Libérez-moi de ce démon
Tu observes le prêtre en face de toi… Hanamaru de son nom. Tu as cet air inexpressif que tu arbores toujours, ce vide dans le regard qui te caractérise si bien et qui semble être inégalable. Tu as toujours l’air de te ficher de ce qui t’entoure, de progresser dans l’univers sans qu’il n’ai aucune incidence sur toi. Pourtant, tu te protèges des agressions extérieures, et tu refuses que le monde entre en contact avec toi. Tu mets un masque pour ne pas avoir à respirer le même air que les autres, tu te laves constamment les mains pour ne pas garder en contact le toucher des autres et tu crains d’attraper des maladies. Tu ne fais pas vraiment partie de cette dimension, tu te sens à part et tu refuses que la moindre particule ne reste trop longtemps logée en toi.
C’est pour cette raison que tu te rends régulièrement au temple. D’abord parce que c’est ton devoir en tant qu’Awataguchi, de toujours rester en accord avec vos croyances mais aussi, en tant que japonais. C’est une habitude de se rendre au temple, ne serait que pour la nouvelle année. Tu n’as depuis lors, jamais connu un seul nippon qui ne s’y rend pas. Tu trouves même que ça ferait tâche, de ne pas le faire. Jusqu’à lors, tu n’es pas parvenu à obtenir une véritable entrevue avec un prêtre. Chaque fois, il y avait trop de monde à ton goût pour que tu n’oses t’en approcher.
Tu as alors attendu patiemment ton heure, comme un prédateur terré dans l’ombre qui attend le moment propice pour sauter sur sa proie. Sauf que tu n’es pas un chasseur, et que tu ne te salirais jamais les mains comme ça. Aujourd’hui, l’occasion s’offre à toi, elle est inespérée et tu ne comptes pas passer à côté. Tu observes cet Hanamaru, dont tu as entendu un jour le nom, à la volée. Il est en face de toi et ne t’as pas encore remarqué. Difficile quand on est caché derrière un épais pilier. Tu finis par quitter ta cachette et marcher droit vers lui. Tu arrives bientôt à sa hauteur et le salue de manière traditionnelle, en te penchant.
-J’ai besoin de votre aide.
La politesse ne sait pas passer la barrière de tes lèvres. Tu peines à utiliser de tels termes, en dépit de ton éducation. Ils ne sont guère un réflexe, aux grands damnes de tes parents. Nonchalant comme tu es, et surtout, sans filtre, tu ne t’embarrasses pas vraiment de formules de politesse. Tu es plutôt du genre à aller droit au but.
-J’ai besoin que vous m’exorciciez.
Tu portes ta combinaison habituelle lorsqu’il s’agit de sortir en ville : une grosse écharpe, un bonnet qui recouvre bien tes oreilles, un masque que tu changes toutes les quatre heures, et des gants. Et tu le portes en toute circonstance, bien que l’été, tu en reste au bonnet simplement. Tu ne veux pas attraper d’otite !
-Je sens qu’un mal me dévore.
Tu dis, de cet habituel air monotone que l’on te connait si bien.
Un haut le cœur me secoue alors qu’un visage se présente face à moi, il me faut une bonne seconde pour comprendre que quelqu’un vient de me saluer à l’instant, m’inclinant respectueusement face à l’inconnu – qui me disait tout de même un petit quelque chose, certainement un visage connu auquel je n’ai jamais réellement parlé.
L’impolitesse de cette jeunesse me surprenait terriblement.
Pourquoi diable personne ne se présentait ?! Je n’avais guère de détecteur pour deviner l’identité de tous ceux qui venaient à moi.
Peut-être devrais-je songer à un sort de reconnaissance. Mais ne serait-ce pas une atteinte à la vie privée ?
Oh.
Si ce n’est que le nom et le prénom, ça devrait aller, ils n’ont pas besoin de le savoir.
Quoiqu’il est certain qu’ils finiraient par le savoir.
J’aurais simplement à dire que Tenjin m’a communiqué leurs noms, belle stratégie.
Il y avait sur son visage autant de vie que sur celui d’un cadavre, et je trouvais ce fait tout à fait fascinant, garder une expression aussi fade sans que cela soit de sa propre volonté relevait d’une sorte de miracle.
Ou de malédiction comme il semblait le croire.
Mis à part cela, ce jeune homme – apparu de nulle part – était tout à fait normal.
Est-ce désormais une mode de venir me voir pour un travail qui n’est point de mon ressort ? Pourquoi les jeunes se croient tous malades, et pensent qu’il est dans mon pouvoir de les soigner des maux qui les entravent ? Drôle de génération que celles d’aujourd’hui.
L’exorcisme concerne les morts, ou sert à la préparation de la mort, par des rites de purification afin de calmer les rancœurs à venir.
Alors qu’entendait cet enfant sur le fait de l’exorciser.
Il est essentiel de me purifier, cela m'aiderait à me sentir mieux, et plus léger. J'espère que vous serez à la hauteur de vos compétences
Bien sûr, tu ne t’es pas présenté au prêtre. Il peut être assez difficile d’exorciser quelqu’un lorsqu’il ne connaît même pas le nom de son patient. Tu le supposes, du moins. Tu n’es pas vraiment un spécialiste de ce genre de pratique. Toi, tu désires simplement être purifié. C’est la première fois que tu viens ici, alors que tu devrais y mettre plus régulièrement les pieds. C’est vrai, ça ne te ferait pas de mal de te rendre plus souvent au temple. L’atmosphère y est agréable et puis, cela peut aussi te permettre de t’apaiser plus communément. Et puis, tu as la sensation qu’il te faut être en bon terme avec les dieux.
-Oh, je me nomme Akashi Awataguchi. Est-ce que cela change quelque chose de connaître mon nom ?
Tu demandes avec curiosité. Peut-être qu’il trouvera ta question stupide mais tu n’as pas pour habitude de t’inquiéter de ce que les gens peuvent penser de toi. Sans filtre, tu t’exprimes selon le gré de tes pensées, pouvant parfois passer pour quelqu’un d’irrespectueux. La monotonie de tes intonations ne trahit aucune émotion, rendant difficile la compréhension de tes intentions véritables.
-Oh.
Tu réponds avec une légère déception. N’ayant pas pensé qu’un tel traitement soit réservé uniquement aux défunts.
-Je ne pense pas être en parfaite santé. Je suis souvent sujet à des crises d’angoisses. Je porte ce masque pour éviter d’attraper des maladies, venues de mes congénères à l’hygiène douteuse. Je suis aussi assez sensible à la poussière et autres allergènes qui peuvent se promener dans l’air. Je me juge trop faible encore, mon système immunitaire n’est pas encore assez fort. Je pense que j’ai peut-être attrapé quelque chose venu de quelqu’un d’autre. J’aimerais que vous me purifiiez. Je veux recevoir l’aide des dieux. Il n’y a qu’eux qui peuvent me venir en aide.
Tu poses tes genoux à terre et abaisse la tête, abîmant ton pantalon sur la poussière du temple. Pourtant, tu le fais quand même.
-S’il-vous-plaît. L’infirmier de l’école est trop incompétent pour vraiment m’aider. Il dit que je fabule et que je devrais arrêter de paniquer pour rien. Mais je sais qu’il a tort, personne ne me comprend jamais.
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