confection de lanternes, il s'occupait pour effacer les images de son esprit, le calme dont faisait preuve le publique. Il avait oublié le visage de ceux qu'il y avait croisé, seul celui des présumés coupables le hantait. Probablement des innocents.
La journée avait trouvé son terme, mais au fond de son lit, il lui était en revanche impossible de trouver le sommeil. Morphée l'avait rejeté et la vision de son frère le dévorait. Il étouffait, encore.
Balade nocturne, lampions sous les bras il s'était égaré sur la plage espérant que la mer sache emporter ses songes. Il retira ses geta, laissant ses pieds se planter dans le sable froid : il se rattachait à ses sensations. Il parcourait le long de la côte pensant en l'unique compagnie de ses fantômes et kamis. Il posa son regard sur une silhouette qu'il connaissait que trop. Son veil ami. Toi non plus, tu ne trouves pas le sommeil ? Il n'était plus très sûr, mais il lui semblait se souvenir avoir vu Akihiro dans la salle d'audience, alors peut-être portait-il les mêmes douleurs que les siennes. Je comptais allumer des lanternes. Je sais que ce n'est ni la saison, ni même la bonne célébration. Il haussa les épaules, détournant son regard sur l'horizon, le vent soufflait dans sa chevelure dorée. Il se sentait mieux lorsque le monde le rappelait à lui. Mais j'aimerais commémorer leurs âmes. Tu veux te joindre à moi ? Peut-être pourraient-ils les aider à apaiser leurs âmes.
Il n’y avait de bruit que pour l’écho de ses pensées et les scènes qui repassaient dans sa tête le contrariaient plus qu’il n’en avait l’air. Dépité par le calvaire enduré en silence, sous les yeux de nombreux élèves et mettant au défi les possibles rebellions, le ministère avait tenu en haleine l’assemblée par la force qui était sienne : celle de la peur. De nouveau ses mains ne servaient à rien d’autre qu’à cuisiner et se poser sur les épaules en guise de soutien. Il voudrait faire plus, mais n’en avait pas le courage seul. Il valait mieux mourir en protégeant qu’en idiot qui s’oppose à tout un gouvernement. Aussi se contenta-t-il d’essayer de trouver un semblant de paix pour cette nuit qui ne voulait laisser de répit à son esprit.
Il n’est pas seul, levant les yeux et cherchant les mots, même si aucun son ne sort, l’aura de Fuyuki se propage jusqu’à lui et réchauffe un peu sa peau. Lui non plus ne brille pas et sa voix s’éteignait avec tant de douceur qu’elle en était réconfortante. Ce soin qu’apportait le sang pur à tenir compte des états d’âme d’autrui était fascinant, car bien différent de la sienne. Même en se voulant docile, il restait un peu brut. Akihiro acquiesce pour toute réponse et observe les lanternes dont disposait l’ébéniste. « Oh… c’est une excellente idée » que pouvaient-ils faire d’autre ?
Pour sa part, le cuisinier se sentant inutile était un peu moins morose à partager ce moment avec une personne aussi calme et affectueuse que l’Awataguchi. Une chose pourtant le rendait sceptique, bien qu’il accordait sa confiance au jeune homme sans la moindre hésitation. « Je ne t’ai pas vu… je suppose que tu étais quelque part ou simplement que l’on t’a relaté les faits… » une tragédie déplorable et insupportable aux yeux d’Akihiro. S’il n’avait pas souhaité en parler davantage durant la soirée, il avait pris sur lui pourtant afin d’être là pour ceux qui à son sens en avaient besoin le plus. Il pensait à Ritsuka, dont l’ami avait été clairement mal et à raison. Mais il y en avait d’autres et maintenant… maintenant il pouvait penser à lui. À eux. Même s’il s’indignait, il n’y avait rien de plus important que la protection de Mahoutokoro et plus largement l’île qui abritait nombre de sorciers innocents. « Je suis content que nous nous soyons croisés » d’une part, parce qu’il appréciait grandement la façon d’être du jeune homme, de l’autre parce que ça lui permettait de savoir comment il allait lui. En dépit de tout le reste, il avait besoin de savoir que ses amis s’en remettraient.
Le plaisir est partagé, il est toujours plus agréable d’allumer des lanternes à deux. Il se redressa avant d’en porter une dans les mains du cuisinier, il glissa l’objet entre ses doigts délicatement. Puis, il s'encombra d’une autre à son tour. On les allume en même temps ? Un sourire. Un, deux, trois ! Et il souffla un sortilège de feu pour laisser l’objet s’illuminer entre ses phalanges. J’espère que leur vie sera aussi lumineuse et que les temps seront plus prospères. Aujourd’hui aura été un jour cruel, mais peut-on espérer que le soleil éclaira nos lendemains. Il avança doucement à la risère entre terre et mer, laissant l’eau glacée caresser la pointe de ses pieds, puis ses chevilles et remontant doucement à chacun de ses pas. Et toi, comment te sens-tu, Akihiro ?
Parce que les vivants comptent tout autant.
La saveur amère se propageait douloureusement, comme un poison dévalant sa gorge nouée pour atteindre son cœur et y insinuer les tourments perçants d’aiguilles aussi assassines que des lames. Les fissures déjà présentes, à peine colmatées par les aléas fortuits et l’accomplissement par procuration de son rêve le plus chéri ne suffisaient pas à effacer la peine. Jamais il ne serait possible d’oublier les épisodes éprouvants, pourtant la tendresse d’un sourire compatissant et l’éclat miroir devenu terne de leurs iris apaisaient égoïstement les penchants les plus sombres habitants les tréfonds de son âme fragile. Nulle place en ce monde pour une denrée si précieuse que la sensibilité d’un être. On ne reconnaissait que l’indifférence comme une force et le silence l’accompagnant changé en respect là où les émotions exprimées étaient faiblesse et où une larme devenait embarras. Curieusement, le trésor était convoitable et à l’en contempler la honte s’effritait lentement au profit d’intérêts qu’ils soient bienveillants ou non. Fuyuki Awataguchi possédait en lui des richesses inestimables dont le cuisinier ne voulait surtout pas corrompre la lumière qui en émanait.
L’ambre était destiné à briller et lui, de ses onyx à y contribuer plus qu’en éteindre la flamme. Même si ses croyances et convictions tremblaient sous les coups portés par d’injustes châtiments, en rien la noirceur ne devait l’envahir et entacher l’un des êtres qui absorbaient déjà trop de ses chagrins par sa seule compagnie.
Indisposé par les horreurs innommables, l’ébéniste avait dissimulé ses maux, préférant apporter un réconfort incertain aux défunts afin de soigner leurs âmes. Une initiative saisissante qui faisait battre plus vite le rythme pulsant sous la peau du cuisinier. Il ne sut répondre, gardant pour lui ses éloges, impulsions de toute l’affection qu’il vouait aux personnes attentives aux inclinaisons de tous sans jamais réclamer un du pourtant si amplement mérité.
Entre ses doigts, le lampion déposé dans un geste délicat réchauffa ses paumes, électrisant son épiderme parcouru de frissons au contact de caresse involontaire. À fleur de peau, il s’anime et acquiesce, écoutant le décompte dans sa peur absurde de briser le papier en le frôlant. Par la simple flamme inondant de son halo la bulle flottante, le souffle de quelques vies s’envolait au loin, bercé par l’alanguissement des mots de son ami.
La nuit constellée de leurs espoirs emporterait les vœux des égarés vers l’astre blafard à jamais leur gardien. Quant à cet avenir, il ne saurait en peindre les aspects, l’aube imprévisible surprenant de ses nombreuses facettes sans en dévoiler toutes ses teintes. Approchant à pas légers, le cuisinier laisse l’écume quérir ses membres, tressaillant à sa prise glaciale. « Le soleil se lèvera et avec lui de nouvelles couleurs auxquelles donner un sens »
Sous le masque s’étirait un sourire sans joie, mélancolie d’une époque révolue en laquelle les rires se faisaient éclats aux quatre coins de l’île. « Sans surprise je suis indigné, déçu et j’ai peur pour tous » un soupir répand sa chaleur sur le tissu, embrasant les mots trop sincères dans l’étau sombre sans en retenir pourtant la leçon. « Ce qui m’est le plus cher, en toute confidence c’est de vous savoir tous heureux ici » ses prunelles glissent sur les reflets ondulés, s’attardant davantage sur celui voisin, faisant plier les contours de l’onyx en demi-lune. « Mes émotions sont mirages des vôtres. En rien ne t’en sens coupable, je l’ai choisi » car son bonheur dépendait de celui de ses proches. Il voulait les délester de quelques fardeaux, de leurs malheurs ou tout du moins en partager le poids pour qu’aucun d’eux ne s’effondre sous la charge.
« Comment te sens-tu, Fuyuki ? » désirait-il seulement déposer sur son épaule un peu de sa peine, un peu de lui pour que tout entier Akihiro l’accepte, le comprenne et retrouve le sourire nitescent de son ami dans sa forme la plus authentique. Laisse-moi t’aider.
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