Ta respiration est chaotique. Tu en ris, devant eux. Faussement joueur, faussement charmeur. Tu étouffes. Tu caches sous une légère révérence, un apéritif que tu fais passer à gauche, à droite, devant les yeux, pour les occuper. Ta poitrine te fait mal. Tu as mal. Tu as si mal. Ton corps va s'effondrer. Tu trembles.

Une main brutale sur ton épaule, un regard que tu reconnaîtrais entre mille et tu te redresses. Le sourire s'accroche à tes lèvres, les tire jusqu'à en avoir mal. La main disparaît, la silhouette s'efface, et tu te tiens bien droit. Tu as mal, mal, mal, si mal. Ta main glisse dans ton cou, comme pour enlever la corde qui vient enserrer ton pouls. Il n'y a rien. Juste une sensation terrible que tes doigts tremblants ne peuvent enlever.

Tu t'excuses d'une parole tremblante, légère révérence, et te voilà tâtonnant. Une pièce. N'importe laquelle. Seul. Là où tu peux t'enfermer, rester seul. Seul. Seul. Seul. Une poignée, que tu abaisses sans t'en rendre compte. Une porte, que tu ne refermes pas. Et te te laisses choir sur le sol. Jambes tremblantes, respiration haletante. Tes doigts desserrent le col de ta chemise, mais rien n'y fait. La corde se resserre, se resserre, se resserre encore. Et ça brûle, et ça démange, et tu ne peux plus respirer, plus inspirer, plus expirer. Et tu as mal, si mal, si mal, si mal.

Et tu veux juste respirer.
Arrêter d'étouffer.

Humide sur tes joues, sur tes tempes, sur tes doigts. Tu saisis l'insaisissable, resserres ton étreinte sur le tissu de ta chemise. Tu la tires, défais les boutons à la hâte, et pourtant, pourtant, la corde se resserre toujours, et tu ne peux pas respirer, respirer, respirer.

Et tu veux juste respirer.
Arrêter de t'asphixier

Tu crois entendre des pas, sous ta respiration erratique, sous le sifflement de tes tympans, sous les battements effrénés de ton cœur. Tu aimerais rester silencieux, ne pas faire de bruit, te taire, te taire, te taire, ne pas te montrer dans cet état. Faible. Que diraient tes parents, s'ils te voyaient dans cet état, s'ils savaient ? Que diraient les autres ? Tout disparaîtrait. Tout deviendrait. Non. Non.

Et tu as si mal, si mal, si mal. Tu veux respirer, et tu aimerais vraiment. Et tu songes au fait que tu dois respirer, sinon, tu ne pourrais pas penser, tu te serais effondré, évanoui, et pourtant, tu es encore bien conscient. Tu as juste mal, mal, mal, si mal. Une main sur la tienne et tu saisis les doigts qui te semblent si froids, glacial, comparés aux tiens.

Yori.
Yori.
Yori.

Tu serres, si fort, si fort, et tu portes ta main à ta poitrine, secoues la tête de gauche à droite. Tu n'arrives pas à respirer. Tu n'arrives pas à respirer. Tu n'arrives pas à respirer. Et tu paniques, et tu angoisses. Qu'il fasse quelque chose, que ça s'arrête, qu'il t'assomme. Et tu veux respirer, respirer, respirer, respirer. Ca te manque tellement, ctte chose que l'on fait automatiquement, sans s'en rendre compte. Respirer.

Yori t'aidera à respirer.
Yori t'aide toujours à respirer.
Yori t'aidera toujours à respirer.

Bouée de sauvetage dans l'océan tumultueux, soleil au milieu de la tempête. Yori. Yori. Yori. Yo... Yori, Yori, Yori, aide-moi, aide-moi, aide-moi.

Tu veux juste, juste, qu'il te fasse respirer.
Comme il l'a toujours fait.

Cette sensation ne veut pas te quitter. Et tu aimerais, pourtant, la repousser, l'enfoncer, l'enterrer ; tu n'y arrives pas, peut-être n'y arriveras-tu jamais. Il est si proche, et pourtant, tu ne peux penser qu'à la corde invisible autour de ton cou qui se resserre toujours un peu plus. Tu n penses pas à lui, à son corps contre le tien, à sa voix qui atteint à peine tes oreilles sous les pulsations effrénées de ton rythme cardiaque. Il veut que tu le regardes, que tu le regardes lui, mais ouvrir les yeux, arrêter de pleurer, respirer est un supplice, une torture que tu voudrais faire taire.

Que l'on t'achève.

Tes pupilles s'accrochent à sa bouche. Inspiration. Tu la vois. Expiration. Tu la sens contre tes lèvres. Inspiration. Expiration. Inspiration. Expiration. Et au bout de ce qui te semble une éternité, tu arrives à suivre son rythme. Plus ou moins, toujours plus rapide, mais tu y arrives, petit à petit. Ta respiration se calme, les battements de ton cœur avec ; les sifflements semblent disparaître dans tes tympans. Tu n'as plus l'impression d'être sous l'eau, en train de te noyer. Yori... Ta main se serre contre sa chemise et tu fermes les yeux, plus calme, soudain beaucoup trop fatigué. Merci. L'étau est toujours présent sur ta poitrine, la corde entoure toujours ton cou ; la panique, les larmes déferlent encore... mais tout va mieux. Parce que Yori est là.

Tout va bien.
Yori est là.
Tout va bien.

Yori. Et ses mains te semblent si fraîches contre ta peau brûlante. Yori. Et sa douceur te donnerait l'impression que tu n'y as pas le droit. Yori. Et sa voix atteint tes oreilles comme une si belle mélodie. Yori. Et sa perfection te fait frissonner. Yori. Yori. Yori.

Le remercier. Plus tard. Pourquoi plus tard ? C'est maintenant, qu'il est là. C'est maintenant, qu'il t'aide. C'est maintenant, que tu respires. C'est maintenant, que tu l'aimes. Tu l'adores, tu l'aimes, tellement, trop, sûrement. Yori. C'est toi, qui devrais le protéger, et non le contraire. C'est toi, qui devrais être là pour lui, qui devrais être son bouclier, sa lance, son épée, tout ce dont il a besoin pour vivre. C'est toi, Jian, c'est toi qui devrais le délivrer, pas lui. Parce que c'est toujours lui qui te délivre, qui te sauve.

Ah.

Tu l'aimes tellement. Tu l'aimes tant. C'est terrible, cette sensation ; aimer peut-être, aimer sûrement, mais jamais vraiment le souligner, se promettre de ne jamais le lui chuchoter, murmurer, susurrer. Si jeune. Si jeunes. L'amour vous est interdit. Il t'est interdit, surtout si c'est lui. 

Lentement, ta main abandonne sa chemise, vient se poser sur sa joue et tu te recules un peu, décolles vos fronts, tu lui souris. Tu lui souris tendrement, le visage tiré, encore, mais tu lui souris, parce qu'il est là, il est avec toi, et c'est tout ce qui t'importe. Il t'a vu, il t'a suivi, il t'a sauvé. Merci. Mais ta main l'abandonne, et tu défais l'étreinte, tu te recules, fais glisser l'arrière de ton crâne contre le mur, et tu fermes les yeux.

Distance entre lui et toi. C'est le mieux à faire, parce que c'est ton ami, ton meilleur ami, ton seul véritable ami. Et c'est sûrement la meilleure chose à faire. Pour lui, pour toi. Pour vous deux. Mais tu devrais y aller. Je survivrai, t'inquiète pas. Tu survivras. A le regarder de loin, à l'aimer silencieusement... oui, tu survivras.

Il y a des fois, où tu te penses trop jeune. Trop jeune pour aimer, trop jeune pour vivre comme tu l'entends, trop jeune pour tes envies de disparaître, trop jeune. Trop jeune. Et des fois... des fois tu te sens trop vieux, comme si tu avais déjà trop vécu, comme si chaque jour était un fardeau, comme si tu pouvais t'effondrer à chaque instant, à chaque minute, à chaque seconde. Quand Yori est là, toutefois, tu te sens juste toi, complètement toi, entièrement toi.

Il veut rester là, et il te demande de ne pas le renvoyer, de ne pas l'obliger à partir. Et tu souris un peu plus. Tes paupières se soulèvent et tes yeux encore humides et rouges viennent à la rencontre des siens. Ah. Tu aimes son regard. Je t'obligerai jamais à rien, Yori. Au contraire, je pense que c'est plus moi qui t'obéirai aux doigts et à l’œil. Tu accompagnes tes paroles d'un clin d’œil, d'un rire légèrement taquin... mais au fond de toi, Jian, tu sais que c'est vrai, que c'est une sorte de promesse que tu lui fais. Cela fait plusieurs mois, désormais, que tu aimerais pouvoir remplir chacune de ses demandes, exaucer chacune des ses envies, accomplir chacun de ses désirs. Une parole, et tu t'exécuterais. Une parole, et tu t'exécuteras.

Tes doigts viennent glisser sur le sol, attraper les siens, puis s'entrelacer avec. Tu fermes de nouveau les yeux. Sous tes doigts brûlants, tu sens son pouls, tu ressens même sa chaleur. Et finalement, Jian, tu pourrais rester comme ça des heures entières, sans jamais t'en lasser, sans jamais vouloir le quitter.

Je ne résisterai à aucun de tes désirs. Tu sais qu'il n'a pas voulu le dire de cette façon. Tu sais très bien qu'il disait autre chose, mais toi, Jian, tu décides de répondre comme tu l'entends. Non, tu ne résisterais à aucun de ses désirs, parce qu'à quoi bon résister ? Tu ne veux pas résister, au contraire, tu veux céder, te laisser aller, glisser dans ces envies ; tu veux tout accepter de lui.

Il vient se glisser contre toi. Vos jambes se touchent, vos côtes aussi, et sa tête se pose contre ton épaule. Ton coeur rate un battement, ou peut-être deux ou trois. Tu ne sais pas. C'est rare, venant de Yori, cette proximité, cette intimité ; car même avec toi, il met une barrière. Une barrière qu'il ne veut pas baisser, une barrière dans les fondations sont trop profondes, dont la largeur est trop épaisse. Une barrière que tu as tant de mal à lui retirer. Parce qu'il y a toujours quelque chose, chez Yori, une protection. Il se protège. Du monde entier. Des autres. De toi.

Peur d'être blessé, peur d'être aimé.
Peut-être un peu des deux.
L'un va rarement sans l'autre.

Ne m’abandonne jamais. Tes paupières se soulèvent, et ton visage se tourne vers le sien. Ah. C'est dur de l'aimer comme ça. C'est difficile, d'accepter cette demande, et pourtant, c'est si simple. Un sourire vient étirer tes lèvres avant que tu ne les déposes là, non loin de sa tempe. Jamais. Non, jamais. Et à tes oreilles, ces mots marquent la plus belle des promesses que tu peux lui faire. 

Il t'embrasse. Ce n'est pas ce qu'on pourrait appeler un vrai baiser. C'est plus, une pression sur tes lèvres, une pression douce, une pression hésitante, une pression qui te surprend venant de lui ; assez pour que tes yeux restent ouverts, assez pour que tu croies à un rêve.

C'est le silence qui accompagne ce baiser que tu ne comprends pas. Tu le regardes, le détailles, et tes yeux sont remplis d'incompréhension. Tu murmures alors, sans même t'en rendre compte : T'en avais vraiment envie, au moins ? Et c'est plus fort que toi, de le demander. Tu sais que tu ne devrais pas, mais tu es fatigué, ce soir, après cette crise. Tu es fatigué, après cette journée à faire semblant, à jouer les parfaits héritiers et prétendants. Fatigué de devoir être la perfection que tu n'atteindras jamais, mais que tu as toujours désiré atteindre, pour eux, pour eux, pour eux, seulement pour eux.

Et tu ne comprends pas trop pourquoi Yori t'a embrassé. Est-ce qu'il le désirait ? Est-ce qu'il en avait envie ? Ou est-ce que ta promesse, cette promesse que personne ne lui a jamais faite, a secoué quelque chose en lui ? En avait-il vraiment envie, ou était-ce simplement parce que tu te trouvais là, ici, maintenant... et qu'il avait besoin de quelqu'un ?

Il met de la distance entre lui et toi, tu le comprends, tu as été plutôt froid sans même t'en rendre compte. Mais tu n'as pas envie qu'il s'éloigne, qu'il s'en aille. Et il te répond. Oui. Oui il en avait envie, et tes joues rougissent légèrement. Oui, il en avait envie, Jian. Il avait envie de t'embrasser, de ce baiser un peu hésitant, à peine appuyé. Et ça te rend heureux. Vraiment heureux.

Ton visage trouve de nouveau le sien, ton nez vient se caler contre le sien, et ta main libre glisse sur sa nuque. Oui, il en avait envie. Il en avait envie, Jian, alors il ne t'en voudra pas, si tu l'embrasses à ton tour, n'est-ce pas ? Ta confidence t'abandonne presque, disparaît un moment avant que tu ne murmures, beaucoup trop proches de ses lèvres : Pour savoir... pour savoir si j'avais le droit d'en avoir envie aussi. Tu ne sais pas pourquoi il t'a embrassé, si c'est par pitié, par besoin, pour passer le temps, par tendresse, par amour. Que t'importe, finalement. C'est important, mais tu ne veux pas y réfléchir, surtout, pas maintenant. Demain, peut-être.

Et ton pouce caresse sa peau avant que tes lèvres ne viennent à la rencontre tes siennes, dans un baiser plus tendre que le premier, plus appuyé que le premier... plus amoureux que celui qu'il t'a donné.

Ah. Il faut y mettre fin à un moment où à un autre. Et apparemment, le moment est venu beaucoup plus rapidement que ce que tu ne le souhaitais. Il y a un instant, où il regarde tes lèvres, où tu regardes les siennes. Et tu aurais presque envie de l'embrasser encore. Tu en as envie, même, mais tu hésites à combler ce désir. Il ne faut pas abuser des bonnes choses, après tout.

Tu te recules alors, après t'être rapproché un peu trop de ses lèvres, comme si tu voulais lui voler un baiser. Mais un seul est déjà trop. Tu soupires alors, évacuant la fatigue, le stress, les larmes que tu sens encore coincées dans ta gorge, et tu te laisses tomber, la tête sur ses genoux. Allongé sur  le flanc, tu fermes les yeux. Juste quelques minutes. Juste quelques minutes avant de retourner dans votre prison. Juste quelques minutes avant de remettre sur ton visage le sourire illusoire. Juste quelques minutes avant d'abandonner votre bulle de tendresse. Juste quelques minutes... avant que tout redevienne comme avant.