Sa peau le démangeait, mais c’était une sensation singulière, bien différente des picotements que les manques engendraient. Non, ce matin-là, c’était comme si son enveloppe était détraquée, ne convenait guère à la personne qu’il osait être - et le sentiment restait familier quand, dans le coeur des vacances, Ange se réinventait sous un nouveau jour plus tendre, plus petit encore que l’adolescent qu’il était supposé incarner.

L’inconvénient, avec l’école, était que son uniforme le forçait à rester le même. Pas qu’il ne pouvait modifier ses traits, mais plus que la base demeurait inchangée ; un garçon, là où le coeur se languissait d’autres attirails. Et cette fois, le dérangement en caressait l’insupportable. Aussi s’était-il faufilé jusqu’aux bureaux de son nouveau directeur, non sans lui faire part d’une missive explicative. La pression broyait ses côtes à son poing frappé contre la porte, les épaules soulevées d’une tension apatride. Il inspira, résolu, et passa l’entrée.

Bonjour monsieur, souffla-t-il dans une révérence saturée de respect. Peut-être était-il partiellement feint quand, à la vue habituelle de l’adulte, Ange se détendit enfin. Je sais pas trop à qui je pourrais parler en fait, c’est pas tant que j’ai besoin de vos conseils mais plus d’être redirigé. J’irais bien voir monsieur Okumura, mais je me tourne déjà trop vers lui. Enfin bref. Il s’installa sur un siège et ses pieds s’agitèrent instantanément, les jambes trop courtes pour en toucher le sol. Coup d’oeil alentours, déstabilisé par l’environnement étranger. Vous allez bien, au fait? Jolie déco. L’ombre d’un sourire retroussait sa lippe, ses doigts tremblotant d’envie de toucher tout objet déposé sur le bureau.

Mon souci, c’est l’uniforme. Vous savez que je suis métamorphomage, hein? Bah voilà, des fois, euh, j’ai envie de changer. Je crois que c’est un truc de métamorphomage, justement. Mais l’uniforme, il change pas avec moi, et ça fait bizarre. Enfin la taille, ça va. Sauf que les filles, elles portent une jupe, vous voyez? C’était autour du pot qu’il dansait, les mèches s’imprégnant graduellement d’un rouge embarrassé. Ah, je sais que c’est peut-être un peu bizarre pour vous, mais j’me suis dit que vous comprendriez. Comme vous avez les cheveux longs, et tout.

A mesure que les secondes passaient, Ange regrettait sa décision. Aux démangeaisons faufilées sous sa peau se heurtait la glaciale réalisation que rien de bon n’allait sortir de cet entretien - une peur viscérale qui lui rongeait le sang d’un même ensemble qu’il se mordait la lippe, son discours maladroitement conclu.

Monsieur Ueda, répondez moi franchement, combien de fois par semaine utilisez vous la métamorphomagie ? Vous savez qu’à votre âge c’est très dangereux d’en abuser, que cela vous demande beaucoup d’énergie et de concentration, surtout lorsque vous devez maintenir une transformation complète. Ses lèvres se pincèrent, la pression immuable entre ses omoplates ; il désirait d’ores et déjà s’enfuir, se soustraire au regard critique du professeur. C’était une mauvaise idée et, à l’impulsivité, Ange était saturé de remords.

Tout va bien. Demi-mensonge soufflé timidement, les doigts entremêlés dans une étreinte nerveuse. J’en- j’en abuse pas, ça me fait pas mal et.. Et je suis pas fatigué. Enfin, pas plus que les autres élèves. Au regard plissé de désagrément, il abhorrait les horaires monstrueux et la quantité irraisonnée de travail - rage instinctive qu’il n’arrivait à verbaliser et qu’il ravala péniblement à la vue de M. Fujiwara. Là n’était pas le sujet. Et c’est- c’est pas le problème. Est-ce que vous avez écouté ce que j’ai dit ?

Frustré, griffant l’intérieur de mains ficelées, il soupira. C’était peut-être une mauvaise idée. Si vous comprenez pas Monsieur, je peux partir. Mais je suis pas venu pour- pour mon, euh, don? Je suis venu pour l’uniforme. Peu enclin à se faire sermonner, il prenait son courage à deux mains - et scellait son destin.

Le sermon fichait dans son poitrail de froides flèches imbibées de venin - l’envie de s’insurger lui traversait les veines, mais Ange n’avait rien d’un héros. Il hochait la tête piteusement face à l’adulte supposé le guider, sans manquer d’ignorer le moindre de ses conseils. Une seule idée restait bloquée dans le creux de son esprit, et il s’agissait d’une retraite pas plus stratégique que désespérée. Vous avez reçu un uniforme de garçon au début de votre scolarité, et vous le conserver jusqu’au dernier jour de votre scolarité.

Opinant faiblement d’un chef désoeuvré, petit kitsune se leva de son trône de bois. Je comprends. Je mettrai pas ma santé en danger avec la métamorphomagie. Et je garderai l’uniforme des garçons. Ah, ses yeux piquaient, et la démangeaison sous son derme n’en était qu’accentuée. Mais qu’importait, il y avait toujours les jours de week-end. Merci de votre temps monsieur Fujiwara, et bonne journée. Nulle excuse d’avoir grappillé quelques malheureuses minutes, seuls les regrets de s’y être éreinté.

Il s’inclina le plus poliment possible, et tourna prestement les talons, insatisfait.