Une désagréable sensation lui rongeait les sangs, exacerbée par son impuissance ; c’était un augure gravé dans ses os, altérant les mouvements à leur donner une allure mécanique. Les événements enchevêtrés les uns dans les autres et séraphin se languissait d’un passé dévoré par le temps, de sa quiétude réduite en lambeaux par une adversité à laquelle aucun de vous ne semblait préparé.
Ange était, tout simplement, inquiet.

Et il n’en avait pas l’habitude, l’esprit volage et le coeur frivole - le souci n’avait pas assez de pouvoir pour froisser son front de rides, les seules autorisées à déformer ses traits rehaussant son regard de pattes d’oies. Ange Ueda n’avait que faire des problèmes, et vivait tant bien en les provoquant qu’en les ignorant. Cette fois-là, cependant, il ne pouvait empêcher les goulées d’air laborieuses de se frayer un sinueux chemin dans ses poumons, les viscères comprimées d’un indescriptible, insupportable sentiment.

Alors, bien entendu, ta vue avait balayé tout son tracas d’une vague d’affection immense, raz-de-marée inondant de rose tout le noir qu’ange s’était mis à broyer. La démarche chaloupée, une adorable révérence et son myocarde battait d’inconditionnel amour, les lèvres tirées sur ces sourires que toi seul lui arrachait. Il réciproqua la courbette, riant sous cape - faux sérieux dans la courbe de sa lippe, ourlée d’insouciante impatience.

Mais avec grand plaisir, Monsieur Ueda ! Voyez, je porte déjà votre nom. A mon avis, le fil rouge nous a lié dès la naissance, et je me ferais une joie de voir cette certitude confirmée par une tierce personne. Ses doigts se glissèrent à ton bras cédé, son timbre déjà grave mû en un tendre ronronnement. J’aimerais en avoir quatre. Un garçon, deux jumelles, puis encore un garçon. Tous métamorphomages. Une idée (brillante) s’était injectée dans son esprit (moins brillant). Yume, je crois que je viens d’avoir une idée fantastique. Imagine si on échangeait de tête ? Et on ferait croire à tout le monde que tu es moi, et que je suis toi. Admets-le, c’est du génie !

Ange trépignait déjà, ses pas dansant à tes côtés jusqu’aux toilettes. L’animal se dressait dans sa splendeur muette et l’angelot, fasciné, le fixait d’un oeil simplet, luisant de curiosité. Permets-moi de prendre le premier tour. Une oeillade, tendre, vers toi. Honnêtement Yume, si je devais me marier un jour, ça ne serait certainement qu’avec toi. Et, d’un regard déterminé vers la bête, il rugit - allons !

J’aimerais avoir des faux-jumeaux. Un garçon et une fille, je veux dire, mais ils pourront échanger, s’ils sont métamorphomages. Et j’aimerais appeler un des garçons Angel. Comme ton prénom, mais en anglais. Un sourire tira sur ses commissures pour en déchirer la courbe, fichant sur le faciès du gosse le ridicule de son plaisir - ah! un bon choix, si tu veux mon avis, ricana-t-il aussitôt. Un des miens, si j’en ai, s’appellera Rêve. C’est Yume, mais en français ! Je l’ai appris grâce à.. Ah, zut,
son nom piquait.

Tu poursuivais sur tes difficultés, et le sujet fit volte-face assez vite pour étouffer son deuil dans l’oeuf. C’est pas grave, je peux t’apprendre. Enfin, pas tout de suite, mais bientôt. On verra, et au pire, personne sera surpris si tu dis que tu es moi - ils penseront que je me suis coincé ! Il en rit, fébrile ; nul besoin de dramatiser vos heurts, leur ampleur déjà exacerbée dans le creux de vos esprits d’enfants-mirages. Honnêtement, si tu venais à en épouser un autre, je me sentirais obligé de lui déclarer la guerre, comme aux anciens temps, quand on devait se battre pour obtenir une main.

Sa tête s’agita, l’air de dire silence, crétin, mais rien n’y fit. Je me demande si ça arrivera. Tu crois que Mamoru m’épouserait ? A l’acerbe candeur des mots, sa gorge se noua - sombre idiot parlait plus vite que son cerveau ne le lui permettait, et le myocarde s’étouffait de sa propre crédulité. Détective Conan en réconfort s’était répété, et ses sourcils se froncèrent à l’annihilation de son attention.

Ah. Je crois qu’il se moque de nous. Les prédictions sont nulles. On refait un tour, et si c’est encore pas drôle, on va ailleurs ? Son iris s’illuminait d’un éclat juvénile, saturé des espoirs de gosses. Peut-être que c’est un signe - nos âmes sont si soeurs que les prédictions sont les mêmes pour moi que pour toi. Le pouce se joignit au majeur pour faire tinter sa hâte, et il reprit : éblouis-moi !

Tu me donnerais des cours particuliers ? Je ne m’attarderais pas sur les possibles blagues tendancieuses, mais je n’en porte pas moins d’intérêt… L’absence de contrôle de ses aptitudes couvrit immédiatement ses cheveux de rouge, si vif qu’il n’était sans rappeler la teinte maudite des origamis saturés de luxure. Ah, Yume… Tu peux pas me dire des trucs comme ça aussi sereinement, tu sais très bien que j’en rêve chaque jour ! Et l’angelot se pressait déjà contre toi, ricanant aussi gracieusement qu’une hyène surexcitée.
Mais l’engouement fut de courte durée. Je crois surtout que je n’aurais pas beaucoup de scrupule à le combattre.

Il déglutit un instant, l’incompréhensible émoi te traversant le laissait pantois. Est-ce que tu le détestes vraiment ? Il lui semblait impensable de passer sa vie aux côtés d’un de tes ennemis - mais le jeu n’était pas fini. Pire, ils venaient à peine d’entamer la deuxième partie, et Ange se sentait en veine. Si, moi, je te demandais de m’épouser, nous n’aurions même pas à choisir qui prendra le nom de l’autre. On pourrait même être un couple d’hommes, de femmes, ou d’homme et femme. Tu crois que tu me choisirais ?

Et Ange - Ange avait beaucoup de sourires. Il alternait régulièrement entre la courbe taquine, les commissures dressées d’excitation insoutenable, mais de calmes sourires, il n’en avait qu’un ; un qui t’était exclusivement réservé, tant il était gorgé du plus pur des amours, de la plus candide des tendresses. Je t’épouserais n’importe quand, Yume. Demande-moi quand on sera adultes, et tu verras. S’il s’écoutait, il t’aurait passé la bague au doigt dans l’instant - mais personne n’aurait eu l’audace de vous marier à votre âge si tendre, et il s’en désespérait. Peut-être que Saburoo nous mariera, dans quelques années. Peut-être que j’aurai le coeur brisé.

Les prédictions minables s’enchaînaient, faisaient monter au creux de sa poitrine une indolente protestation. Finalement, à l’arrachée de tes points, il s’offusqua. Hah ! C’est débile, de toute façon. On prédit pas le futur, encore moins quand on mesure trente centimètres. Langue tirée dans une explosion de maturité, et il t’attira à sa suite pour fuir la bête mensongère. Désolé, je pensais pas que ça allait arriver. Mh, qu’est-ce qu’on fait ? J’ai envie d’aller manger, et faire une sieste. Et puis, hésita-t-il un instant, je dois retrouver Mamoru avant qu'ils ferment le labyrinthe… Comme une supplique, la prise de ses doigts se raffermit.