Quoi qu’il se trama en ce bas monde, il exista de récurrents fléaux qui ne filèrent pour laisser placer aux nouveaux. Il fallût une immense retenue pour que ne cède ce corps, si inutile et faible en ces moments, s’adonnant avec mal et peine à suivre le cours ; les secondes passaient, l’incommodité se muait en perçante douleur. Chaque voix, chaque souffle, chaque plume contre le parchemin, chaque mouvement sonore étaient une nouvelle et insupportable taillade, à tel point qu’elle sût qu’il relaverait d’un miracle d’être en mesure de suivre la prochaine leçon. La pensée même du fumet de maladroites concoctions emplissant la salle de potions suffit à un peu plus l’achever. Au diable l’espoir de tenir jusqu’au bout de la journée, de suivre le dernier enseignement marquant sa fin, cédant les armes, elle s’en alla quérir remède ; elle ne verra les airs enjoués du professeur Ueda, attendue par le nonchalant et lassé visage de l’infirmier lorsqu’il l’apercevra.

La douleur flétrit vite, contrairement à d’autres instances où elle torturait de longues heures, et elle aurait pu quitter l’infirmerie si, comme à ton habitude, tu n'étais venu profiter de son malheur afin de confortablement t'isoler des masses. L’infirmerie pour salle d’étude, Benhime ne se plaignait non plus d’être à l’écart de la myriade se terrant à la bibliothèque, un véritable désagrément que de perdre une demi-heure à chercher place inoccupée, si possible, la plus dénuée de visages que la simple rencontre horripile. Les occupants de l’infirmerie, tous, étaient partis, l’infirmier y compris ; à se demander, souvent, si ce dernier prenait au sérieux son travail. Probablement que non. Seuls, vous ne profitiez de la déserte pièce, chacun concentré sur différent calvaire.

Est-ce que tu peux me passer tes notes du cours de potions d'aujourd'hui ? La demande a résonné, mais tu n’as bougé, figé dans ton propre monde ; immobilisé dans tes colères, à croire qu’au-delà de toi, rien n’était digne de ton attention. Akshar. Ton prénom a claqué sur sa langue, fort, mais, encore, nulle réponse alors le ton redouble. Akshar. Un silence, encore rien ; l’hésitation de poursuivre enlaça quelque peu Benhime, lassée d’être devenue sujette à tes sécheresses, lassée de la froide distance que tu imposais inconsciemment. Akshar. Et, cette fois-ci, finalement, tu la regardas — vois-tu, sous les fronces navrées de ses sourcils, toute l’ampleur de sa désespérance ? Tu sais, il est peu agréable d’avoir l’impression de parler à un mur.

Sa main se recroquevilla et ses doigts s’enfoncèrent en un poing serré que son corps murait de ta vision — mais il suffisait d’étudier sa posture dorénavant rigide et ses joues maintenant creuses pour s’apercevoir de la casse causée par la bourrasque de ta hargne — quant aux pupilles, hagardes, elles obliquèrent des tiennes et prirent refuge dans un vide opposé. Quelques mots dont elle ne digère le choc, un ton si cassant qu’il fait encore écho dans ses os et l’impression, simple et cruelle, d’être désagrément parmi l’océan de tes problèmes et de tes défaites. Combien se sait-elle n’être que l’aléatoire victime de tout cela, les semaines passent, les semaines s’écoulent et tout s’accumule, et le petit monticule maintenant atteint d’excessifs sommets ; tu l’escalades, sans te rendre compte des éboulis que tu causes. À croire que rien ne t’arrêtera que la chute, à croire que tu préfères perdre pied que lâcher l’égo blessé auquel tu te cramponnes. Rien n'est personnel — pourtant tu l'ériges si insignifiante qu'elle ne mérite même once d'attention.

Alors une ricane aussi épuisée que peinée résonna, consciente qu’une riposte sur tes dires ne ferait que donner vie à un autre brasier et ravager un peu plus ses sentiments esquintés. Est-ce que tu te rends même compte que- Ses yeux ont voulu rencontrer les tiens, mais ont fait demi-tour à mi-chemin. Est-ce que vos routes bifurquent, muet ou sonore, tu es un mur impossible à traverser. Sûrement, l'as-tu toujours été. Ce ne fût une difficulté, auparavant. Maintenant, elle en saisit l'ampleur. Non, oublie. Maintenant, tes paroles sont dures et tes attitudes glaciales, un traitement dont jadis elle fût exemptée, l'assaillent et Benhime n'y voit que l'échec de votre relation — ô si diligente et millimétrée et exemplaire d'ordinaire. Oh, rien n’est simple ; une part de toi s’est fêlée brisée fissurée et elle l’a vite réalisé. Quelle ignominie t’a frappée, quelle honte t’enserre, quel courroux t'étrangle. Quoi que je relève ou dise, cela te sera dérisoire.

Que tu es blessant, épuisant, malplaisant !  À chaque mot, crescendo ; et jamais, de mémoire, son ton n’a grimpé si haut ni n’a sifflé de telle façon. Ni à ton égard ni en général, et ce qui l’irrite est ignorer par quelles raisons s’est abandonnée sa composition au profit de l’émotionnel. Au final, tu n’es pas si solide et, en fin de compte, elle n’est pas si stoïque. Même froissée, même affligée, même enjouée, jamais n’ont pareillement éclaté ses émotions — matées par frayeur qu’elles ne dominent sur le rationnel — et, à cet instant, elles lui échappent comme l’eau que des paumes capturent en vain.

Sous des allures de questions se tord ta fierté ulcérée, se planque la puérile algarade. Cette fois, ses prunelles firent volte-face, sans savoir si ses sourcils sont froncés par colère ou par chagrin, sans savoir si ses sclères sont rougies par l’irritation ou par les prémices de larmes frustrées. Sa poitrine s’est comprimée, mais, sous tes traits enragés, s’entraperçoivent les arrières et son poing, si contracté, se desserre. L’emportement s’effondre, le calme ne revint pourtant pas ; tes questions grésillent encore dans ses oreilles. Comment peux-tu même oser me demander ça.

Son front chute, sa main vient en soutien, s'agrippe à ses racines puis se rabat en arrière. Oui, ça m'affecte, Akshar. regarde-toi donc dans le reflet de ses yeux Et tu sais ce qui me blesse, en toute sincérité, plus que ton ignoble attitude et tes paroles tranchantes ? tu y verras un homme misérable C'est de voir pareil tourment en toi et que tu me rejettes constamment et qu'alors je ne puisse rien n'y faire. comme si elle n'était rien. comme si elle était incapable. Je suis ta fiancée, je suis depuis si longtemps à tes côtés ; et tu ne me vois même pas comme une alliée. ça fait mal, tu vois.

Une expiration, se crève l’asphyxiant abcès dans sa poitrine et il se purge du pus de ressentiments et blâmes sous le bercement que procure tes excuses. La rancune s’évanouit, si simplement, si bêtement, qu’il est impossible de s’accrocher à de quelconques traces dans un vain entêtement. En cet instant, et au cours de ce bref échange de regard, une placidité l’envahit avec telle ardeur qu’elle en finit engourdie, hésitante que toute cette scène soit réelle. Et quand tes genoux capitulent, il n’y a victoire ou triomphe qui ne s’esquissent dans ses esprits — pas même satisfaction — mais la limpide preuve que tu n’es qu’humain. Sur-le-champ, tu n’es point faible risible ou minable ; à ses yeux tu demeures Akshar. Tu soubresautes un peu, sûrement secoué par la déferlante de tes émois réprimés, et tes mains se cramponnent peut-être aux réconforts qu’a à offrir son corps, et de tes lèvres se répètent des excuses, mais l’homme au visage contre ses cuisses ne la désappointe nullement. En cette vision, germe sentiment inexplicable et bien plus fort que tout autre.

Ses doigts capturés se pressent contre les tiens, mais ça ne leur suffit point, alors ils entrelacent à eux et caressent doucement tes métacarpes. Sa main libre, déposée contre ta nuque, masse sa naissance quand elle ne se perd dans le filet de tes boucles ébènes. Des mots fuseraient si Benhime sût lesquels s’avéraient les bons et permettraient de consoler tes maux ; néanmoins, ignare, sa bouche préféra rester muette, indésireuse que ne sorte toute phrase produisant l’effet opposé à celui escompté. La jeune femme se dit que, peut-être, valait-il mieux que, un instant, silencieusement tu te perdes dans ta tumultueuse mer intérieure. Et si la frayeur de t’y noyer t’enlace, enserres un peu plus fort cette silhouette, ta bien-aimée sera ta bouée.

Sa main s’immobilisa à ton interrogation ; son corps, prit brièvement de paralysie, se remit à mouvoir par ses pupilles agitées. Sa mâchoire lui sembla disloquée, sa langue coupée, et ne sortit qu’un souffle hésitant et confus. Quand sonna ton désemparement, ses doigts se mirent à patiner nerveusement contre une de tes mèches. Je mais le début s’évanouit, rien de pertinent, rien de rassurant ne bourgeonnait sur sa langue et une frustration grimpa face à sa propre incapacité. Ni spiritualité ni camp n’étaient en jeu, seules l’humiliation et les contemplations qui en résultent. Je crois qu’il n’y a que toi qui puisses le savoir. Si tout n’est bel et bien que conneries. Le bout de ses doigts caressèrent le long de ta nuque, action qu’elle se mit à répéter C’est à toi de décider ce en quoi tu veux croire. comme si tu étais devenu la plus précieuse des porcelaines, avec le plus grand soin.

Aide-moi, et son cœur rata un battement. Sous sa poitrine brûlait l’émotion, sans qu’elle ne supplante la sympathie face à ton accablement. Sa poigne se desserra de la tienne et ses caresses stoppèrent ; entre ses mains, elle cueillit ton visage sans pourtant le relever ni river ses pupilles dessus. Ses pouces firent pression quelques secondes contre la racine de ton nez puis glissèrent au ras de tes cils, balayant tes pleurs dont elle en démentirait l’existence. Tu n’es pas une tâche noire. Tu es un Tsukino, Akshar. Il y a l’ichor dans tes veines, le divin et siècles de prestige. Ces idiots disent pareilles absurdités par envie, parce qu’ils leur est impossible d’attaquer Ishvar et toi sur d’autres points. Une main se reposa sur ta nuque, après avoir effleuré l’arrière de ton oreille. Une note d’irritation s’entendait dans le timbre, pourtant tendre, de sa voix. Rares peuvent se revendiquer aussi brillant que toi et ça les agace. Aussi cinglants soient tes mots, aussi blessantes puissent être tes opinions, rares pouvaient te contredire car s’y nichait la raison — l’unique critique serait d’en calmer leur virulence par soucis d’apparence.

Et je ne crois pas qu’aimer soit un crime, nul ne choisit de qui son cœur s’éprend, à condition de ne dévier de son devoir ou de ne se laisser aveugler. La «vermine», à mes yeux, sont ceux abandonnant ou mettant en péril leur famille au profit de leurs sentiments. Cette conviction ne t’était inconnue, à nombreuses reprises son opinion sur la matière se vocalisait et, comme à son habitude, elle ne te la forcerait.

À l’écoute de tes conclusions, se brodaient des conceptions qui t’étaient plus fidèle — et Benhime fût soulagée de te voir reconquérir tes royaumes précédemment embrumés. Contre sa joue se propagea la chaleur de ta paume et son derme s’hérissa, aux aguets, désireux de contact. C’est  naturel. Ses pupilles s’échappèrent provisoirement des tiennes, tandis que ses joues se creusèrent sous un sourire. Sa pommette se pressa contre ta caresse pour s’y enfouir ; sa main s’était déposée contre la tienne et se recroquevilla dessus, comme par peur que cette affection ne se volatilise. Ton geste lui apparut précieux, une once de douceur sincère parmi la tumulte gagnant votre société, mais elle n’avouera à quel point, plus que jamais, elle en avait besoin.

Écorchée, elle réalisait les quelconques valeurs et vertus du sentimentalisme, sans s’accorder véritable introspection à la nature de ses émois. Aussi, elle réalisait par quel désir égoïste ses doigts poussaient ta paume un peu plus contre sa peau. Jamais telle expression n’eut conquit ses traits — les espoirs vulnérables supplantaient la gêne — et tout recoin fût peint d’embarrassée amativité. Le souffle court, elle tira délicatement ton avant-bras, sollicitant silencieusement ton étreinte.

Une exhalation euphorique. Sous l’emprise de tes bras naquit une pensée : ciel et terre pourraient s’effondrer, ce ne serait si effroyable à tes côtés. Égoïstement, peut-être s’était-elle occupée des orages grondant en toi afin que tu puisses chasser les siens — une dépendance inédite à ton égard. Pressée contre ton corps, le moment de s’en séparer sera imbibé de réticence, cramponnée au besoin de ta présence. À travers  vos enveloppes, vos âmes divulguaient ce qu’elles échoueraient par le biais de vos gorges, par inexpérience ou incompétence. Les chairs se murmuraient des tendresses pendant ce muet ballet d’étreintes et caresses. Abandonnée dans cette passion, ses mains débordaient contre ta silhouette, s’accrochant, massant, palpant, une épaule, une main, un cou, un bassin, une chevelure et, autant vos silhouettes s’enlacent, se serrent, se blottissent, jamais ce n’était assez.

Quand le haut de son corps se distança quelque peu du tien, ce fût afin de, cette fois-ci, entrelacer vos regards. À ne contempler que toi, un sourire s’emparait, longuement, de ses traits devenus sémillants. Elle te savait beau ; mais, dès à présent, dans ses pupilles, tu resplendissais irrésistible. Contre sa bouche roulait ton souffle chaud, et ses lèvres frôlèrent une fois, deux fois, trois fois les tiennes avant d'en épouser leur exquise saveur, d’abord chèrement, mais chaque baiser en enflait l’ardeur.