Il fallait que je reste calme. Tout allait bien se passer. Je connaissais Maiko. Juste pas ses parents. Et puis, les recevoir ici, chez nous... N'était-ce pas plutôt à moi d'aller la voir ? Enfin, ça, je n'en sais rien en fait.

Puis l'annonce de leur arrivée. Mon coeur s'emballa. Comment j'allais me comporter ? Maiko s'était excusée dans son mot, mais m'en voulait-elle ? J'avais tout gâché... Je savais bien que m'accuser de tous les maux n'était pas bon. Ce n'était pas ce qu'il fallait faire. Pourtant.... Pourtant, je n'arrivais pas à déculpabiliser.

Ma mère m'appela. Il fallait y aller. Je m'avançais vers elle qui m'attendait. Elle vérifia que ma tenue, ce beau kimono sobre mais élégant qu'elle avait préparé spécialement pour les grandes occasions comme celle-ci, était correct. Je me retins de rire en la laissant faire.

-Je ne suis plus un enfant, tu sais. Je sais m'habiller correctement. Tu es aussi nerveuse que moi ?

-Bien évidemment !

Elle me serra les mains, me sourit puis se détourna pour se rendre vers le pavillon des invités.

C'est mon père qui était entré le premier, avant même que nous arrivions. Il avait salué les parents de Maiko et celle-ci. Il leur annonça que ma mère et moi allions arriver sous peu. Ce que nous fîmes. Ma mère s'inclina, s'installa et je fis de même, prenant place face à Maiko. La vue de cette dernière en tenue ordinaire me fit sourire. Je tournais la tête pour voir comment réagissait mon paternel face à cela. Il ne montrait rien, mais je me doutais qu'en lui le débat faisait rage. Je détournais mon attention pour prendre en main la tasse de thé chaude qu'un de nos domestiques venait de me servir. Je ne la bus pas. Je me réchauffais juste les mains en l'enserrant doucement.

C'est là que la discussion sérieuse commença. J'avais été d'accord de ne parler qu'en cas de nécessité. Leur palabre nous concernait, mais c'était leurs intérêt que cela servait. Et ma phase de rébellion avait comme pris fin avec la fin de l'année scolaire.Je faisais parvenir mes pensées de manière plus calme et moins explosif à mon père. Pourtant, ce n'était toujours pas le grand amour entre nous et il m'agaçait toujours.

La pression était un peu retombée. Je bus une gorgée de thé puis reposai la tasse. Je levais les yeux vers la demoiselle, puis coupant involontairement la parole, je m'adressais à elle :

-Maiko ?

Un silence et les regards se tournèrent vers moi. Une vague d'oppression m'envahit.

-Ça te dirait d'aller dehors ?

Faire un tour, les laisser parler. J'avais envie de fuir cette conversation. J'avais envie de savoir ce que tu ressentais. Tu m'avais dit vouloir parler de ce dernier jour sur l'île. Et ce n'était pas ici, ainsi, que l'on pourrait discuter librement.
La voyant approuver, je me levais et m'inclinais vers ses parents.

-Je vous emprunte votre fille un instant.

Combien de temps réellement, aucune idée.
Je nous permettais d'esquiver la discussion. Nous éloignant, je l'emmenais vers la partie privée de la maison.

-Je vais juste enfiler quelque chose de plus pratique si tu veux bien ? J'en ai pour 5 minutes... Je fais vite.

Ça me gênait de la laisser en plan comme ça... mais je savais que je me sentirais plus à l'aise en tenue ordinaire. Disparaissant derrière une cloison, je me rendis en deux pas dans ma chambre, abandonnais le kimono pour un pantalon, une blouse et un manteau long. Je revins vers elle le plus vite que je pus, écharpe en main.

-Désolé pour l'attente... On peut y aller...

Je lui offris un sourire léger avant de prendre la poudre d'escampette vers la porte d'entrée. La laissant se couvrir de sa veste, je fermais derrière nous.

-Je pensais... aller voir le lac... Enfin, si ça te dit...

C'était peut-être un peu trop tard maintenant pour lui dire ça....
Ce fameux lac, celui dont je lui avais parlé début janvier. Il allait y faire un peu froid, mais j'avais besoin de voir sa surface apaisante.

-Ce n'est pas très loin...

Mains dans les poches de mon manteau que j'avais laissé ouvert, écharpe autour du cou, je n'osais regarder vers elle. Je ne savais pas comment abordé le sujet du 31 janvier.

Le lac enfin. Le vent balaya mon visage. Un frisson me parcouru l'échine, mais il n'était pas désagréable. Et Maiko parla. J'ai voulu protéger, en effet. En vain. Et la plaie se remit à saigner. Elle n'était que mentale. Et pourtant... pourtant j'aurai aimé qu'elle soit physique. Je l'aurai vue guérir. Elle aurait disparue.
Pourquoi suis-je allé vers elle ? Pourquoi, me demandait-elle ? Vraiment ? Je lui fis face, mes yeux se plantèrent dans les siens.

-Parce que tu es aussi une personne importante pour moi. Tu pensais vraiment que... que j'allais te laisser en première ligne ... à te battre contre eux ?

Si je l'avais laissée là...

-Si je t'avais laissée combattre... peut-être que...

Tu aurais été blessé. Ou pire.

Peut-être que Mikado serait toujours là. Mikado, cet ami si cher, lui dont je refusais la disparition.

-Je n'ai réussi à protéger personne...

Un murmure. Une blessure à vif. La douleur dans la voix. La tête qui s'était baissée vers le sol, les cheveux couvrant mes yeux.

-Seulement toi...

Et c'était déjà beaucoup, non ?

Rassure-moi, c'était déjà beaucoup, n'est-ce pas ?

Ashe avait été salement blessé. La confiance avait été rompue. Mon meilleur ami était très certainement ...

Même y penser m'était inconcevable.

Puis je finis sa phrase inachevée. Cette journée était tellement...

-Irréelle ? ... Horrible ? ... Cauchemardesque ? Il y a un certain nombres d'adjectifs pour la qualifier... Et pourtant, aucun ne semble assez fort.

Je relevais la tête. Je vis son mouvement dans ses cheveux. Ses cheveux. Elle les avait coupé ce jour-là aussi.

-Ta coiffure, elle te va bien.

Une bouffée d'air pendant quelques secondes. Avant de ressombrer.

-Pourquoi...

Respire.

-Pourquoi est-ce que tu renoues avec ces fiançailles ? Tu avais dit les rompre ...

Elle l'avait dit en se coupant les cheveux. J'avais laissé Ashe m'embrasser. Pourquoi m'avait-il embrassé ? Je me rendais compte maintenant, bien plus tard, que tout cela était... irréel. Complètement sorti d'un rêve. Tout me semblait embrumé.

-Je t'avoue que... Je suis comme ... désemparé.

Oui, c'était ça. Je ne savais plus où j'en étais. Je vivais en ce moment dans un tourbillon de sentiments flous et négatifs.

Je la laissais parler. Je la laissais me tourner le dos et faire face lac, ce beau lac qui malgré l'incroyable distance qui séparait les rives montrait son autre côté par ciel clément, comme c'était le cas aujourd'hui.

Comment pouvais-je l'avoir libérée de sa cage ? Je n'avais fait que lui donner des mots, l'espoir dans de belles paroles. C'était... pathétique. Comment pouvait-elle croire en les mots d'un adolescent qui ne cherchait qu'une forme de révolte contre son paternel ? Ce n'était que des mots.
Et elle m'appréciait. Était-ce pour les paroles que j'avais eue pour elle ? Ou bien était-ce pour ma personne qu'elle commençait à découvrir ? Ne se faisait-elle pas une fausse image de moi ?
Et puis elle se flagellait elle-même, elle aussi. Et elle s'excusait.

J'avançais d'un pas. À côté d'elle, je posais ma main sur son épaule et, d'un mouvement, je lui demandais de me faire face.

-À cause de toi ? Rien n'est ta faute...

Si mes choix avait été différents, c'était peut-être Maiko qui aurait disparue...
Puis mes yeux s’écarquillèrent en voyant les larmes retenues aux coins de son regard.

-Mais... Tu pleures ... ?

C'était maladroit. Des paroles qu'on ne dit généralement pas. Je levais les mains pour essuyer ses joues. Ses larmes avaient coulées quand elle m'avait tourné le dos. Ses joues étaient humides.

-Pardon...

Je me rapprochais encore d'elle et la prenait alors dans mes bras. Mes mains se posèrent dans son dos et ma voix murmura à son oreille :

-Tu n'as pas à t'excuser. Je t'assure. Ce n'est pas ta faute. Ce n'est pas ...

Je m'arrêtais au milieu des mots en sentant mes propres larmes. Pourquoi maintenant ? Pourquoi tout le poids de ce que je ressentais s'abattait sur moi maintenant ?
Je resserrais mes bras autour d'elle, comme si la serrer contre moi allait me faire du bien, comme si j'en avais le besoin pour me sentir mieux. Je me penchais pour poser mon front sur épaule. Tant pis si cette eau salée touchait ses vêtements. Tant pis si elle s'en rendait compte. Je n'en avais cure en cet instant.

Les remords, ma faiblesse, mes erreurs, la pression accumulée et tout le reste... Tout semblait avoir choisi ce moment pour s'exprimer à leur tour.

Et c'est ainsi que je me faisais réconforté. J'avais envie de nier, de lui expliquer en vers et contre tout que, si, c'était ma faute pour certains moments passés. Et pourtant, je n'avais plus la force de contrer. Je laissais aller ma peine, mon désarroi et ma tristesse sur son épaule. Ses gestes de réconfort me firent du bien. Après quelques minutes, je m'écartais d'elle. Faisant face au lac, j'essuyais mes yeux avant de tourner la tête vers la demoiselle et d'esquisser un sourire.

-Merci.

Elle pouvait me dire qu'elle n'avait rien fait pour mériter un remerciement, mais sa simple présence, le fait d'accepter d'avoir accepter mon moment de faiblesse et aussi son accord final pour ces fiançailles – actuel enjeu de ce jour – étaient des raisons suffisantes.

Ne lui laissant pas le temps de trouver des mots pour me répondre quoi que ce soit, je vins lui voler un baiser chaste et tout en douceur. Il ne dura que quelques secondes à peine. Et aussitôt terminé, je me reculais une nouvelle fois pour lui sourire plus franchement que lorsque j'avais mis fin à mes larmes.

-Un prêté pour un rendu.

Évocation un peu vague de ce baiser d'il y a un mois qu'elle m'avait donné avant de disparaître. Cependant, cette fois-ci, elle ne pourrait pas s'enfuir. Sauf si ses parents venaient me la ravir soudainement. Et je ne pouvais pas la laisser là, alors qu'elle était mon invité. Et surtout, ce n'était pas mon intention.

-Cela te dit d'aller nous promener dans les parcs avoisinant le château ?

Car sur une des hauteurs se trouvait le château d'Hikone. Sur un de ses côtés, il y avait le centre ville qui était le coeur historique de l'endroit, tandis que de l'autre s'étendait un parc où il faisait bon s'y promener et laisser derrière soi les mauvais souvenirs.