L’obscurité t’entourait, enlaçant ton corps, étouffant ton âme. Tu ne savais pas où tu étais, car tu ne pouvais distinguer que ton corps, tes deux mains, tes jambes. Tout autour de toi n’était que vide, d’un noir étrange et absolu, et tu peinais à saisir ce que tu faisais dans un tel lieu. Un pas en avant, puis deux, tu marches sans savoir où cela te mène. Un rire retentissait tel un écho, ton cœur s’affolait, se serrait, et tu observais les lieux d’un œil craintif. Ton souffle se brisait, alors qu’un bruit métallique assommait tes sens, te figeant sur place. Une immense douleur s’emparait de ton bras, avant que tu ne remarques ce monstre face à toi.

Seulement, tu ne pouvais pas bouger, rien ne se passait alors que tu tentais de fuir.

Il s’approchait, dans un rire sinistre, avant que la douleur de ton bras ne se fasse encore plus fort, des sueurs froides glissant le long de ton front, un craquement d’os horrible et tu remarquais ton bras dans la gueule du monstre, le sang s’échappant de celui-ci. Tu étais pris d’un haut le cœur, remarquant l’état lamentable de la chair, qu’on pouvait y voir ton os, qu’il n’était plus que bouillit.

Et avant que le monstre ne puisse faire quoique ce soit de plus, tu te réveillais dans un sursaut au contact d’une main sur ton corps. Un clapissement de terreur s’échappant de ta gorge alors que ton regard apeuré se déposait sur ton camarade de chambre.

Yori.

Doucement, ton cœur calmait ses battements, sans que tu ne comprennes pourquoi la présence de ton aîné puisse t’apaiser ainsi.

« Je t’ai réveillé ? Je suis désolé. »

Le cœur lourd des mauvais rêves qui t’assommaient, tu te sentais terriblement fragile, le corps tremblant d’une peur que tu ne savais contenir. Parfois, tu te disais que ta peur était idiote, un simple traumatisme enfantin dont tu ne savais pas te défaire, mais quand un monstre composé de chaudron faisait de ton bras une bouillie infâme, te condamnant à le perdre, tu te disais parfois que tes frayeurs étaient excusables, logiques, qu’on ne pouvait pas te juger d’être effrayé depuis que tu avais perdu ton bras.

Parce que tu tremblais de peur, des larmes aux bords des yeux, à peine de retour dans la réalité. Tu ne pensais pas que Yori pouvait avoir une présence si apaisante, mais tu te raccrochais presque désespérément au fait qu’il n’était pas loin de toi, qu’il était quelqu’un de confiance finalement. Tu hochais la tête, acceptant de le suivre – refusant d’être seul – prenant un plaid avec toi afin de t’enrouler dedans, désireux d’une protection bien qu’infime.

Tu te posais à ses côtés dans le canapé, tremblant toujours bien que tu tentais de ne pas le montrer, cachant tes peurs alors qu’on ne voyait que ton désespoir et ta peine.

« Oui. »

Toujours, tu rêvais de ce bras arraché à ta chaire, tu cauchemardais sur ce monstre qui t’avait tant fait souffrir.

« J’ai tellement peur que ça me rend malade. »

Est-ce que le pire était réellement arrivé ? Tu étais en vie mais tu y avais vécu l’enfer, la douleur ne voulait pas s’atténuer, comme graver dans ta chaire. Takashi, tu savais bien que tu n’étais pas le plus à plaindre, pourtant tu avais cette terreur qui ne voulait te quitter, tu te sentais emprisonner, torturer sans que tu saches comment t’en sortir, comment respirer à nouveau. Les images de Kyoto te hantaient, tu respirais mal dès que tes souvenirs frôlaient ton esprit, ton corps tremblant d’une peur que tu ne savais pas contrôler.  

« Est-ce que j’ai vraiment vécu le pire ? Peut-être que le pire arrive Yori, ça me hante, les souvenirs m’étouffent, j’entends encore le craquement de mes os, le bruit de la lame qui m’arrache le bras. Je vois encore le sang qui immaculait ma peau, j’en sens même encore l’odeur, celle des cendres, de l’humidité. »

Et au fil de tes paroles, ta voix devenait incertaine, tes yeux s’embuaient de larmes que tu n’arrivais pas à retenir, le cœur se serrant douloureusement dans ta poitrine, ta gorge se faisant terriblement sèche. Ton corps tremblait, toujours terrifié, effrayé par les mauvais rêves : par la réalité.

« Je n’irais pas la voir. »

Tu ne voulais pas.
Tu n’avais pas envie d’y mettre un peu.
Et tu remontais tes genoux contre ton corps, les enveloppant de ton bras valide avant d’y enfoncer ton visage, essayant de cacher les sanglots qui secouaient affreusement ton corps.

Faible, tu étais si faible.

Tu n’es pas mort, mais ton cœur souffre à un point où tu pourrais supplier d’en finir, la peur t’enlace de plus en plus, les jours se faisant plus sombres désormais. Tes poumons brûlaient sans que tu ne puisses les calmer, sans que tu ne saches comment t’en sortir, parce que tu tombais dans un gouffre si profond, que tu ne pourrais pas en ressortir. Takashi, tu te sentais si faible, pantelant, le corps spasmodique des horreurs vécues. L’envie de fuir se faisait parfois si forte, la peur grignotant ton cœur, la terreur des cauchemars te poursuivant de ça et de là.

La vie ne se perdait qu’une fois, et tu savais que tu devrais être heureux de ne pas être mort, qu’il y a pire qu’un bras en moins. Tu le savais, tu tentais de t’en persuader, seulement ton esprit sombrait sans que tu ne puisses l’en dissuader, ce n’était pas tant ce bras qui te rendait si mal, mais les angoisses qui enlaçaient ton âme.

Tu avais peur.
Si peur que tu ne voulais pas l’avouer.

Il avait raison, tu avais besoin d’aide, mais tu refusais la main tendue, parce que tu voulais être seule, parce que tu n’avais pas confiance en cette femme. Tu préférais errer dans la douleur, souffrir en silence, c’était tellement plus simple que d’ouvrir son cœur.

« Je ne lui fais pas confiance, je n’irais pas la voir. »

Tes mots se font secs, tu essaies de paraître crédible alors que tu trembles encore de terreur, tu es un idiot Takashi, et peut-être qu’un jour tu regretterais ton choix.

« Merci. »

Tu ne sais pas quoi dire de plus, refermant tes bras autour de tes jambes pour les serrer contre ton torse, le regard lointain, la crise passée mais les souvenirs trop récents. Le cœur lourd, tu fermes les yeux de longues secondes, tentant de respirer calmement, de reprendre contenance face au préfet.

« Ça ira. J’irais vite mieux, c’est juste… récent. »

Menteur, ça n’ira pas mieux.
Et tu le sais.

Elle avait un sourire terrible sur ses lèvres alors que son rire résonnait dans ton esprit, un chuchotement morbide te faisant frissonner d’horreur, et sa voix te semblât pourtant si douce, presque libératrice, bien que tu n’en comprenais pas encore le sens. Takashi, des larmes invisibles coulaient sur tes joues albâtre, le cœur gangréné d’une angoisse que tu ne sais définir. Oh, était-ce important que d’en trouver la source ? Certainement pas, tu n’en avais de toute manière plus la force, plus les moyens, tes pensées embrouillaient ne te permettaient pas d’y songer.

Les sentences de ton camarade étaient pleines de vérités, tu n’irais pas mieux rapidement, tu baignais dans un océan traumatique, manquant sans cesse de te noyer pour te bon, d’atteindre les abymes à chaque mouvement que tu faisais pour t’en sortir. Une main tendue sous tes yeux, prête à te venir en aide, mais que tu refusas pourtant.

L’obscurité obstruait ton âme, la rongeant de sa terreur sans que tu ne fasses plus rien pour te défaire de ses crocs avides de chaires.

« Demain ou dans dix ans, j’irais mieux, ne t’inquiète pas autant. »

Un sourire pourfendait tes lèvres, empli de mensonges muets, d’une fausseté inavouée : car tu n’allais pas mieux et tu n’irais pas vers la lumière, elle était si lointaine qu’elle te semblait presque invisible dans le vide qui t’entourait désormais. Tu ne voulais pas qu’on ne remarque tes maux, tu ne voulais pas en parler, tu ne voulais plus rien.

« Certainement. »

Lentement, tu te relevais, saluant le préfet d’un signe de tête poli, des cernes ornant ton regard assombrit, un sourire faible étirant tes lèvres aux allures valétudinaires.

Tu étais fatigué Takashi.
Terriblement épuisé.
Tu avais besoin de repos.

« Merci Yori, t'es un gars bien tu sais. »

Un dernier sourire pour le garçon, une tristesse infinie décorant tes traits.
Et sur ces mots, tu remontais dans votre chambre.