Nous étions tous attachés au trône de l'Etre Suprême par une chaîne souple, qui nous retenait en nous asservissant. La sienne reliée son cou à la main du chef absolu de la famille, briserait sa nuque en un simple mouvement du poignet, déliant sa tête du reste de sa carcasse inutile. Au sein des Tsukino, elle avait ployé le genou, faisant fie de sa dignité, offrant sur un plateau sa vie si peu importante aux yeux des puissants. Elle lui donnait son existence, n’y mettait aucune objection et promettait une existence de services.

Dans cette pièce, il apparaissait comme le pire des épouvantards. Sa stature prédominante, ses gestes mesurés d’une force non-dissimulée, il pouvait la détruire en un claquement de doigt. Pire, il avait la possibilité de mettre à terre ses opposants. Il dessinait l’espoir d’un peuple et - léger - il les conduisait d’une main de fer, d’un jugement divin. Un frisson la parcourut à la fois de terreur et d’un désir primitif de se soumettre. Les gènes des assassins avant elle s'enflammaient. Un maître trop longtemps absent, un maître dont la présence éclipsait n’importe quelle autre. Inconsciemment, elle courbait cette échine que lui seul avait le droit de faucher. De ses doigts, de cette obscure présence palpable et suffocante, ses mots anéantirent le moindre de ses espoirs. Elle baissa la tête, écarquilla des yeux, comprit enfin la douloureuse réalité qu’elle avait pris des années à nier.

Il était de retour.
Il reprenait la suprématie qu’il avait longtemps délaissée.

Il récupérait son trône, son pouvoir, sa famille. Il reconquérait son existence qu’il lui était due depuis sa naissance. Ninmah n’était pas née pour simplement vivre. Ninmah respirait pour lui confier sa destinée mortelle. Il régnait sur elle comme du bétail. Il s’emparait de sa vie dans cette naturelle possession. Car, elle lui avait toujours appartenu. Car, elle n’avait jamais eu d’autres dessins que celui-ci.

Ses jambes cédèrent sous son propre poids, au pied d’un homme qui n’hésiterait à l’écraser. Elle releva ses pupilles sur les courbes démoniaques de son monarque. Sa gorge brûla, les larmes ne viendraient jamais. Son essence prenait le chemin macabre de son ombre. L’espoir périt dans sa lumière, englouti par les ténèbres. Rajan cherchait son pareil dans le vœu des regards. L’espace qu’il parcourait jusqu’à ses ambitions serait sa fidélité à elle.

- Je le sais, Un murmure. Un silence. La lame contre sa gorge menaçant une respiration trop forte ou trop lourde. Ses griffes se resserrèrent, écorchant cette coquille vide. votre seigneurie Tsukino.

Menaçante, sa chair finirait couper à la moindre hésitation. Elle avait déjà rendu son dernier souffle, avant même de traverser cette porte. Ninmah, l’enfant, avait déjà fait le deuil de son identité. Elle savait ô combien après cet échange, elle ne serait plus la même. Elle attrapa l’arme blanche entre ses deux mains, coupa ses paumes dans ciller. Le vermeil tâcha le sol de son innocence perdue, de cette liberté factice. Un sanglot désira épancher sa souffrance et sa détresse. La froideur tira ses traits, muée par une résolution. Elle assurerait ses arrières, protégerait la noirceur de ses formes, elle aimerait et chérirait cette fidélité dévorante. Pour la détruire, pour lui conférer un désir. Elle abattit ses mains ensanglantées contre le sol, posa son front à plus bas que terre, se replia un peu plus dans son allégeance empreinte de désolation.

Je vous serais fidèle qu’importe la mort, qu’importe le destin et vos décisions. Mon âme, mon corps, mes actions vous sont dûs. Mon sang vous appartient. Ma lame sera la vôtre. Si vous mourrez, je m'en irai vous rejoindre également. Si je dois mourir, cela sera uniquement de votre main, Rajan-sama.

Elle serait sa volonté sur cette terre, dans cette vie et dans l’au-delà. Elle serait à lui.