Les citoyens se plaignaient du gel, mordant, que février avait amené. Un agressif froid, humide, qui parasitait les bronches et rendait le souffle difficile. Les anciens du quartier, superstitieux, racontaient qu'une circonstance avait dû froisser les maîtres de la ville, que leur froide colère s'abattait sur la vallée. Leurs traits sereins ne dupaient l’œil affiné de certains, ils respiraient dans l'air le courroux du clan—il fallait saisir les sophistiqués informulés, les œillades évocatrices, et la progéniture n'arrivait qu'à en flairer les graves consonances.
Ladite avait mieux à faire, cependant, que décrypter les conversations d'adultes, les harangues révélatrices arriveraient tôt ou tard.

La cycle lunaire introduisait une nouvelle année, son premier mois était accueilli d'un chaos orchestré dans le silence, d'une tumulte sourde. Les descendants du divin s'affairaient à lui rendre hommage, rendez-vous ancestral auquel nul ne manquait, le temps d'un jour, d'une nuit, de célébrer son éternelle bénignité.

Le caractère sacral de l'auguste festivité marquait toute rétine spectatrice, hypnotisée par le bal des majestueuses étoffes, par l'allure céleste de la procession à destination du sanctuaire. L'affolement courrait—et les Sugawara berçait les âmes tourmentés de leur placide marche, parsemée à travers les contrées du soleil levant qui vénéraient leur aïeul. Cette année, la vastitude de l'évènement se vêtait de symbolique, insufflait la missive du clan à l'encontre de l'adversité : il ne ploierait guère sous la terreur d'un perfide esprit ravivé des limbes, il ne courbait point l'échine à l'avent d'un nouveau péril. Enlacé par l'égide de Tenjin, nul fléau ne parviendrait à bout de la millénaire clan ou de l'Empereur.

Les enfants du béni, jamais, ne céderaient.

Un délectable soleil d'hiver caressait la peau, glacée par les températures ; le joli temps ravissait les cœurs languis de douceur, encore calcinés des horreurs passées. Le Kitano Tenman-gu, sous toute sa splendeur, pansait une dernière fois son cœur. Benhime s'imbibait du sacré, l'effroi ne s'étant totalement dissipé de son âme, une petite mine s'efforçant, sans hâte, de récupérer vitalité d'antan. Et tu étais là, à ses côtés, lors de cette ultime promenade à travers le terrain sacré—oh, il aurait été si triste d'admirer la splendeur des arbres en fleurs seule. Je n'arrive à croire que, la semaine prochaine, nous serons à nouveau en cours. un rire, un peu aigre À vrai dire, je peine à concevoir que nous ayons même une rentrée. Elle observe les oiseaux nichés entre les branches, le paisible bleu du ciel, les éclatantes couleurs des ume. J'espère que tu as apprécié ton séjour parmi les miens, malgré l'incessant raffut et activité. Et elle se sentait désolée, de n'avoir pu t'offrir pleinement sa présence—occupée par les préparations, par les retrouvailles, par son clan—ah qu'elle aurait aimé pouvoir s'occuper un peu plus de tes états, un peu plus de toi.

Innombrables eurent le temps d’une noyade, à se morfondre des séismes brisant un monde qui déjà leur avait échappé — toi, tu avais eu les journées creuses et les nuits prisonnières où le lucide cauchemar venait t’harceler — mais Benhime n’en avait aperçu que sa surface. L’épuisement l’avait dévorée chaque soir, son corps ne s’écrasait qu’en route de nuits sans rêves, et de jour les préparations chassaient les cogitations noircies d’angoisse. Nonobstant il était arrivé, lors de pénibles pauses ou d’ennuis non-invités, que tout se ressasse, que la migraine envahisse et qu’elle punisse son pauvre esprit ; châtiment du suffoquement, de l’épouvante, de soubresauts si intenses qu’ils l’étranglent quand elle y pense.
Les pupilles d’outre-tombe, encore, l'abattent de frissons.  

Et ton dantesque état la contriste — ô elle se sent si inutile — nourrit cette infernale impression de n'être que misérable propre-à-rien. Comment anesthésier les persécutrices algies qui t'étreignent; seuil de calamité jamais atteint par l’adolescente. À défaut de savoir les apaiser, Benhime ne sait que les sangloter et ne supporte l'égoïsme de son émotion qui n'apporte nulle solution. Tout est si minime, chez elle, que tes titanesques maux la surplombent. Sa puérile colère se délègue sur le traître fuyard qui a pillé ton cœur lors de son au revoir. Ishan n'est que facette de ta détresse, mais il est si simple de rejeter les fautes sur les absent ; particulièrement lorsque aucune once d'affection ne la lie à lui, si ce n'a été qu'une pitié quant au rejet instauré par ses cousins.

Au croisement de ton regard, à ton écoute, ô voilà un pénible raz-de-marée qui l'écrase. Comment savoir quels sont les bons réconforts, quel est le juste le baume ? Benhime aimerait fuir ce regard abattu, se cacher de honte car, immédiatement, elle n'est qu'une piteuse amie. Tout ce qu'elle sait t'offrir est la pression de sa paume sur le dos de ta main et, si difficilement avoué, de l'honnêteté. Excuse-moi, Xue Oh, ça réveillerait presque ses larmes. car je ne sais quoi répondre, quoi te dire qui te consolerait. Je sais que tout aurait été pire, chez ta mère, mais je ne sais si j'ai été très bon refuge. Une œillade en direction du sacré, sa voix se tut momentanément. Tout ça, je le traverse grâce à mes piliers... mon clan, les déités. L'angoisse de tout rapporter à elle crépite, les pardons pullulent son regard. Et, et je crois en l'Empereur. que ses choix que ses positions que sa divinité, tous, vous sauveront. ... je ne peux qu'être là pour toi maladroitement. mais est-ce suffisant pour t'aider à aller mieux ?

Il paraît que, par les temps qui courent, force est un nécessaire ; regrettablement, de fâcheuses accoutumances broyaient les esprits de Benhime depuis si longtemps qu'elle en avait oublié la genèse. Fillette paradoxale, dont la carence d'amour intérieur se faisait combler par l'assurance des infrangibles croyances. Délicate et rénitente, tourmentée par le calvaire de ses complexes, elle savait pourtant que fade apparence et fade personnalité ne possédaient nulle pertinence auprès de l'actuel climat belligérant.
Nonobstant, à l'échelle sociale, elle ne savait s'en défaire — éternellement persuadée de ne point faire l'affaire — et, face à toi, elle souhaiterait que s'évanouissent ses vulnérabilités pour être en mesure de supporter les tiennes. Conséquemment, tes mots et actions réconfortaient sa tourmente, savoir avoir été de quelconque utilité rendait son état meilleur.

Tu es son bastion, Xue — toi, Akshar, et d'autres encore — le soutien immuable qui, chaque jour, l'assiste à balayer ces stupides anxiétés procurées par la société. Et quand tu l'enlaces, ô si fort, tout devient si rassurant ; constamment, Benhime s'estime bénie d'être détentrice de cette amitié.

Je te ramènerai, d'accord ? Elle irait jusqu'aux confins du monde, jusqu'aux impossibles s'il le fallait pour récupérer tes morceaux éclatés par ta famille, par ton sang, par ton métissage, par Ishan — pour reprendre ce qui t'a été volé, ce qui te rend dorénavant si vide. À quoi sert le bonheur, s'il n'est guère partagé ; à quoi sert l'amitié, si nul n'éponge les maux.
À quoi bon tisser des relations, si elles se révélaient vides d'authenticité, vides de compassion, vides d'affection. Il n'y avait place pour le superficiel dans son serment, envers toi, envers l'Empereur. Il paraît que la force vient durant les temps où il devient nécessaire de protéger ce qui tient à cœur — aussi fausse, aussi immorale est la cause à laquelle est jurée allégeance.

Et ta question résonne telle une plaisanterie à ses oreilles, pour elle à qui ce n'est qu'une vérité absolue. Oui qu'elle souffle avec certitude en se défaisant de tes bras. L'Empereur est un soleil né pour bercer le peuple de ses rayons, pour illuminer nos jours les plus sombres. Il est voix suprême que nombreux Icares convoitent, outil idéal de leurs machinations et, aussi puissante est la déité solaire, tout comme les mortels, elle n'est point infaillibles aux ruses.
Il est le symbole de notre univers.

Cœur écorché, des vents tranchants font tempête en toi et découpe chaque petit recoin de toi. Qu’il est simple, Xue, de lire au travers des averses ou des soleils nichés sous ton thorax, de cueillir les brindilles de non-dits dépérissant à l’orée de tes cils, de traduire sans faute moindre inclinaison de tes commissures — te connaît-elle mieux que jamais tu n’en seras capable ?
Auréolé de soudain espoirs, combien de temps tes doigts s’y raccrocheront-ils avant que les marées d’un passé proche, ô si trop proche, ne t’emportent à nouveau dans les noirceurs de ton désespoir ? Elle a écumé tes vagues à l’âme, la paume ne desserre l’écumoire car tes vices bouillonnent et, si elle ne t'en débarrasse, tu périmeras. Nous serons sauvés, n'aies crainte : ils ont échoué et ils échoueront encore et encore.

Benhime a des ancêtres pleins de tendresses — vois-tu comment son clan s'anime prospère — qui de leur autel assistent aux floraisons de belles âmes. Aucun conte ne miroite perfection; et qui se targuerait d'un tel exploit là où mêmes kamis échouent ?
L'univers est imparfait — sinon pourquoi se côtoieraient mal et bien ? — et il repose sur une fragile harmonie que nul n'a droit de troubler, pas même les rois.
J'ai foi en la justice céleste un battement de cil se perd sur les ume et je respecte l'Empereur — qu'importe ses choix — car mon sang se tient aux volontés de sa famille originelle. à défaut d'avoir pu accomplir sa céleste tâche, l'oncle ne sait que prendre soin du neveu; souviens-toi de ce pauvre Michizane qui exilé par son maître chaque jour, jusqu'à son dernier souffle, malgré tout, composait des vers à sa gloire et pérennité. Je n'ai nulle allégeance envers un revenant proscrit par l'univers ou à la création d'un fou s'étant jadis cru au-dessus de tout; sur qui compter pour berger autre que la lignée envoyée par le soleil ?

Un froissement de vent, des parures frémissent, en tombent de leur tenue boisée, charmées par le frôlement du souffle glacé. Main avenante baladant des lady, elle les entraîne dans l'immensité d'une salle éternelle où se diffuse leur arôme juvénile — et ces dernières virevoltent, enjouées, sans once de connaissance qu'ainsi est leur fin.
Il est dit : tout ce qui est beau finit si vite, n'est-ce pas la morale de Konohanasakuya-hime? Benhime aimait soupirer un rire, dire de cette fable qu'elle ne saurait s'en inquiéter : n'était-elle pas plus proche d'Iwanagahime?

Xue, dis, sens-tu cette fin se repliant sur d'heureux jours ? Ce cycle qui se meurt, mettant naissance dans la foulée à un autre — mais le changement, aussi effrayant soit-il, n'est de la fin ultime. Le court du temps est pareil aux rivières, aux montagnes, aux terres : immortel, et si vos azurs se couvrent sous de sombres couvertures, finira par venir percer un soleil juste qui bercera vos pitiés de sa lumière. Xue intonation douce en réponse à tes aveux tant croient en ses idées dangereuses, qu'ils se rangent à ses côtés ou non. et un visage s'avoue péniblement dans son conscient, silhouette de sa destinée Il mérite châtiment. mais ce revenant ne sera jugé pour son ambition d'éradiquer une race : son idéal à l'encontre des vœux du fils solaire actuel est son tort pour les prunelles ne connaissant que sommet.  

Moi non plus. Fertilisée à la loyauté, le clan de ton amie s'est assuré que jamais en elle ne germe les obscures pousses de la convoitise — mais son âme n'a rien d'un pétale immaculé — éternelle privilégiée d'un univers dont elle et ses pairs les plus bienveillants se rechignent d'en offrir l'entrée.  
À ton remerciement, les commissures s'étirent pleines de réconfortant Ne me remercie pas, je suis ton amie — affaiblir tes maux est mon immuable rôle. Une épaule sur laquelle un nomade de l'existence se repose, une main qui sauve un noyé de l'océan ses pleurs intérieures, un sourire qui chasse les ténèbres des nuits belliqueuses,
l'ami, coût que coût.