Liés dans le crépuscule écarlate - Seigneur Awataguchi
Tsubomi Tsugikuni
Liés dans le crépuscule écarlate
Feat. Takumi Awataguchi
Je suis debout dans le soleil
Je marche.
Je me tient désormais en modèle
pour ma famille, pour le miens, pour mes attaches.
Le vent joue avec moi comme il parle aux feuilles
et mon indépendance sonne son deuil.
Proie d’une image d’autrefois, le temps est une dette sans nom.
Chasseresse d’un avenir sans renom.
Et dans la lumière qui s’en allait, qui revenait, j’attendais
avec la conviction que l’horizon avance sans jamais se rapprocher.
Kohaku m’a amené jusqu'ici, comme le ferait un geôlier à son prisonnier. J’ai abandonné toute volonté suprême de me rebeller. Takumi Awataguchi. Les contours de son prénom - frêles - me sont légèrement inconnus, troubles et disparaissent dans le peu de moments que nous avions partagé. La nature et les êtres me murmurent des choses à son sujet. Les rumeurs s’infiltrent dans les clans, telle une poudre d’escampette. Volatiles, éphémères, parfois mensongères, parfois d’une vérité absolue. L’engeance des vipères pour qui je voue un mépris serein. Assise à genoux sur le parquet de ce kiosque où notre rencontre officielle doit se dérouler, le chef Tsugikuni m’a délaissé pour avertir mon arrivée. J’appréhende une apparition, garde au creux de mon estomac cette appréhension, cette sensation d’impuissance.
Je me suis lavée de toutes mes espérances et le monde ruisselle sur moi,
dans la volonté de raffermir mes convictions, je bois tous mes émois.
Je sens dans ma chaire, le frémissement du feu désespéré,
et de l’incapacité de me dissocier de cette offrande espérée.
Sur le seuil de ma prison se dessine le domaine de son illustre propriétaire,
Mes ailes se brisent, rentrent dans cette cage dorée.
Sa réputation appartient à des âges millénaires.
Ma liberté édulcorée
s’effrite et me quitte.
J’ai délaissé mon koto à côté de moi, j’ai revêtit le masque des convenances et de la noblesse honorée de cet archipel. Trente années s’évaporent en cendres. Trente années factices qui m’ont tant fait entrevoir une vieillesse adorée, dénuée d’un amour arrangé. Je vais épouser un homme que je n’ai aperçu que quelques minutes au détour d’un couloir, d’un lieu ou d’une réunion. Je me donne à un homme que je n’ai pas choisi et dont je ne connais que les fabuleux exploits de guerres, de sang, de tueries. Tout ce que j’exècre sans la moindre considération. Je me souviens de sa froideur, de son indifférence et des échos sibyllins d’un leader implacable. Avec qui vais-je me lier pour le restant de ma vie ? Bien des saisons nous séparent, j’imagine que c’est ma fertilité qu’il désire, affirmer cette alliance par une descendance. Je sers sur un plateau d’argent la protection et l’assurance à ma famille. Mais, par la même occasion, je suis servie tel un met de haute condition.
Un serviteur l’annonce. Je me redresse et m’incline, séante.
Seigneur Awataguchi.
Cette appellation brûle ma gorge depuis l’annonce de nos fiançailles. Je relève les yeux vers sa stature imprenable. Son aura s’infiltre dans l’espace, m’atteint avec force. Son unique œil visible se pose sur moi, impassible. Un frisson remonte mon échine, dévore cette peur que je nourris depuis. Est-ce qu’il est comme on le raconte ? Comme on me le décrit ? J’ose espérer que non. Pourtant, rien ne m’indique le contraire.
Takumi Awataguchi.
Pour la première fois,
l’amour inconcevablement âpre,
est entièrement fait
de choses qui me sont arrachés.
Il ne restera plus rien de mon nom quand j’en posséderai les lignes du sien.
ASHLING POUR EPICODE
Takumi Awataguchi
18 février 1998
Comme attiré par lui, il s’était retrouvé à se noyer dedans.
Maudit, monstrueux, effrayant, Takumi était bien des choses.
Et nombreux étaient les qualificatifs qui le rendaient plus féroces encore.
Dans le fond, il n’était rien d’autre qu’un chef capable de tout pour les siens, qu’importe les horreurs qu’il devait commettre pour leur permettre de vivre paisiblement. Qu’importe combien il devait sacrifier son âme, combien il devait se souiller du mal pour espérer voir son clan survivre.
Depuis toujours, il n’avait fait que vivre au nom des Awataguchi. Son individualité lui avait été arraché dès son plus jeune âge, et bien qu’il eût dans sa jeunesse quelques rêves rebelles – désireux d’une liberté qu’il avait aujourd’hui oubliée – ils n’étaient désormais que de lointains souvenirs. Petit, il n’avait pour seul désir qu’une vie paisible, mais son devoir lui avait fait prendre la voie opposée à ses onirismes enfantins. Son âme à jamais souillée des crimes la rongeant, Takumi était tâché du sang de ses victimes, silencieuses, mais auparavant si bruyantes lorsqu’il se retrouvait seul. Et les rumeurs le concernant étaient d’une terrible vérité, qu’importe la noblesse dont il faisait preuve, ses mains étaient pourpres du sang de ses pairs.
Il avait scellé son cœur, l’avait écrasé pour que plus jamais il ne l’encombre dans son devoir.
Ensanglantée, son âme ruisselante des maux du passé.
Takumi avait simplement accepté qu’il ne pouvait ne penser qu’à lui.
Il fut nommé chef, et sa liberté, elle, s’envola à jamais.
Le sujet d’un futur mariage avait rapidement été abordé, discuté, et la femme qui devrait un jour prendre son nom avait été choisi sans grand désir. Elle n’était à ses yeux qu’une preuve d’une alliance maintenue, un pacte entre deux clans pour survivre à travers le temps. La jeune Tsugikuni n’était d’une silhouette qu’il avait autrefois aperçue lors de réunion ou au détour d’un couloir, sans jamais lui prêter plus d’attention, inconnus désormais fiancés par le devoir du sang.
Et il se doutait qu’il était à ses yeux comme un bourreau.
Qu’elle le pensait monstrueux et infâme,
Car ses exploits étaient teintés de sang,
Qu’il était vu comme un homme sans cœur, sans âme depuis bien longtemps.
Il ne pensait nullement à contredire ces rumeurs dont il était affublé, conscient qu’elle avait toute un certain degré de vérité. Takumi avait tué des enfants, avait mutilé des femmes, avait décapité des hommes, sans jamais éprouver de peine à leur égard. Il n’avait nul regret face à l’horreur de ses actes, ils étaient tous nécessaires au bon fonctionnement des règles.
Il était un être froid, méprisé par certains, adorés par d’autres, dont la réputation le rendait plus implacable encore qu’il ne le fût réellement.
Il était un monstre.
Et il l’acceptait.
Annoncé par un serviteur, nulle émotion ne traversa ses traits alors que son unique œil se posa sur elle. Takumi était semblable à un blizzard, observant sans un mot de longues secondes celle qui deviendrait un jour sa femme. Puis, d’une voix paisible, il salua la jeune femme.
Mais il pouvait bien faire un effort de parole, car un jour, ils seraient liés jusqu’à la mort.
Tsubomi Tsugikuni
Liés dans le crépuscule écarlate
Feat. Takumi Awataguchi
La peur de la pluie et les cendres tachent mes plumes,
Mon envole poursuit le temps dans son enclume.
Les larmes peuvent être trompées,
L’amour est difficile à simuler.
J’entends le vent se flétrir et mourir comme s’il chantait mille chansons ;
Par delà les nuages, par delà les éthers, par delà les montagnes éloignés,
Par delà les confins des sphères étoilées, je songe.
À tant de possibilités.
Sa voix se répercute dans ma poitrine, fait frissonner mon échine. Son attention ne brise pas cette intimité qu’il instaure immédiatement. Je reconnais, au-delà de la silhouette d’un semblable, la véracité, la férocité du chef qu’on m’a tant parlé. Mes domestiques me murmuraient à quel point c’était un honneur de me fiancer à un tel homme, un tel guerrier, un tel meneur. Il semble être des personnes irréfragables, de celles que l’on ne peut contredire ou contester. Je connais ô combien la dichotomie des mondes n’épargne le plus frêle des enfants. Le bien et le mal n'existent pas. Il n’y a sur cette terre que des hommes, dont l’obduration des cœurs apportent la guerre âpres et les péchés. Pourtant, son respect à mon encontre suscite un rictus timide. Je prends place en face de celui avec qui je partagerai son nom, sa protection et son lit.
Dans ma mémoire immortelle,
je désire graver celui pour qui je serais fidèle.
Vous pouvez m’appeler Tsubomi, seigneur.
Et si un jour, tout cela me le permet, je chérirai l’intonation d’un Bomi, parvenant de vos lèvres.
Après tout, nos liens se forgeront à l’attention des cieux,
je ne peux renier cette relation silencieuse.
Au prémices de tout notre histoire ;
Comme deux âmes, comme deux miroirs.
Son hospitalité éteint la peur cuisante dans mon estomac. J’observe son profil, le cache-oeil qui barre la moitié de son visage. La pâleur de sa peau, jusqu’à la courbe de ses lèvres corallines, c’est peut-être bien la première fois que j’ose le contempler, ou l’apercevoir à cette distance - certes officielle - de notre entrevue. Je ne peux dénier la beauté de ce seigneur et la dureté indifférente qu’il en émane. Le reste d’appréhension ne réside plus que dans l’avenir qu’il prévoit de cette union. L’homme - lui - m’intrigue à présent par cette amabilité et les incarnations de sa réputation. Merci de votre accueil. Inclinaison aimable de la tête, avant de découvrir à nouveau son unique pupille sur ma personne. Ma curiosité se demande dans le secret de mes pensées ce que peut bien cacher ce masque, mais ma retenue et mon humble position ne se permettrait une pareille question. C’est avec plaisir que je partagerai un thé avec vous. Habituellement, je proposerai d’accompagner ce moment de détente du koto qui siège à mes côtés. Seulement, ce tête-à-tête ne rime pas à grand-chose à part pour les anciens et les convenances de nos deux clans. Je suppose qu'il a davantage à faire que de profiter de mon écoute. J’inspire.
Ce jardin est d’une beauté ravissante.
Comme votre domaine.
D’une telle délicatesse et pureté qu’il contraste avec cette image qu’ils donnent tous de vous.
Je me défais du tableau qu’ils me dépeignent, libère ma pensée.
Vous serez ce que vous me montrez de vous.
Que vous soyez un monstre, un ogre, un loup,
vous êtes, à partir du moment où Kohaku m’a annoncé votre nom, mon futur époux.
On pourrait me décrire comme une femme insensée ou dérangée, mais moi qui ne supporte point la disgrâce et la conspiration, je me ferais l’avis de son humanité ou de sa déchéance à l’intérêt de ce que nous nous confirons. J’espère - un jour - avoir la possibilité de m’y promener en votre compagnie. Me faire découvrir votre chez-vous qui deviendra à mon tour mon foyer. Un sourire sur le coin de mes lippes, peut-être cela ne sera qu’une veine demande à ses oreilles, cependant il n’appartient qu’à lui et à moi d’y répondre. Pour l’heure, à part la conviction même d’une alliance avec les Tsugikuni, j’écouterai ce que vous attendez de notre union… Les mots hésitent à passer la barrière du son.. Et je n’aspirerai qu’à votre complète sincérité.
Le calme sifflant revient.
Ai-je trop parlé ?
Il le faut. Pour lui. Pour moi. Pour ce qui nous attend ensemble ou séparément. Moi qui possédais l’envie d’aimer un être choisi, j’éteins cette flamme dans l’obligation de mes devoirs. J’ai besoin de savoir ce qu’il désire de moi, ce qu’il veut de moi, et comprendre ce que je recherche en lui.
ASHLING POUR EPICODE
Takumi Awataguchi
18 février 1998
Et bientôt, cette femme serait l’une des leurs.
Le seigneur connaissait ses limites, et aujourd’hui, il se savait incapable de la protéger de son monde pour l’éternité. S’il avait été qu’un simple chef de branche, peut-être aurait-elle pu rester insouciante, mais ici bas, la douceur était la plus grande des faiblesses.
Son unique pupille se portait sur le vermillon des arbres, il est vrai que le domaine avait quelque chose de majestueux, et il n’imaginait pas le voir autrement, même lorsque la mort viendra l’emporter vers un autre monde.
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