Ses crocs s’étaient serrés d’un désir immuable de verser un torrent de larmes frustrées. On n’avait jamais rejeté Ishan, adulé dès son plus jeune âge - cadet si loin de l’aîné qu’il voyait parfois plus en lui un père qu’un frère, à défaut d’hériter d’une famille il se satisfaisait d’une vie en tous points similaires. On l’aimait et on le louait, et à ses côtés princier il y avait Ishvar, cousin presque jumeau ; la même arrogance, la même frustration, le seul qui semblait en saisir la viscéralité et en voir le potentiel.
Jusqu’à ce que son outrecuidante confiance ne les condamne à d’autres épilogues.

Il ne sut jamais ce qui l’avait poussé à le confier - la réaction avait été aussi prévisible que décevante, le rejet ouvrant dans son poitrail une plaie qu’il n’aurait de cesse de lécher, animal blessé abandonné à des remords par milliers. Penchants confiés dans le creux de la nuit, et le dégoût auquel il s’était heurté avait glissé entre ses cils des perles d’eau salée qu’il accusait relents d’océan plus que larmes d’enfant.

Exilé au pied d’un arbre plus vieux que le monde, à en chercher la sagesse sans pouvoir l’atteindre, Ishan rangeait ses émotions derrière un masque impénétrable, et songeait à enterrer ses secrets sous les racines du Sakura. C’était une décision qu’il ne se résolvait à prendre et, dans le coeur de son indécision, toi.

Au vu du lieu choisi, je me demande : cherches-tu l’amour ou à noyer ta peine ? Mâchoire contractée, il force un sourire à courber ses lippes mais n’atteint pas ses yeux, brouillés de haine adolescente. Ni l’un, ni l’autre. C’était la colère qu’il ruminait, plaie béante qui lui traversait le coeur pour y déverser d’immondes pensées. C’est le doute, je crois. Plus jeune, Ishan n’était pas si enragé, à peine mû par une détermination sans pareille - il goûtait simplement à sa première déception, et n’avait été préparé à sa saveur si âcre et répugnante.

J’ai perdu un ami. Un des meilleurs, qui plus est. Les mots se bousculaient à la lisière de ses lèvres, si avides de s’expulser des tréfonds abîmés de son estomac - là, Ishan avait ruminé assez de rancoeur pour que la bile lui paraisse douce, et l’atmosphère qui régnait autour de vous avait des allures de confessionnal. Pour une maigre différence de goûts. Aux vagues aveux, il se répugnait ; mais l’idée désagréable de te voir disparaître de son flanc lui était plus insupportable encore que la certitude qu’Ishvar ne s’y tiendrait plus jamais. Et toi, qu'est-ce qui t'amène ? L'amour, ou la peine ?

A t’entendre, on croirait une dispute d’enfant à propos de la couleur qu’ils préfèrent. Pitié, dis-moi que ce n’est pas aussi puéril. Ses doigts juvéniles se pressaient nerveusement, mus par l’envie stupide d’y serrer l’extrémité mouillée d’une cigarette. C’est à peu près ça, mais en plus grave, je suppose. D’un autre côté, non - ses désirs ne l’empêchaient de remplir ses devoirs, ni n’excluaient les douces courbes de ses camarades. Il n’y avait nul obstacle à sa réussite, quand bien même ses yeux dansaient quelques fois le long de hanches trop étroites, au détour d’un couloir juste assez bondé pour que le regard soit fugace.

Il rongea son ongle à défaut d’une clope, le pouce fiché entre ses dents fébriles pour s’occuper l’esprit. Aucun des deux. Je ne faisais que traîner et je t’ai remarqué, alors je me suis approché. Oeillade discrète, teintée d’une émotion qu’il n’aurait su décrire - c’était perdu qu’il faisait face à ses tourments, louveteau jeté dans la cage aux lions comme un vulgaire amuse-gueule n’avait su se débattre contre les morsures de son propre sang, de sa propre famille. C’est Ishvar, tenta-t-il frileusement. Le nom paraissait froid sur la langue fiévreuse.

Il m’a vu embrasser quelqu’un, et ça lui a déplu. Ishan virevoltait d’un bout à l’autre du problème sans oser y poser le doigt, la gorge serrée d’effroi ; une part de lui, irraisonnée, nourrissait l’ardent désir de te voir dénicher la vérité dans ses confessions à demi-mot. Pas par jalousie, bien au contraire… Il était révolté. Le bout d’ongle que ses crocs émoussés torturaient céda enfin sous leur pression, tirant une misérable goutte de sang - il avait tiré trop fort. Et il n’a rien voulu entendre, même quand je lui ai dit que ça ne changeait rien. Des années de complicité avaient volé en éclats à la vue impie de ce piètre écart de conduite ; l’indignité le terrassait de ses vagues impitoyables, et Ishan s’y noyait sans trop de résistance.
Dis-moi, Yori, commença-t-il d’une voix ridiculement petite, est-ce honteux, que d’apprécier autre chose que les femmes ? Ses paupières s’étaient déjà rabattues, couvrant tant bien le soleil que ton visage. Il n’était pas prêt à affronter la même expression révulsée, mais Ishan n’avait jamais eu l’intention d’être discret. Si ça l’est pour toi, alors adieu.

Laisse-moi deviner. Elle est née-moldue? Ses lèvres se pincèrent, corbac grommelant un simple sang-mêlé sans pour autant développer. Ses confessions tombaient d’un bloc, le menton haut d’une fierté qu’il feintait majoritairement - et tu injuriais, peut-être sans le vouloir, le même sang qui coulait dans ses veines. N’insulte pas mon cousin, marmonna-t-il faiblement. Valait-il toujours la peine d’être défendu par un cadet qu’il avait si insensiblement rejeté ? Ah, Ishan l’ignorait - mais l’aimait encore, au-delà de son orgueil blessé.

Tout le monde n’est pas aussi stupide que ton cousin, Ishan, pas la peine de prendre ces airs de mélodrame. Sourcils se froncèrent d’offense, et il s’apprêtait à défendre - non sans véhémence - son mélodrame avant que tu ne le coupes dans son élan à coup de confidence diurne, l’arrière-goût de secret empoisonnant le fond de sa gorge. ...Tu me l’as jamais dit. La mine renfrognée d’un adolescent guère préparé pour ce qui l’attendait, et les poings serrés, épris de doute.

Finalement, un soupir. C’est plus.. Compliqué. Enfin, non, pas vraiment. C’était facile quand c’était les autres, tu vois ? Une notion un peu écartée, à part. J’avais pas besoin de me poser la question, et puis, il est arrivé… Tout s’était passé en un éclair ; tours de balai, le vif d’or en passerelle, et d’un coup, le Quidditch oublié. Ses yeux se baissèrent, assombris d’une honte qu’il n’aurait su cacher.

Je suis pas.. Je veux pas être comme ça. J’avais pas l’intention de l’être, geignait-il comme s’il avait eu le choix, mais maintenant qu’Ishvar sait, j’ai peur de ce qui va arriver. C’était un sentiment étrange, que la peur - Ishan habitué aux projecteurs, quitte à les voir à demi-braqués sur son frère. Ishan qui ne craignait nul regard tant il était accoutumé à l’admiration, aux chuchotis sur son sillage. Ces derniers temps, les murs lui paraissaient vils, et leurs racontards méprisants. J’aurais dû me retenir, souffla-t-il alors, ramenant piteusement ses genoux contre son torse. S’il n’avait rien fait - rien dit - rien pensé ; il n’en aurait pas été dans cette infâme situation.

Tu m’en aurais parlé, toi, si tu ne t’étais pas pris la tête avec Ishvar ? Silence - qu’avait-il à répondre, autre qu’un assentiment à contrecoeur ? Ses lèvres restaient fermement pincées, ses sourcils froncés. Je trouve toujours assez ironique que l’on puisse accepter certaines choses chez les autres, mais les nier dès qu’elles nous touchent nous-mêmes ou nos proches. Ca s’apparente assez à la méthode de l’autruche.

Crocs serrés et dévoilés dans un grognement, il se redressa d’un geste brutal. J’ai l’impression que tu m’insultes, Yori. Si c’est un moyen pour toi de te foutre de ma gueule, passe ton chemin, le moment est très mal choisi. Rongé d’une colère minable qu’il savait dirigée vers son cousin, il caressait la tendre idée d’en apaiser le brasier sur d’autres victimes - et la violence ne s’était jamais faite désirer entre vous, lassée autour de vos poignets et de vos gorges dévoilées. Je ne pense pas qu’il y ait de honte à être attiré par quelqu’un du même sexe, Ishan. Et je pense pas non plus que tu doives te préoccuper de l’avis des autres.

Il soupira, plus exaspéré par ses propres troubles que par tes solutions bancales. Beau discours, inutile mais fort plaisant. Ca te va bien, se risqua-t-il à ricaner un instant. Sa mine se renfrogna bien vite. L’avis des autres construit ma vie à moi, et je n’y peux rien. Tu devrais le comprendre mieux encore que moi - tu es l’héritier de ta famille, moi pas. Il craignait simplement ce que ledit héritier allait en penser. J’ai peur de la réaction de Rajan. Ishvar est… Était mon meilleur ami, et je sais que le dégoût qu’il ressent ne vient pas de lui. Peut-être que mon frère m’a épargné ces maximes en subissant le même lavage de cerveau, et qu’on me chassera de la famille pour avoir fourré ma langue dans la gorge d’un sang-mêlé à-demi étranger.
Main passée dans sa crinière brune, les yeux brillants d’un or liquide et désabusé. Si j’avais su, je l’aurais au moins sauté.

Ne fais pas ta victime, Ishan. Ou alors, prend-toi en à ton véritable bourreau. Oh, ta gueule. J’ai le droit. Il souffle bruyamment, manifeste son irritation dans une pichenette contre les cailloux. Pas besoin de remontrances—il en subit juste assez pour espérer un peu de répit, avec toi.

C’est justement parce que je comprends que je refuse de m’y arrêter. Et ses yeux se lèvent au ciel dans un rire maussade ; il s’appuie contre le tronc du sakura, dépité. Super. Mais on n’est pas pareils, toi et moi. J’ai pas l’intention de m’opposer à ma famille, affirme-t-il fièrement—non, il en apprécie les membres et en respecte les décisions. Ishvar n’est qu’un grain de sable dans un désert métis, et Ishan vit sous le couvert d’un frère trop protecteur pour le mettre en danger.

Sur cette certitude, il se relève ; entend ses genoux craquer, et éclate toutes les bulles d’air coincées dans ses articulations en quelques étirements. Foutu pour foutu, j’aurais dû aller au bout. Maintenant, je sais pas—de toute façon, ça dépend pas que de moi. Séparé de Xue dès lors qu’Ishvar les avait pris en flagrant délit, il ignore encore s’il saura le saluer convenablement la prochaine fois.
L’oeil s’abaisse, main tendue vers toi pour t’assister dans ton ascension. Allez, tu m’casses les couilles, j’ai eu ma dose de tes conseils de pédé. On rentre ?