Là où les jours s’étirent et la panique cède sa place au calme factice, Ishan fulmine. Quand lui se languissait même de ses amis, eux risquaient vie et honneur contre un mal qui lui apparaît encore douloureusement innommé ; quand lui s’ennuyait à en quémander des cours supplémentaires, un élève se voyait amputé d’un bras et certainement accablé d’un traumatisme permanent.
Il aurait dû être là.

L’occasion ne s’était pas présentée et aujourd’hui, au sommet d’un monde qu’il semble avoir abandonné, la quiétude est amère. Enfant bouillonne face aux dangers qu’autrui avait toisé et geint de n’avoir pu protéger ce qui, d’ultime abord, comptait terriblement pour lui. Les plaies d’Haruka ne seront guère passées inaperçues, pas plus que la fatigue tirant les traits de son aîné. Une seule consolation, bien maigre, ressortait de ces heurts: Sahana était sauve.

Hissé jusqu’à la volière, étrangement apaisé par les piailleries des oiseaux, Tsukino se laisser aller dans un soupir éreinté ; drôle de sensation, que d’être inutile. Désagréable et froide, elle griffe dans ses chairs un élan nouveau, insensé ; sang-pur se croit capable de protéger ce qu’il aime maladroitement, quand bien même sa conscience en rit, dubitative. Menteur, chante-t-elle, il te faudrait d’abord admettre les chérir.
Il l’éteint d’un agacé grognement, ses doigts froissant une des plumes de son faucon. Excuse marmonnée au croassement insurgé de l’animal et ses caresses reprennent leur rythme distrait, quelques graines glissées de temps à autres.

Les portes grincent et tes pas tirent son attention de sa contemplation silencieuse, l’aigreur d’un rictus lui déchirant la lippe. Hayashi. T’as une sale gueule. La raillerie roule le long de sa langue et colle contre son palais, plus maussade que d’ordinaire. J’ai entendu dire que t’étais là-bas, mouvement vague de la main, les horreurs réduites au mutisme, même si j’dois admettre que j’ai pas remarqué ton absence.

Les crocs sont émoussés à l’aube de vos piques et Ishan ricane de ta mollesse, paresseusement appuyé contre l’une des fenêtres. Sérieusement, t’as pas mieux? La constatation est ronronnée et félin roule des épaules sous ta mauvaise humeur - c’est la tension qui vibre dans ses muscles et les tire dans son insatiabilité. Il avait beau voler à en craqueler son balai, rien n’arrivait à la cheville d’un crochet du droit correctement asséné.

Qu’est-ce que tu veux que je te dise? On n’est pas tous resté sagement à l’école, à se tourner les pouces.
Il aurait pu se contenter des habituelles taquineries, le venin blafard sur son tendre apex. Mais là où joutes passées avaient le goût du sucre et de la délicate malice, c’est armé de haine que tu t’attaques enfin à lui, et le rictus qui déforme alors ses traits se fait carnassier.

Ironique, quand on sait que c’est exactement ce que t’as fait là-bas. Souvenirs amers des jambes brûlées et des regards glacés, familles et amis fracassés par l’adversité - et toi au milieu, inutile, à regarder la mort ronger l’os de toute une populace. C’est bien orgueilleux de ta part de me blâmer, quand ta seule excuse c’est d’être un moins que rien. Enfin la piqûre est acide, dos détaché du mur il enjambe vos vides pour te toiser de son oeil mordoré.
Comment tu te sens, préfet, quand tu sais qu’un de tes élèves a eu le bras tranché, et que t’as rien su faire? Et peut-être que c’est lui qu’il voit, lorsqu’à ta gueule le cadet gronde. J’aurais fait mieux, le silence scande durement, j’aurais fait mieux si j’avais été à ta place.

Les crocs sont montrés et deux élèves cèdent la place aux prédateurs - les mots tranchent en griffes aiguisées, les sourires se muent en babines grossièrement retroussées et Ishan encaisse, ronronne sous l’assaut de ta frustration. Grand bien lui en fasse ; il en partage l’entièreté.

Tu penses que tu aurais fait mieux, c’est ça ? Et tu t’y serais pris comment ? En rageant après ton frère parce qu’il t’aurait encore prouvé sa supériorité ? Un rire froid fait craquer sa nuque. Oh, Yori, c’que tu peux être débile. M. Tsukino est un professeur avant d’être mon frère, ici. Si ta famille n’a aucune manière, c’est pas le cas de la mienne. Je sais me tenir. Et son sourcil s’arque dans son immuable arrogance, les bras soigneusement croisés - comme pour se retenir de sauter à la gorge de l’insolent.

Finalement c’est sa faiblesse que tu attaques, rongeant tes impuissances pour l’accuser du même handicap. Ton problème, Ishan, c’est que tu rages de ne pas avoir été présent. Mais concrètement, qu’est-ce que t’aurais fait de plus ? Et c’est peut-être la morsure de trop. S’insurger d’un passé déjà douloureusement révolu, au rythme d’une joute aussi verbale qu’elle est inutile - la comparaison entre vous fait enfin bouillir l’hémoglobine courant dans ses veines et d’une impétueuse enjambée Ishan tranche le vide qui vous sépare. A ses bras décroisés, son poing fermé ; le premier coup est sec, décoché à même la mâchoire si impertinente.

J’aurais fait bien plus que toi, Hayashi. T’as servi à rien alors que t’aurais pu. T’es sûrement resté planté là, comme un con, à regarder les autres se mettre en danger. La main est secouée, douleur sourde résonnant fébrilement dans le poignet. Il avance, encore. Crache, serpent. Un professeur a eu les jambes brûlées. Un élève a eu le bras coupé. Et toi, dans tout ça ? Tu mérites pas ton titre de préfet. Et d’une main tyrannique, il agrippe ton col et te dresse à sa hauteur souveraine. Tu mérites même pas ton titre de sorcier. Défends-toi, ses yeux hurlent. Qu’à l’adrénaline se joigne la douleur, il n’en tirerait que la satisfaction pure d’enfin ressentir quelque chose.

L’effronté se rongeait le sang - te frapper l’avait plus fait souffrir que le moindre de tes vipérins discours, et c’était une réalisation qui faisait fondre sur le brasier de sa haine un torrent de terreur. Coup rendu, la lippe se fendit sous l’assaut du poing et de la canine malencontreusement plantée ; l’hémoglobine avait des goûts de réalité, et Ishan se surprenait à la savourer.

Mais qu’est-ce que tu crois, Ishan ? Que j’ai regardé bien sagement, sans intervenir ? Que je n’ai pas fais ce que je pouvais ? Il cracha son sang nécrosé, menton vaguement essuyé par le revers d’une main tremblante. Un rire, tranchant. Il faut croire que c’est ce qui est arrivé. La douleur qui se propageait le long de ses nerfs s’attelait, acharnée, à dévorer jusqu’au dernier lambeau de sa raison - et ainsi Ishan se tenait, du haut de son indicible arrogance, toisant un frère qu’il ne parvenait à appeler ennemi.

Tu poursuivais et l’attaque au vol résonna dans ses oreilles comme un appel à l’aide ; les remarques perdaient de leur acidité, palabres jetées au vent dans l’espoir qu’ils raviveraient l’incendie de vos frustrations. Je n’ai rien dit de tel. C’est ton complexe d’infériorité qui parle. Il ronronnait fièrement, ignorant la tension ficelée autour de ses épaules.

Qu’est-ce que t’en as à faire, réellement ? Je doute que tu ne te préoccupes de qui que ce soit, si ce n’est de ta petite personne. Aucun de tes précieux protégés n’a été touché, si ce n’est le professeur Kashiwagi. Alors comment tu pourrais savoir ce que moi j’ai ressenti, en voyant des personnes que j’aime avoir été blessé ?

Sa lippe se pinça, fiévreuse. Il te dévisageait de son incompréhensif orgueil, happé un instant par ta tirade - une épiphanie s’attaqua à son myocarde comme un molosse son mollet et, sous l’effroi et l’adrénaline, cadet Tsukino te plaqua contre le mur d’une violente torsion du poignet. L’articulation gémit, mais lui l’ignora, l’oeil luisant d’une larme solitaire qu’il refusait de verser. Son poing s’écrasa, cruel, à quelques centimètres de ton impudent visage.

Tu te trompes. La voix trembla et il blâma la colère, niant l’évidence ; s’il avait pris le temps de s’asseoir avec, peut-être aurait-il découvert qu’elle s’appelait douleur. Tu ignores tout de moi, Yori, si tu penses que je ne m’inquiète pour personne d’autre que moi. Ca n’était plus qu’un demi-mensonge ; il constatait, entre la douleur des phalanges enfoncées dans le mur et celle d’être si ouvertement insulté, qu’il se préoccupait de plus d’une seule personne.
Parmi elles, à son grand dam, tu figurais. Bien triste réalité qui noyait alors sa rage de sa pluie torrentielle - il n’était pas énervé de ton impuissance, loin de là, mais de la sienne. Envahi par mille alternatives, plus d’une résultant à la mort (à ta mort), il serra les crocs.

Ses doigts, leur derme rompu laissant dégouliner d’épaisses larmes de sang, s’agrippèrent à ton menton dans un spasme furieux. Dis-moi, murmura-t-il - le ton saturé de menace, qui es-tu pour me traiter d’égoïste, quand tu ramènes tout à ta petite personne ? Un rictus mauvais ourla sa lippe blessée, enfouissant ses bien tristes sentiments dans les tréfonds de son thorax. Dûs-tu haïr sa gloriole, on l’enterrerait bien avant qu’il ne t’appelle ami.

Le sang dégoulinait entre ses doigts, le long de sa tempe, et de son menton - il se sentait déjà ridiculement affaibli par la douleur, plus habitué aux relents des sorts qu’à la violence des poings. Le sien lui paraissait boursouflé, la torsion de son poignet trop sèche pour s’exempter de conséquences ; mais Ishan, trop fier pour admettre la défaite, était sans équivoque prêt à renvoyer ces mêmes phalanges fendues contre ton visage arrogante, si tant était que tu en attisait la flamme.

Au lieu de cela - la chute.
L’injure était crachée, et il avait su dès lors que les limites avaient été outrepassées, que les émotions virulentes et vos incapacités viscérales à les exprimer avaient fini par ronger votre haine jusqu’à la moelle. Tu capitulais d’une poignée de répliques cinglantes, chacune coupant plus profondément dans son âme que tes coups avaient su le faire dans son corps ; il se languissait alors de la lancinante souffrance des hématomes qui s’y formaient sûrement, anesthésiée par celle qui pourfendait son poitrail.

Dégage, alors. Appuyé contre le mur, trop épuisé pour tirer sa propre révérence, il expulsa sur le sol un immonde cocktail de sang et de mucus, sa gorge irritée tant bien d’avoir crié qu’inhalé des bouffées d’air trop rêches. L’altitude ne jouait pas à son avantage, pourtant il prit la peine de décocher un regard gorgé d’arrogance et d’une haine sans égale. Et va crever ailleurs, Hayashi. Un arrière-goût pitoyable de fin s’immisça entre ses crocs, empoisonnant sa langue et retournant son estomac d’un haut-le-coeur inquiétant ; il en ravala l’essor d’un même ensemble que les remords acides qui se hissaient jusqu’à sa gorge, et laissa ses yeux se fermer piteusement, à peine apte à écouter l’abrupt son de ta présence. Dégage.