STAY GOLD

Qu’il souhaite changer partageait ses émotions avec l’inconfort d’un homme habitué à n’éprouver qu’indifférence pour autrui. Qu’il devienne plus égoïste ou plus fort, si c’était là le terme que l’on devait employer, Natsuo saurait s’en satisfaire, pour le propre bien de Fuyuki, mais subsistait la désagréable sensation d’un repaire venant à se perdre et s’il ne s’attachait pas à ses habitudes, son ami ne restait pas moins l’un de ces remparts constituant sa vie.
Et au fond de sa conscience s’insinue le doute ; si Fuyuki venait à faire fi de sa gentillesse, hypocrite ou non, continuerait-il à le côtoyer ?

En cette soirée, déjà, ils avaient fait chanceler tout l’équilibre de leur relation. Ils s’étaient révélés, plus que jamais et avaient laissé le contrôle leur échapper, tant dans leurs actes que dans leurs émotions. En contradiction avec tout ce qu’il avait toujours souhaité éviter, l’échange avait éveillé des pulsions auxquelles Natsuo ne voulait succomber.
L’Awataguchi n’était pas une proie. Il pourrait le devenir, sous l’impulsion destructrice d’un prédateur à l’affut de la moindre faiblesse, mais l’infirmier ne saurait se pardonner cette erreur, si les conséquences s’en révélaient sinistres. Nulle peur ne venait troubler son regard, prouvant que, malgré la dominance physique, il ne se considérait en victime. Il se fiait et s’offrait à lui, avec tant de confiance, qu’il se refusait à le décevoir.

Alors, non, il ne pouvait le considérer comme une proie.

Ils étaient tout deux aussi hypocrites, l’un que l’autre, finalement. L’un dans sa gentillesse, car le brun devait lui reconnaître avoir raison sur ce point ; l’autre dans son paraître. Leur but était le même : le bien des autres, autant pour celui qui se montrait bienveillant au possible, que pour celui qui s’adaptait au mieux à la société.
Peu étaient ceux les connaissant, au-delà de leur apparence et ils en faisaient partie ; ainsi, ils ne pouvaient en vouloir à l’autre de se révéler.

Contre sa joue, les doigts sont froids. Pourtant, la caresse apporte une rare chaleur, au sein de son cœur. Tu as peut-être tord. L’incertitude, toujours ; le Tsukino, finalement, est celui qui a le moins confiance en lui-même. Il se sait – il se croit – trop instable, alors qu’il s’évertue à ne jamais le faire souffrir.

Il n’avait pas peur. Il ne connaissait la peur, si ce n’était le poids qui l’avait accablé à l’idée que Fuyuki puisse mourir. On l’avait endoctriné de sa propre dangerosité et il la savait suffisamment vraie pour s’en méfier. Il ne voulait débattre, cependant, en des paroles futiles. Il ne pouvait débattre, non plus, maintenant que leurs lèvres se trouvaient, à nouveau, aussi proches. Il n’entrouvrit les siennes que pour s’abreuver de son souffle, venu s’échouer à leur commissure ; s’approcha davantage, afin de céder à son baiser.

Fuyuki pouvait briser chacune de ses convictions, abattre chacune de ses retenues ; jamais Natsuo ne voudrait le détruire.

Leur regard, à l’inverse de leurs lippes, reste entravé ; un échange muet, dont il ne se départ, pas plus qu’il ne s’éloigne. Sont-ils quittes ? Se doivent-ils seulement d’y être ? La réponse ne l’intéresse guère, mais puisque le plus jeune souhaite qu’il cesse d’avoir peur, il considère pouvoir se permettre d’outrepasser la limite du raisonnable. Il se penche, encore et vient posséder la chair rosé plus abruptement qu’auparavant. Il y encra ses dents, jusqu’à rompre l’épiderme et se repaître du liquide ferreux s’en échappant.
Cette fois, enfin, il s’extirpa de l’étreinte, afin de contempler l’image voluptueuse des cheveux blonds désordonnés ornant ses lèvres malmenées.

Souhaites-tu rester pour la nuit ? Malgré la scène, sa question ne contenait aucune idée mal placée. Ou penses-tu pouvoir rentrer ?

STAY GOLD

Au fond de ses pupilles s’allume la flamme, attisée par la teinte écarlate des lèvres meurtries. Au fond de son esprit, pourtant, le tumulte s’est apaisé. S’il n’a encore retrouvé son calme d’accoutumé, il goûte à l’étrange satisfaction de l’avoir marqué – un élan de violence qui rime avec possessivité.
Natsuo n’aspire pas à davantage. Il ne voudrait user leur relation plus que de raison et qu’à l’instar d’une fleur, il ne puisse retrouver la beauté à cause de laquelle il l’aura cueilli et fait flétrir.

Le chassait-il, alors ? Selon le sens donné à ce terme, la réponse était sujette au doute. Mais quelle qu’elle soit, cette nuit, elle demeurait la même : la négative. L’infirmier ne propose, généralement, que ce qu’il veut bien proposer. Il ne lui aurait demandé s’il souhaitait rester, si lui s’y refusait – se serait contenté, peut-être, de suggérer qu’il pouvait le raccompagner.

Qu’adviendrait-il, dans ce cas ? Il n’y avait réfléchi. Il ne pouvait y réfléchir. Natsuo n’était ni du genre à dénier, ni à essayer d’oublier. Il subissait, encaissait et acceptait, sans autre filtre que sa carence émotionnelle. S’il venait à faire comme si rien n’était, ce sera que les événements ne seront parvenus à impacter son comportement envers lui.
Concernant les actes de Fuyuki, ce n’était à lui d’en décider.

Est-ce ce que tu le souhaites ? Bien qu’il veuille s’en assurer, que Fuyuki l’en ai questionné lui laisse penser que ce n’est pas ce qu’il veut. Je n’ai pas de raison d’agir différemment. Même la prudence, finalement, avait été rejeté par son ami ; qu’il veuille lui faire confiance et qu’il l’accepte, qu’importe les conditions, le convainquait de ne pas s’éloigner. Mais je n’en ai pas d’avantage d’agir comme si ça n’avait jamais existé. Pas plus qu’il n’en avait de vouloir oublier, à moins que Takumi n’en décide autrement.

Il peut rentrer, mais il s’y refuse, usant sa propre demande pour appuyer sa volonté – et à raison, car Natsuo ne reviendra pas sur sa parole ; il lui a demandé d’être égoïste et se tiendra à respecter ses caprices. Je ne te chasserai pas. Un fin sourire para ses lippes. Tu ne m’en laisses, de toute façon, plus le choix. Et bien qu’il ait la sensation que ses mots se soient retournés contre lui, il appréciait ce retournement de situation. Pense à boire de l’eau ; mon appartement est tien, pour cette nuit. Même au-delà, la porte lui est toujours ouverte.

Peu de démons peuvent s’enorgueillir de chasser ceux des autres, mais ce n’est pas comme tel qu’il se sent, ce soir.
Il ne pourrait devenir plus sentimental, au contact d’autrui, à moins d’être humain.